Une famille française a tout quitté pour s’installer à Paï et faire de la permaculture un véritable mode de vie. Pour s’établir sur le long terme, ils ont créé une structure légale: Paï Seedling Foundation.
“Il y a autant de permaculture que de lieu et de personnes, c’est tellement lié au type de terrain, aux parcours de vies de ceux qui en font et de leurs objectifs personnels”, explique d’emblée Damien Masselis, président et créateur de Paï Seedling Foundation.
Originaire de la région de Nice, Damien Masselis était comptable à Paris avant de tout plaquer à l’âge de 25 ans et de partir pour l’Asie du Sud-Est en 2008 où il a travaillé comme professeur d’anglais et cuisinier. Sa compagne, Lyse Kong était chimiste à Paris et photographe de mariage. C’est lors d’un séjour en France que Damien rencontre Lyse, ensemble ils décident de s’installer en Thaïlande. Après une période de volontariat à Pun Pun, une ferme de permaculture à Chiang Mai, ils partent s’installer à Paï dans la province de Mae Hong Son en 2011.
La naissance de leur fils en 2014, leur fait prendre conscience qu'il est temps de lancer un projet sur le long terme, loin des sentiers battus vers lesquels une famille est normalement censée se diriger. Faisant fît des pressions de la société, ils ont dès lors créé leur propre fondation, Paï Seedling, pour bénéficier d’un statut légal et pour pouvoir travailler la terre, un métier en principe interdit aux étrangers.
Lepetitjournal.com a rencontré Damien dans leur ferme à Paï pour tenter de définir la permaculture, revenir sur les défis d’un tel projet et leurs objectifs futurs.
Quelle est votre définition de la permaculture ?
Il y a autant de permaculture que de lieu. C’est tellement lié au type de terrain, au parcours de vie de ceux qui en font et aux objectifs que c’est difficile de donner une définition unique. Pour moi, la permaculture, ce sont des concepts et des solutions qui permettent de créer des systèmes qui s’autorégulent et deviennent permanents. Il faut penser de manière cyclique, il ne peut pas y avoir d’entrants ou de déchets, si on pense un système qui se régule cela veut dire que tous les déchets du système doivent pouvoir être réutilisés comme ressources dans ce système.
Depuis cet été, nous faisons l’école à la maison, nous accompagnons les apprentissages de nos deux enfants sans les forcer. C’est aussi un élément central de la permaculture, observer comment la nature fonctionne et l’accompagner plutôt que de la forcer. Nous devons sortir de cette idée où l’on doit dominer la nature.
Pourquoi avez-vous choisi la ville de Paï ?
À Paï, il y a une variété au sein de la communauté internationale et un mélange avec la communauté locale thaïlandaise. Très vite, nous y avons rencontré Lung Son, un agriculteur thaïlandais qui avait décidé d’arrêter d’utiliser des produits chimiques et s'était mis au bio. Nous avons emménagé dans l’un des bungalows qu’il avait et nous avons appris à cultiver avec lui, à échanger sur la permaculture. Il n’avait aucune idée de ce qu’était la permaculture, mais il s’ancrait totalement dans cette vision.
FIDÈLES LECTEURS ET LECTRICES Si vous souhaitez recevoir Lepetitjournal.com Chiang Mai directement dans votre messagerie, abonnez-vous ici, c’est gratuit ! |
Nous avons travaillé avec lui jusqu’à ce que nous devenions parents en 2014. Là, nous avons pris conscience de notre responsabilité face à la société, nous avions envie de monter un projet avec plus d’ambition et c’est là que nous avons créé la fondation afin d’avoir un statut juridique légal en Thaïlande.
Pourquoi avoir choisi le statut de fondation? Quelles sont les démarches?
Nous ne pouvions pas créer une compagnie à responsabilité limitée parce qu’en tant qu’étranger nous n’avons pas le droit de travailler la terre sous ce statut, d’où le format de la fondation. Nous avons lancé les démarches en 2016, un processus lent qui a pris près d’un an avant que la fondation ne voit le jour officiellement en 2017. Nous avons commencé avec des amis thaïlandais puis en 2019, deux ans plus tard, nous avons pris la présidence de la fondation.
Ce statut nous permet de pouvoir travailler, d’organiser des ateliers, de recevoir des stagiaires, d’attirer des financements et de communiquer sur ce que l’on fait.
Quelles ont été les étapes pour aménager votre terrain et construire votre maison ?
