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Comment la vibrante scène musicale de Chiang Mai navigue dans la crise

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Catherine Vanesse - Du 19 au 21 février, le 737 Music and Art Festival a attiré 650 personnes
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 10 mars 2021, mis à jour le 13 octobre 2023

Premier secteur touché dès qu’il y a des restrictions imposant la fermeture des lieux de divertissement, le secteur musical redémarre à chaque fois et promet même d'être encore plus vibrant dans le futur. 

Les restrictions sanitaires pour lutter contre l’épidémie du coronavirus et la baisse du nombre de touristes en Thaïlande ont touché le milieu musical, que ce soit les musiciens, les lieux qui organisent des concerts ou les festivals. Si la scène musicale de Chiang Mai a connu des périodes d'interruption entre avril et juin 2020 et ensuite en janvier 2021, la musique ne s’arrête jamais complètement et les musiciens et organisateurs de concerts restent optimistes pour l'avenir. Même s’il y a encore du chemin à faire pour placer la ville sur la carte des tournées de groupes internationaux.

Un secteur au ralenti

Habituellement durant la haute saison touristique, une foule d’amateurs de musique, de touristes, d’expatriés et de Thaïlandais s’agglutinent devant le North-Gate Jazz Co-op pour écouter jouer des groupes de jazz. Aujourd’hui, les spectateurs sont plus rares, mais il y a néanmoins toujours un public pour profiter des concerts qui continuent de se tenir tous les jours de la semaine. 

“Tous les soirs, nous avons trois groupes, comme avant”, explique d’emblée Pharadon “Por” Phonamnuai, fondateur de North-Gate Jazz Co-op et saxophoniste de renom. “Avant le Covid-19, nous tournions vraiment bien. Là, je dois faire plus attention, je fais jouer des groupes avec moins de musiciens, plus de performances solos, les cachets des artistes ont été réduits”, ajoute celui qui est aussi un activiste contre la pollution. 

De l’autre côté de la ville, le Thapae East Creative Venue maintient une programmation similaire à celle de l’ère pré-Covid-19. “Survivre pendant le confinement n’a pas été difficile, c’est plus compliqué de revenir, nous essayons juste de perdre le moins possible”, détaille Paul Sugar, l’un des fondateurs. “Thapae East Creative Venue n’a jamais vraiment fait de bénéfices depuis l’ouverture il y a 5 ans et demi. En même temps, si je regarde autour de moi, nous sommes toujours là alors que d’autres lieux ont dû fermer”, précise le musicien anglais qui vit à Chiang Mai depuis 23 ans. 

En 2016, Franck Légale s’était installé au bord de la rivière Ping pour ouvrir The Edge avant de le fermer en 2019. Malgré le Covid-19, il décide de rouvrir son bar-concerts sur la route Rattanakosin en juillet 2020, un pari audacieux qui a pris fin en décembre 2020. “J’ai organisé entre 40 et 50 événements sur cette période. J’ai réalisé que même si la vie musicale reprenait, plus de la moitié de la clientèle d’expatriés que j’avais l'habitude de voir était partie! J’ai aussi constaté que les gens étaient plus casaniers. Je crois que c’est l’ambiance qui fait cela et en plus ils consomment moins. C’est surtout le bar qui permet de faire tourner un lieu. Actuellement je suis en pause, on verra plus tard si je relance un projet”, raconte le Français qui vit à Chiang Mai depuis 7 ans. 

À côté des lieux qui ont fermé, ils sont encore nombreux à tenir le coup comme le Boy Blues Bar, Riverside, Warm Up, The Mellowship Jazz Club, Seven Pounds, etc. D’autres ont fermé temporairement et s'apprêtent à rouvrir tels que le Roots Rock Reggae qui s’est déplacé à Mae Rim depuis le mois de juillet et vient d’annoncer sur sa page Facebook qu’il sera bientôt de retour à côté du Zoe in Yellow. 

Tout comme les bars et les lieux de concerts, les musiciens connaissent une période de transition et de changements. Avec l’impossibilité de jouer et de nombreuses annulations de concerts ou festivals, plusieurs sont rentrés dans leur village, d’autres ont changé d’emploi et se sont lancés dans la restauration à défaut de pouvoir jouer de la musique dans les hôtels. 

bar concert chiang mai
Le North Gate Jazz Co-op continue d'assurer une programmation musicale quotidienne face à un public plus réduit (Catherine Vanesse)

“Il y a plein d'histoires individuelles, certains ont arrêté la musique pour le moment et d’autres y sont revenus”, commente Paul Sugar. “Le Covid-19 offre aussi de nouvelles possibilités parce que nous avons plus de temps. Il y a des groupes qui ont enregistré des albums depuis chez eux. Pour moi, comme tout est au ralenti, je suis en train de monter un nouveau groupe d’improvisation de jazz”, ajoute Por. 

