Rencontre avec Clovis Lemée, jeune directeur de l’Alliance française de Chiang Mai qui a relevé avec brio le défi de relancer ce lieu culturel francophone désormais autonome au sortir de la pandémie
En 2020, l’Alliance française de Chiang Mai a connu une mutation importante. Auparavant annexe de l’Alliance française de Bangkok, elle est devenue une association indépendante à but non lucratif.
Autrement dit, elle devenait autonome et devait donc désormais s’auto-financer entièrement.
Evidemment, le défi d’une telle émancipation aurait pu arriver à un meilleur moment qu’au début d’une crise historique planétaire telle que le Covid-19.
Durant les deux ans de pandémie de coronavirus, l’Alliance a ainsi vu passer deux directeurs successifs qui ont chacun dû faire face à un contexte particulièrement difficile et singulier ayant entraîné une chute sans précédent de l’activité.
Avoir réussi à trouver des candidats pour un tel poste dans une période aussi sombre fut déjà une belle prouesse, il faut bien avouer. Car il n’est pas sans dire que dénicher, même en temps normal, une personne française dument diplômée, versée dans l’art et la culture, dotée de qualités sociales, relationnelles et managériales, bonne gestionnaire, créative, montrant à la fois un profil institutionnel (capable notamment de naviguer dans le monde bureaucratique) et un esprit d’entreprise (capable d’imaginer et mettre sur pieds des activités pertinentes et surtout rentables), tout cela pour un salaire relativement modeste dans une ville secondaire en Asie du Sud-Est, c’est un peu comme chercher un mouton à cinq pattes… ou une licorne pour être plus poétique.
Au bord du précipice, sans directeur depuis plusieurs mois, le conseil d’administration a finalement trouvé la perle rare en 2022.
Agé de 33 ans, Clovis Lemée, un Français originaire du Sud-Ouest de la France, est parvenu en quelques mois à relancer l’Alliance française de Chiang Mai et lui redonner de belles couleurs. Rencontre avec ce jeune et dynamique directeur, toujours à l’écoute des visiteurs de l’Alliance…
LEPETITJOURNAL.COM : Pouvez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaissent pas encore et nous dire quel fut votre parcours avant d’arriver à Chiang Mai ?
CLOVIS LEMÉE : Je suis originaire d’un village de Dordogne que j’ai quitté pour effectuer mes études à Toulouse où j’ai fait hypokhâgne avant d’obtenir un master de Science-Po. Je tente actuellement d’enrichir mon CV en suivant des cours à distance de l’université d’Angers en vue d’obtenir un master 2 en français-langues étrangère. C’est le diplôme qui est regardé en priorité pour les candidats à des postes de responsabilité dans les Alliances françaises à travers le monde.
Une fois mes études en France terminées j’ai un peu ramé enchainant des petits boulots à Paris, d’abord dans des galeries d’art puis très brièvement dans le secteur des ONG où je ne me suis pas senti du tout à l’aise. J’étais déçu par la superficialité de ce milieu après avoir compris que c’est souvent une vitrine politique.
J’ai ensuite trouvé mon premier poste de directeur d’Alliance française à Sambava dans le Nord-Est de Madagascar. J’y ai occupé cette fonction dans le cadre d’un VIA (volontariat international en administration), contrat mis en place par le ministère des affaires étrangères pour permettre à des jeunes d’obtenir une expérience à l’international tôt dans leur carrière.
Moins d’un an après l’obtention de mon diplôme, je me retrouvais à gérer une équipe de douze enseignants et de quatre employés du secteur administratif. Le contrat VIA, d’une durée d’un an est renouvelable une seule fois. Au terme de mes deux ans à l’Alliance, j’ai décidé de rester à Madagascar et ai complètement changé de discipline en m’orientant vers le milieu agricole.
Associé avec un Français qui produisait entre autres de la vanille et du cacao, j’y a lancé une usine de transformation de produits de l’agriculture locale. Après quatre années passées à Madagascar, j’ai eu envie de passer à autre chose.
LPJ : Vous souhaitiez rentrer en France ?
CL : Ce n’était pas l’idée. Je suis parti pour Taiwan avec des projets professionnels un peu flous et dans une période compliquée, au tout début de la pandémie covid 19. Dès mon arrivé l’île de Taïwan s’est retrouvée complètement fermée au monde extérieur pendant plus d’un an. J’ai du coup profité de mon temps libre pour retourner à l’université et apprendre le mandarin de façon intensive.
Au bout de huit mois j’ai obtenu un niveau qui me rendait autonome dans la vie quotidienne, ce qui m’a permis d’enseigner en freelance le Français dans des écoles privées. Après trois années passées à Taïwan, où j’ai rencontré ma femme, j’ai souhaité m’orienter vers mes principales passions, à savoir l’art et la culture.
