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Faire (un peu) son Agnès Varda à Copenhague - première partie

Agnès VardaAgnès Varda
Sirène de Les Dites Cariatides - Violaine Caminade de Schuytter

Faire (un peu) son Agnès Varda à Copenhague (à propos de sirènes, de Cariatides et de murals)


L’article suivant propose une balade dans la ville de Copenhague en prêtant attention à certains de ses murals, en prenant Agnès Varda comme guide. Nous vous proposons une première partie aujourd'hui, la suite sera publiée la semaine prochaine. 

 

Je ne sais si Agnès Varda qui voyageait beaucoup « de-ci, de-là » pour présenter ses films, connaissait Copenhague mais si on ne voit nulle trace à ma connaissance d’un pèlerinage à la Petite Sirène, on peut néanmoins occasionnellement en voir apparaître une ou deux dans son oeuvre. C’est le cas dans l’installation « La Grande Carte postale » de l’exposition « L’Ile et Elle » (accueillie à la Fondation Cartier à l’automne 2006) où celle qu’elle appelle dans le catalogue « la noyée ou la sirène échouée » surgit sous forme d’une photo en noir et blanc d’un corps nu de femme endormie qui, par intermittence, se superpose à la pin up nue allongée sur le sable qui compose la carte postale touristique géante.

Dans « Les Dites Cariatides » (1984), Agnès Varda part en quête des statues en forme de colonnes humaines dans Paris qui portent des charges architecturales telles que des balcons par exemple. C’est une commande pour la télévision mais une commande n’est pas incompatible avec subjectivité ; elle en profite donc pour afficher ses goûts. C’est ainsi qu’on apprend incidemment, alors qu’elle nous en montre une que la sirène n’est pas sa créature de prédilection (on sait le chat mieux placé dans son bestiaire).

Sirène cariatides Copenhague balade Agnès Varda

Sirène de Les Dites Cariatides - Violaine Caminade de Schuytter

 

Est-ce étonnant quand on sait que cette réalisatrice, bien que grande amatrice de fantaisie, est surtout éprise de réalité, plus que de fantastique ? Dans « Sans toit ni loi » (1985), Sandrine Bonnaire compose une sirène moderne : elle est filmée sortant nue de la mer telle Aphrodite et le raccord enchaîne avec une carte postale de fille nue sur la plage. Mais le conte contemporain est cruel et n’a en effet rien pour faire rêver : la naïade déchue y finit dans un fossé en cadavre rigide. Cette vagabonde qui erre dans ce film en forme d’enquête sur sa vie et sa fin tragique incarne une hantise de la mort qui obsède l’oeuvre par ailleurs colorée et réjouissante de cette cinéaste si ludique.
Mais ce sont d’autres femmes de pierre, au sens propre cette fois, qui retiennent l’attention de la cinéaste dans Les Dites Cariatides réalisé juste avant ce film de fiction. Mais les cariatides parisiennes ont également des soeurs danoises : on en trouve aussi à Copenhague, qui se fondent dans le décor... A deux pas de chez moi, il suffisait de lever la tête sur Åboulevard :

 

cariatides Agnès Varda balade Copenhague

Cariatides Åboulevard- Violaine Caminade de Schuytter

 

Ou encore sur H.C.0rsteds Vej : 

cariatide Copenhague Agnès Varda balade

Cariatides H.C. Orsteds Vej - Violaine Caminade de Schuytter

 

ou encore... A vous d’en dénicher ! N’est- ce pas un peu dérisoire de se passionner pour des Cariatides « filmées » quand la réalité en offre à voir directement à sa portée ? La réflexion de Pascal dans ses Pensées (1670) sur la peinture vaut pour tout art, y compris cinématographique : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ». 

 

Mural Fleur balade Copenhague Agnès Varda

Mural Fleur - Violaine Caminade de Schuytter

 

Quant à la sirène de Los Angeles révélée dans le documentaire Mur Murs (1982) consacré aux peintures murales de cette ville mythique, elle n’est pas là pour chanter un hymne mélancolique. Non, Varda ne la fait pas se lamenter sur son propre sort ni sur celui des femmes et en profite pour glisser cette devise dans son commentaire : « une femme éduquée en vaut deux » 

 

Agnes Varda balade Copenhague mural

Une femme éduquée en vaut deux - Violaine Caminade de Schuytter

 

A bon entendeur salut ! Femmes de tous les pays, unissez-vous par le savoir et l’esprit, celui dont joue la cinéaste espiègle dans ses films pour déjouer les préjugés machistes.