Je ne le recommanderais à personne, mais nous n’avons pas travaillé avec un plan. Nous y sommes allés un peu au jour le jour, de manière organique, en faisant beaucoup d’essais et d’observations. Nous avons un terrain de 2.500 mètres carrés sur d’anciennes rizières, donc sur un sol argileux. Les deux premières années, nous avons planté des arbres, surtout des arbres fruitiers parce que cela prend du temps à pousser. Mais beaucoup sont morts parce que le sol n’est pas bon. Cela nous a appris qu’il fallait creuser des drains, gérer les ressources, l’apport en eau, etc.
En 2018, nous nous sommes dit que nous allions vivre sur le terrain, nous avons amené l’électricité et nous avons commencé à construire notre maison à partir d’argile rouge et de bambou. Depuis des années, je rêvais de construire ma maison. A l’aide d'un logiciel de design et avec des amis nous avons imaginé l’architecture et nous avons utilisé les techniques de construction que nous avions apprises à Pun Pun. Au total, il nous a fallu 4 ou 5 mois pour construire la maison avec des murs monolithiques de 30 centimètres d’épaisseur.
Que cultivez-vous ?
Nous avons des arbres fruitiers : bananes, papayes, mangues, tamarin, moringa, oranges, citrons, kafirs, mûres, cerises, jacquier, avocats, etc. Au niveau des légumes : pommes de terre, patates douces, salades, choux, brocolis, piments, tomates, etc. On est très bon en tomates, on a plusieurs variétés, le problème c’est que certaines sont en train de s'inter-polliniser et donc nous avons des hybrides cœur de bœuf-noire de Crimée qui sont splendides sauf que ce n’est pas maîtrisé comme culture! Comme nous n’avons pas de plans, nous plantons en fonction des graines que l’on nous donne ou que nous achetons, nous avons beaucoup de diversité, mais tout est mélangé sur une parcelle de 800 mètres carrés.
Dans un autre coin, nous avons démarré un autre potager de 100 mètres carrés qui est beaucoup plus organisé, plus linéaire et donc plus efficace. Aujourd’hui, notre stratégie est un peu différente puisque notre objectif est vraiment de devenir autonomes au niveau alimentaire, nous voulons produire beaucoup tout en restant dans une agriculture naturelle.
Justement en termes d’autonomie alimentaire et financière, où en êtes-vous ?
Le potager amène une partie non négligeable, nous mangeons un repas sur deux, même deux repas sur trois, avec les aliments du jardin. Après, pour avoir une alimentation équilibrée, il nous manque des légumineuses, des apports en protéines, nous avons les œufs de nos poules, mais ce n’est pas suffisant.
En termes de financement, au tout début, nous avions fait un appel aux financements participatifs et nous avons récolté 7.000 euros. Nous avons aussi reçu il y a trois ans une donation de 2.000 euros de Léa Nature (NDLR : un fabricant français de produits naturels). Pour le reste, nous nous sommes autofinancés.
Avec l’épidémie de coronavirus, nous avons perdu beaucoup de financement personnel, car nous n’avons pas pu rentrer en France pour travailler en tant que saisonniers. Pour compenser, nous avons lancé un projet de coopérative locale, nous avons trois familles qui nous soutiennent et, en échange de 4.000 bahts par mois, elles reçoivent des fruits et légumes.
Nous avons reçu une aide supplémentaire de l’organisation Léa Nature de 5.000 euros. Cela nous a permis d’acheter un broyeur, il y a tellement de déchets organiques qui viennent de la ferme qu’il faut vraiment qu’on puisse les transformer.
Sur le côté, Lyse et moi avons lancé nos activités de coaching en ligne. Lyse est orienté dans l’accompagnement des familles tandis que je suis plus sur les transitions de vie et plus particulièrement pour ceux qui souhaitent se mettre au vert, se tourner vers l’environnement.
Il y a six ans, nous avons fait un gros pari en décidant de poursuivre nos rêves et quand nous regardons où nous en sommes aujourd’hui, nous n’avons aucun regret. Au contraire, nous avons envie d’encourager les jeunes parents à suivre la même voie. La pression de la société sur les jeunes parents pour les faire rentrer dans le moule est à la limite du suicide social, parce qu’elle sabote les rêves des gens. Pour nous, nos enfants ont été notre plus grande motivation pour continuer à vouloir vivre dans un monde durable, pour ne pas leur refiler une poubelle où il n’y a plus d’espoir.