Je me suis mis à chercher un poste en rapport avec ces motivations et me suis à nouveau tourné vers les postes proposés par des alliances françaises. Deux possibilités s’offraient alors : Chiang Mai ou Pardubice en République Tchèque. Après avoir considéré plusieurs facteurs dont le coût de la vie et le climat puis consulté ma femme, l’option thaïlandaise s’imposait.
LPJ : Quand et comment s’est passée votre arrivée ?
CL : Sébastien Tayac, membre du conseil d’administration de l’association de l’Alliance française est venu me chercher à l’aéroport en septembre 2022. Un peu plus d’une heure après mon arrivée, nous nous sommes rendus à un vernissage d’exposition dans une galerie de Nimmanhaemin, puis un deuxième dès le lendemain.
En un peu plus de 24 heures, mon portefeuille était déjà rempli de cartes de galeristes, de collectionneurs, d’amateurs d’art et d’artistes. De quoi me rassurer quant à mon appétit en matière d’art et de culture. Je savais la Rose du Nord dotée d’un potentiel culturel avant mon arrivée mais je fus rapidement surpris par son dynamisme dans ce domaine, surtout au regard de sa taille.
LPJ : Quelles furent vos priorités durant ces premières journées à Chiang Mai ?
CL : Il m’a fallu d’abord faire un état des lieux, dresser un bilan puis établir un plan d’action. Après deux années de pandémie qui ont vu se succéder deux directeurs avec lesquels ça ne s’est pas très bien passé, principalement en raison d’un contexte particulier, la situation était devenue catastrophique.
Durant cette période les cours de français ne pouvaient plus être assurés qu’en ligne et cette activité s’est retrouvée réduite à sa plus simple expression. Vu que les cours constituent la source de revenus la plus importante de l’alliance, la situation financière était préoccupante.
Sur le plan des ressources humaines ce n’était guère plus brillant. L’équipe était réduite à sa plus simple expression et il ne restait que deux professeurs dont Thomas Baude qui est consul honoraire et donnait des cours pour dépanner.
Il fallait donc redresser les finances, recruter et faire revenir du monde à l’alliance car durant les deux premières semaines je n’ai vu quasiment personne s’y rendre malgré tous les atouts dont elle dispose. Ce lieu magnifique situé en centre-ville, doté d’un bel espace et d’un parking constitue un outil superbe. J’aurais adoré disposer d’un tel lieu à Madagascar, pays francophone avec une réelle appétence pour notre culture. Une fois ce constat effectué, il a fallu établir un plan d’action.
J’ai immédiatement mis en place les idées que j’avais commencé à mettre en forme avant de prendre le poste et j’ai réutilisé certains outils que j’avais expérimentés à Madagascar pour essayer de structurer les choses et de proposer une vraie programmation culturelle tout en impliquant plus de gens. Recruter des professeurs et des stagiaires était au cœur de ce processus pour relancer le centre de langues, le service de traduction et la partie culturelle qui intègre la cafétéria. Développer tous ces points reste au cœur de mes objectifs.
LPJ : Quelle a été votre méthode pour relancer l’activité et la fréquentation de l’Alliance ?
CL : Etant arrivé en septembre, j’ai utilisé le dernier trimestre pour préparer l’année 2023. Mais je voulais quand même organiser un évènement culturel avant la fin de l’année pour marquer le coup et signaler que l’Alliance française n’était pas morte et qu’elle allait de nouveau accueillir du contenu de qualité qui puisse être apprécié par la communauté française et les amateurs de culture en général.
L’idée pour faire simple fut de partir de l’équation suivante. Nous sommes un centre culturel français, nous avons à Chiang Mai des Français qui font du fromage et du bon pain…. Eh bien faisons un apéritif au fromage pour lancer le redémarrage de l’Alliance. Les entreprises Dofann pour les fromages et Opéra pour le pain ont tout de suite répondu présent. Il ne restait qu’à acheter du vin. L’évènement a connu un franc succès avec une soixantaine de participants.
C’était aussi une bonne manière de tâter le terrain. Cela m’a permis de rencontrer de nombreux citoyens de Chiang Mai, francophones ou non, et le signal était donné qu’il allait de nouveau se passer des choses à l’Alliance. Après cela j’ai pu me lancer dans une vraie programmation culturelle pour l’année 2023 qui a vu se dérouler une bonne vingtaine d’évènements majeurs dans le cinéma, la musique, l’art contemporain et la gastronomie.
Ma vision de la culture ici ne se limite pas du tout à ce qui est français ou francophone. C’est ouvert à toutes nationalités, cultures et langues. C’est pour cette raison que nous avons des évènements internationaux comme le "Japan film festival" que nous avons accueilli l’an dernier et encore cette année du 9 au 11 février.