La curiosité d’Agnès Varda n’est jamais inquisitrice, et elle est occasion offerte de dialogue, à saisir. Rien n’empêche son interlocuteur de rester coi face à ses questions, s’il le veut. Ainsi dans le court-métrage Ulysse (1984), qui ne contient pas de sirène au sens propre mais à la place une chèvre morte sur la plage, elle interroge un ancien petit voisin, qu’elle avait filmé jadis à côté de cet animal échoué sur le rivage. Il voudrait bien abonder dans son sens et on le sent de bonne composition. Mais il ne pourrait corroborer avec autant d’assurance qu’elle le voudrait ce passé oublié. Son sourire n’est alors pas tant acquiescement à des propos qu’il ne récuse pas non plus catégoriquement que complicité pudique quoique un peu gênée : cet enfant devenu libraire est plus habitué aux livres qu’à la caméra ! Cette connivence avec ses destinataires, Agnès Varda sait aussi la créer avec de purs étrangers, ceux qu’elle rencontre en Californie et qu’elle filme à côté ou devant les murals qu’ils ont créés ou sur lesquels ils figurent dans son film Mur Murs. Car ces murals personnifient à ses yeux la ville d’Hollywood, en lui révélant une humanité autre que celle colportée faussement par l’industrie du rêve qu’est le cinéma. Elle n’a rien contre les pin up d’un jour se prenant pour des stars (ainsi cette femme qui pose lascivement à la fin du documentaire sur une voiture comme d’autres sur des rochers). Mais Agnès Varda n’exclut pas les femmes de tous les jours : celles qui savent, dans l’ombre, mener leur monde à la baguette, s’il faut, comme cette boulangère qui se targue de s’en sortir. La fierté de la réussite qui brille dans ses yeux vaut leçon de militantisme féministe appliquée. Ce genre de femmes qui peuplent les films d’Agnès Varda n’ignore pas la dure loi du monde mais compose avec. Ainsi le mural que la boulangère commande pour la devanture de son petit commerce n’est pas rose, le peintre ayant été inspiré par la violence régnant dans certains quartiers défavorisés de la ville. Mais Agnès Varda est conquise, rose ou pas, par le dynamisme de cet art de vivre et de peindre, réagissant à l’ordre du monde.

A défaut de sirène revenue du Nouveau Continent, c’est un homme à la casquette de marin qui semble avoir échoué à Copenhague, à Christiania : 

mural marin Christiania balade Copenhague Agnès Varda

Marin - Violaine Caminade de Schuytter

 

Heureusement ses formes sont opportunément masquées. Car on devine une petite bedaine, bien loin de la sveltesse rêvée d’une ondine ou, comme sur ce mural publicitaire, d’une serveuse affriolante de Gammel Kongevej. 

mural serveuse Copenhague Agnès Varda balade

Serveuse - Violaine Caminade de Schuytter

 

Los Angeles est une ville menacée comme le souligne la cinéaste par le tremblement de terre toujours susceptible de se répéter ; mais Copenhague semble aussi être une cité fragile si l’on regarde ses propres murals, répondant presque comme en écho au mural de destruction qui ouvre et ferme le film d’Agnès Varda. Quel cataclysme ce mural tente-t-il en effet de conjurer ?

mural immeuble détruit Copenhague balade Agnès Varda

Immeuble détruit - Violaine Caminade de Schuytter

 

Agnès Varda filmait les enfants qui jouaient parmi les squelettes et les dragons du mural-décor les environnant. Or dans ce square de Nørrebro, je n’ai pas vu d’enfants mais la créature dont la gueule est ouverte qui semble répondre au cri du petit monstre voisin est de la même famille, à moins que ce ne soit la tête d’un dinosaure ! 

mural montres du square Copenhague balade Agnès Varda

 monstres du square - Violaine Caminade de Schuytter

 

Où sont donc passés ces enfants grandis trop vite comme cette fillette aux nattes dont le visage est prématurément vieilli sur l’autre mural de cette aire de jeu ? Sont-ils envolés, comme le suggère d’une façon qui se veut (affreusement !) poétique ce mural qui cherche un peu désespérément à prendre de la hauteur ?

mural fillette ballons Copenhague Agnès Varda balade

Fillette aux ballons - Violaine Caminade de Schuytter

 

Quels animaux effrayants fuit-elle ? De quoi ces lions, calme ou terrifiant, sont-ils l’image ?

mural lion calme Copenhague balade Agnès Varda

lion calme - Violaine Caminade de Schuytter

 et 

mural lion rugissant Copenhague Agnès Varda

lion rugissant - Violaine Caminade de Schuytter

Pour ma part, je préfèrerais la compagnie de cet ours de cinéma. 

Mural Ours Copenhague Agnès Varda balade

ours - Violaine Caminade de Schuytter

 

Les photos de Copenhague ont été prises cette année par Violaine Caminade de Schuytter.

 

À suivre : deuxième partie la semaine prochaine

 

 

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