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Anna Karina, l’actrice qui venait de Copenhague

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Capture d'écran du film Alphaville

Hanne Karin Bayer a fui Copenhague, ou plutôt, une enfance malheureuse pour venir tenter sa chance à Paris après avoir exercé de nombreux petits métiers dont fille d’ascenseur dans un grand magasin du centre-ville. Mais c’est au Danemark qu’elle avait obtenu son premier rôle dans La Fille aux chaussures, qui gagne en 1958 au festival de Cannes le prix pour le moyen-métrage le plus poétique. C’est Coco Chanel qui lui soufflera son beau nom, lui conférant une aura russe et son accent étranger sera une composante de son charme.

Godard cinéaste débutant la repère dans des publicités pour Monsavon et Palmolive. Il lui propose un petit rôle dans A bout de souffle (1960) mais qui suppose qu’elle se déshabille. Elle refuse tout net. Est-ce pour récompenser cette intégrité qu’il Il lui proposera quelques mois plus tard le premier rôle dans Le Petit soldat (1960), ou parce qu’il est bon parfois de donner un coup de pouce au destin, quand on est en quête d’une muse ? Jean-Luc Godard cherche en effet « jeune femme entre 18 et 27 ans pour en faire et son interprète et son âme soeur », comme disait une annonce d’une revue cinématographique.

Mais Anna Karina, apprenant en lisant France-Soir que Godard aurait trouvé « l’âme soeur » s’offusque, et c’est compréhensible, d’être ainsi présentée. Il lui explique alors par télégramme : « Quand on est un personnage de Hans Christian Andersen, on n’a pas le droit de pleurer ». Les cinquante roses envoyées auront raison de ses réticences face à ce "type aux lunettes noires » qu’elle avait jugé d’abord être un « vrai voyou » lors de leur premier rendez-vous décevant à l’époque d’A bout de souffle. Elle accepte donc finalement d’incarner l’héroïne du Petit soldat, et la voilà donc renommée pour le film « Veronica Dreyer » en hommage au grand réalisateur danois. Le cinéaste a fait fi du conseil donné par son assistant, un certain Jacques Rozier : « Ne prends pas cette fille, elle est mauvaise » ! Et bien lui en a pris car le couple ne tarde pas à se former ensuite sur le tournage du film et se marie. Mais elle fera une fausse couche et vivra mal les absences d’un mari qui l’abandonne trop souvent à sa solitude, elle qui n’a pas connu son père et a été mal-aimée de sa mère. Quand Godard retrouve l’amant de sa femme, Jacques Perrin, à l’hôpital suite à une tentative de suicide de celle-ci, ils ne trouvent rien de mieux à faire que de la jouer aux dés et au poker par « défi autant que par dandysme » écrit le biographe de Godard, Antoine de Baecque. Par bêtise « exactement » faudrait-il rectifier, en parodiant le titre de la chanson de Gainsbourg, « Sous le soleil exactement », qu’elle interprètera avec succès. Mieux vaut garder le souvenir de la déclaration d’amour que Godard fait à sa femme dans chacun de ses films. Car elle sera son égérie tout au long des années 60 (et donc au-delà de leur divorce prononcé dès 1964), si fécondes pour celui qui transforme radicalement le cinéma, quitte à la faire bel et bien pleurer ; mais dans Vivre sa vie (1962), les larmes sur le visage d’Anna Karina regardant La Passion de Jeanne d’Arc (1928) de Dreyer restent gravés dans la mémoire de tout cinéphile.

Cette jeune femme que Godard magnifie n’est cependant pas que pure projection de Pygmalion. La « princesse » de l’éblouissant Alphaville (1965) aura aussi appris qu’elle doit par elle-même trouver les mots de sa libération. Et l’ange soi-disant « infâme » de Une femme est une femme (1961), qui n’avait pas toujours sa langue dans sa poche, saura finalement s’envoler, vers d’autres aventures et d’autres amours, fût-ce douloureusement. Face à la vérité de ce chagrin, un Thierry Ardisson reste embarrassé, lui qui avait

piégé l’actrice, la faisant retrouver son ancien mari après des années sans s’être vus sur le plateau d’une émission télé. L’émotion oblige la femme blessée à fuir en coulisses. Mais quelle leçon de dignité et de pudeur opposée alors à la médiocrité et au voyeurisme ambiants.
Les grands artistes ne s’y sont pas trompé et ont su la faire valoir : si Godard l’a révélée d’autres que lui sauront la filmer, tel Rivette, dans sa belle adaptation de La Religieuse de Diderot, injustement censurée, où elle défend la condition féminine avec ardeur. Sans parler des rôles qu’elle n’a pas faits (Dreyer voulait qu’elle fût la Vierge dans son film jamais réalisé sur la vie du Christ), elle tourne aussi avec Visconti, avec Cukor...Quant à Bergman, il consent dans les années 90 à ce que Après la répétition soit joué au théâtre en France à condition que ce soit avec elle.

L’actrice s’est aussi faite réalisatrice. En 1972 elle est passée en effet derrière la caméra et a tourné Vivre ensemble, film sur le délitement d’un couple miné par les dégâts de la drogue dans les années post 68. Cela sonne juste et Truffaut lui écrivait : « il n’y a pas de bluff dans votre film ». En effet cet hommage n’est pas usurpé : Anna, souvent démodée et intemporelle, aura donc aussi su restituer la vérité de son époque déboussolée (Ah ! Le fameux « Qu’est-ce que j’ peux faire ? J’sais pas quoi faire » de Pierrot le fou) ; et elle continuera encore longtemps d’émouvoir les spectateurs car elle ne « joue » pas, elle « tremble », devrait-on dire (en empruntant au Godard critique - aux Cahiers du cinéma - son éloge des acteurs d’un film de Franju). C’est sa vulnérabilité d’actrice, avant tout une personne, qui affleure ; une vulnérabilité qui s’accompagne de force, celle de revendiquer dans Vivre sa vie : « moi je crois qu’on est toujours responsable de ce qu’on fait...et libre ». Cette déclaration ne serait que de la philosophie et non du cinéma si ces mots n’étaient bel et bien incarnés, avec grâce.

Anna Karina est décédée en décembre 2019 et n’a pu comme c’était prévu ouvrir la rétrospective Godard à la Cinémathèque française. Petite fille danoise, pleurez en paix désormais, mais souriez ou dansez aussi comme dans Bande à part (1964) car vous n’avez pas démérité d’Andersen : vos films parleront pour vous !

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Publié le 23 août 2020, mis à jour le 23 août 2020

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