Nous avons aussi ensuite reçu des artistes thaïlandais d’art contemporain sélectionnés par Myrtille Tibayrenc, une Française très active à Chiang Mai dans ce domaine ou bien une photographe birmane… Je souhaite vraiment que l’Alliance soit un centre ouvert à toute forme d’expression culturelle et artistique. Peu importe d’où elle vient.
Nous avons eu également des évènements coorganisés avec l’ambassade, comme la réception des deux réalisateurs français Emmanuel Marre et Julie Lecoustre pour la projection de leur film "Rien à foutre". Une opération qui a rencontré un franc succès.
LPJ : Quelles modifications avez-vous apportées sur le plan structurel ?
CL : L’alliance compte aujourd’hui quatre employés permanents dont le réceptionniste, la cuisinière, son mari qui est technicien, gardien et jardinier et un professeur qui travaille temps plein depuis très longtemps. Nous avons également des professeurs vacataires qui enseignent aussi bien en thaï qu’en anglais ou en chinois, la moitié de nos apprenants étant sinophone.
Pour les temps à venir, il va être nécessaire de continuer à accroître les ressources humaines. J’ai besoin d’être épaulé. Nous n’avons par exemple pas de service de communication. J’aimerais également engager un autre enseignant qui pourrait assurer la fonction de responsable ou coordinateur pédagogique. Il aurait à sa charge le pôle des professeurs et ferait le lien avec l’équipe administrative et la direction.
À terme il pourrait devenir mon adjoint pour tout ce qui est pédagogique, ce qui me permettrait d’avoir davantage du temps pour me concentrer sur les domaines culturel, administratif, stratégique et financier.
J’aimerais également que davantage de stagiaires ainsi que des jeunes Thaïlandais évoluant dans des environnements francophones nous rejoignent. Nous avons besoin de ce profil de personnes qui pensent avec cet esprit propre aux jeunes, qui savent communiquer, qui possèdent de l’énergie et de bonnes idées et qui ont de leur côté besoin d’expérience.
LPJ : Quels autres projets avez-vous pour 2024 ?
CL : Il faut améliorer la situation financière. Dès 2022 l’Alliance française de Chiang Mai s’est autofinancée à 95%. Comme je l’ai déjà dit, ses revenus sont générés principalement par les cours de Français, mais aussi par les traductions, un peu de location d’espace, les activités culturelles et la cafétéria. Pour 2023, ce pourcentage a même augmenté.
À l’avenir j’aimerais pouvoir développer des partenariats pour pouvoir monter des projets un peu plus ambitieux. C’est quelque chose qui reste difficile à mettre en place parce que je ne parle pas thaïlandais et que je suis jeune. On accorde beaucoup d’importance à l’âge et à l’expérience en Thaïlande. Je n’ai pas encore de réseaux et je suis souvent à envoyer des sollicitations qui restent lettre morte.
Sébastien Tayac m’avait, dès mon arrivée, révélé que l’espace qui servait auparavant de résidence au directeur de l’Alliance est réquisitionné pour servir de galerie d’art. L’un des premiers projets va donc être de continuer à développer l’utilisation de cet espace en parallèle de l’accroissement de l’activité culturelle. Si les cours de Français restent au cœur des préoccupations de l’Alliance, l’idée est de faire de ce lieu un véritable centre culturel et pas seulement un centre linguistique.
J’aimerais également que la communauté francophone se réapproprie l’Alliance en proposant des initiatives, qu’elle devienne un peu une association de quartier. Par exemple Philippe Rigaud, un Français de Chiang Mai m’a proposé d’accueillir un tournoi de tarot mensuel qu’il organise et qui connait un vif succès. Il accueille de plus en plus de participants grâce à la bonne ambiance et l’excellent état d’esprit qui y règnent. Sophie Lecat une autre Française qui participe très régulièrement aux activités de l’alliance organise une soirée backgammon le lundi. Ce type d’initiatives est tout à fait bienvenu. Il faut qu’il y ait de la vie, du passage à l’Alliance…
La reprise du tournoi de pétanque fait partie des projets à remettre en place. C’est pour l’instant en stand-by, le conseil d’administration ayant mis le frein quand j’ai commencé à en parler car il y a eu des problèmes comportementaux et des soucis avec le voisinage dans le passé. Mais remettre en place un boulodrome serait quelque chose de sympa.
La création d’ateliers divers m’intéresse également. Cela dépend de rencontres que je peux faire. Je fonctionne beaucoup à l’affectif. Si je vois que le courant passe avec des interlocuteurs, qu’il y a une bonne communication, ça se concrétise souvent par un projet commun.