Les restrictions sur le voyage ont néanmoins comme effet un manque de diversification dans la programmation musicale à cause des difficultés pour faire venir des groupes internationaux.

Certains musiciens ou organisateurs d’événements étrangers résidant habituellement en Thaïlande sont également coincés dans d’autres pays. 

C’est ainsi que le festival Jai Thep a dû reporter la sixième édition à novembre 2021 au lieu de l’organiser en février 2021, la plupart des organisateurs n’étant pas en Thaïlande. Pour autant, tous les festivals ne sont pas à l’arrêt et des nouveaux font leur apparition comme le 737 Music and Art Festival qui a attiré environ 650 personnes sur trois jours. “Dans l’ensemble, je suis très content, nous avions une super programmation. Par contre, je pense que trois jours c’était trop ambitieux en cette période. Nous avons eu 500 personnes le samedi alors que le vendredi et le dimanche il n’y avait presque personne”, réagit l’organisateur Damian Johnson. 

Une salle de concert

“À Chiang Mai, la musique est présente partout. Je crois que je n’ai jamais vu une telle présence musicale en live ailleurs, la musique est soit à l’avant de la scène avec des lieux dédiés aux concerts, soit en fond musical dans des bars, des hôtels, sur les marchés”, relate Paul Sugar.

“La scène musicale à Chiang Mai est formidable, il y a beaucoup de musiciens de talents : Solitude is bliss, Sanim Yok, Rasmee, Dirt Doll, Swan Bay Rock, Dead as Disco, Croissant Band, les DJ qui tournent via Prod Inferno et Puretek tel que Nakara ou DJ Jeremy.

Par contre, il manque une vraie salle de concert avec une bonne acoustique”, commente Muriel Milligan, une Française qui a fait venir en France le groupe thaïlandais Stylish Nonsense et qui travaillait sur un projet de tournée avec Rasmee avant le Covid-19. “Il y a un réel intérêt de la part des programmateurs en France pour Rasmee, je pense qu’une fois que les voyages seront plus simples, elle sera la première artiste thaïlandaise que je ferai venir en France”, ajoute-t-elle. 

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Lors de son édition en 2019, le festival Jai Thep avait programmé le groupe birman The Rebel Riot. A défaut de véritable salle de concerts, beaucoup de groupes étrangers passent plutôt par les festivals pour tourner en Thaïlande. (Catherine Vanesse)

Batteur dans le groupe Dead as Disco, le programmateur Franck Légale pointe aussi l’absence d’une salle de concert. “En Thaïlande, il n’y a pas la même culture des concerts qu’en Europe. Ici, la musique s’écoute dans les festivals ou dans les bars assis autour d’une table, il n’y a pas de salles de 100-200 ou 300 personnes avec de vraies découvertes musicales. Du fait qu’il n’y ait pas de salle, c’est difficile de faire venir des groupes internationaux. Pour le moment, il n’y a pas cette volonté de voir Chiang Mai rayonner en tant que lieux de concerts, en tant qu’étape supplémentaire après Bangkok lors d’une tournée. Mais cela change avec la nouvelle génération”, développe Franck.

Premier bar jazz, le North-Gate Jazz Co-op a ouvert il y a 14 ans. Depuis, la ville compte au moins 4 autres clubs de jazz et plus d’une centaine de groupes de jazz. Le département de musique de l’université de Payap et le nombre croissant d’écoles de musique aident aussi au développement de la scène musicale auprès d’une génération de jeunes thaïlandais. 

Avant le Covid-19, il y avait trois sortes de publics : les touristes, les expatriés et les Thaïlandais, avec des scènes qui ne se mélangeaient pas toujours. Avec l’absence de touristes, la plupart des lieux ont vu leur public changer et passer d’une fréquentation de 70 ou 80% d’étrangers à 80% de Thaïlandais. De plus en plus d’expatriés explorent la scène thaïlandaise. Du côté des groupes, une créativité nouvelle apparaît. Souvent connus pour être très bons pour faire des reprises de chansons, de plus en plus de musiciens osent aller vers des compositions musicales originales.

“En tant que musicien face à un public, c’est plus facile de faire une bonne reprise que de présenter une chanson personnelle où c’est plus risqué. Chiang Mai compte six universités, finalement nous sommes dans une ville très jeune. Le contexte socio-économique et politique dans lequel nous vivons, pousse les artistes et la jeunesse à plus de créativité et un besoin de s’exprimer. Je pense que la scène musicale après le Covid-19 sera beaucoup mieux”, conclut Por. 

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