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CINEMA - Dans la brûme avec Bertrand Tavernier

Cinq années que Bertrand Tavernier n'avait plus donné signe de vie côté grand écran. Mais il n'a pas chômé pour autant. Goûtant aux charmes empoisonnés de la Louisiane de James Lee Burke, le réalisateur français s'est emparé d'un des chefs-d'oeuvre de ce célèbre auteur de polars, pour en faire un film atypique. Et plonger Tommy Lee Jones dans des bayous dont les fonds recèlent bien des horreurs et des vérités cachées

Mais où donc était passé Bertrand Tavernier depuis son surprenant Holy Lola (2004), portrait d'un couple pris dans la tourmente d'une adoption d'enfant au Cambodge ? Il préparait tout simplement une nouvelle surprise : l'adaptation d'un célèbre polar de James Lee Burke. Une demie surprise en fait, puisque le réalisateur français n'en est pas à son premier coup d'essai dans ce domaine.
Il avait brillamment réussi la transposition sur grand écran de Coup de torchon, de Jim Thompson. Mais, au lieu de changer de lieu comme dans ce dernier, à savoir l'Afrique avec l'inoubliable Philippe Noiret, Bertrand Tavernier a conservé le cadre du roman du ténébreux James Lee Burke, souvent décrit comme le William Faulkner du polar.
Nous voici donc plonger à New Iberia, en Louisiane. Le shérif local Dave Robicheaux est sur les traces d'un redoutable tueur qui s'en prend à de jeunes filles innocentes, des rêves plein la tête. Dans le même temps, une star hollywoodienne, venue tourner un film dans les parages lui fait part d'une macabre découverte : le cadavre d'un homme noir qui portait des chaînes au moment de sa mort...C'est tout un passé honteux qui va éclabousser le héros, mais également ressurgir dans cette contrée rurale américaine, hantée par le souvenir de la Guerre de Sécession qui n'a semble-t-il pas pris fin pour tout le monde.
Un flic sombre en proie aux démons de l'alcool. Des meurtres sordides sans mobile apparent. Des témoins patibulaires qui ont tous quelque chose à cacher... Les ingrédients d'un polar classique sont tous réunis, sauf qu'il n'en sera rien.

Un polar oui, mais pas seulement
Si l'enquête s'avère passionnante car vraisemblablement très proche de ce qu'est la réalité - beaucoup de patience, de l'observation voire même de la contemplation - elle n'est qu'une excuse pour brosser un tableau peu reluisant des Etats-Unis qui se sont perdus sur le chemin de la réussite au détriment de tout le reste
Chacun continue d'avancer en faisant fi de la morale et de ce qui est juste, car seul compte le résultat final. Et dans une atmosphère poisseuse, en plein coeur des bayous environnant la Nouvelle-Orléans et d'un été dont la moite torpeur fait fondre l'un dans l'autre le Bien et le Mal, il s'agit pour les personnages de sauver les apparences. Alors on met un masque. Comme Dave Robicheaux - massif et impeccable Tommy Lee Jones - qui boit du lait en présence de son épouse, fréquente les A.A. mais également les bars mal famés. Comme Elrod Sykes, la star de cinéma qui se montre actif et dynamique, mais se noie dans la bière et les caprices hors des plateaux de tournage. Comme le mafieux Baby Feet Balboni, qui sous des dehors de respectable entrepreneur reste un être dont la violence peut éclater à tout moment...

Tommy Lee Jones vieillit bien
Ou enfin comme les Etats-Unis qui montrent strass et paillettes à la face du monde, mais où des cicatrices comme celles laissées par l'ouragan Katrina il y a déjà 4 ans sont encore terriblement à vif. C'est d'ailleurs l'une des bonnes idées de cette adaptation : avoir recontextualiser l'histoire du livre avec cette catastrophe récente. La dimension sociale du film n'en est que plus authentique et précieuse.
Il faut saluer aussi le travail sur les décors naturels, le respect de l'accent local, et la bande son dont le rythme jazzy et marqué par le blues cajun entraîne le spectateur dans les méandres d'une intrigue bien contemporaine. Mais dont les fils se croisent avec un passé - la guerre civile, l'esclavagisme - pas tout à fait digéré.
Si l'on connaîssait le talent outre-Atlantique pour les thrillers en tout genre, on constate encore une fois que l'Amérique maîtrise également, de façon juste et quasiment inégalée, le fait de se regarder dans le miroir pour faire face à ses erreurs. Bertrand Tavernier n'a pas trahi ce propos et celui de James Lee Burke, bien aidé en cela par un Tommy Lee Jones qui, à l'image de Clint Eastwood, vieillit décidément bien.
Nicolas MANGIN. (www.lepetitjournal.com) mardi 28 avril 2009

Dans la brume électrique (In the electric mist), de Bertrand Tavernier. Avec Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Sarsgaard... 1h57. Public averti.
Voir la bande annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18872650&cfilm=125128.html

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