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L’avortement en Inde en 2022

une Indienne enceinte et une Indienne portant son bébéune Indienne enceinte et une Indienne portant son bébé
Écrit par Annick Jourdaine
Publié le 30 juin 2022, mis à jour le 6 octobre 2024

Le monde entier semble abasourdi par la récente décision de la Cour suprême américaine révoquant son arrêt du 22 janvier 1973 reconnaissant le droit à l’IVG comme un droit constitutionnel. Dans son édition du 28 juin, The Hindu relatait cette mesure et faisait le point sur la loi indienne en matière d’interruption volontaire de grossesse. 

 

L’avortement est autorisé en Inde depuis la loi de 1971

Après plus de dix ans d’étude par une commission spéciale, le parlement indien adoptait en 1971 the Medical Termination of Pregnancy act - MTP Act

Petit à petit, la loi a été précisée par différents amendements. Jusqu’en 2020, elle autorisait l’IVG dans les cas suivants : 

  • Risque pour la vie de la mère
  • Risque d’une atteinte très grave à la santé physique ou mentale de la mère
  • Risque avéré de graves malformations de l’enfant à naitre
  • Grossesse causée par un viol 
  • Echec des contraceptifs utilisés par une femme mariée ou son mari 
  • Conditions socio-économiques de la famille difficiles, avec un couple qui a déjà 2 à 3 enfants

Le délai d’interruption de grossesse était fixé à 12 semaines sur avis d’un seul médecin et à 20 semaines avec la validation de deux médecins. 

 

Elargissement du champ d'application de la loi sur l'avortement en Inde en 2021

La révision de la loi indienne à partir de 2021 a levé certaines restrictions et améliorer les droits des femmes :

  • La clause de mariage est abandonnée. Auparavant, seule une femme mariée pouvait obtenir un IVG en cas d’échec de contraception.
  • Tous les Etats ont l’obligation de mettre en place une commission médicale pour juger des demandes relatives aux malformations fœtales et prendre position sur une éventuelle autorisation d’avorter. La commission doit donner son avis dans les trois jours qui suivent la demande.
  • Un médecin ne peut révéler les coordonnées d'une femme dont la grossesse a été interrompue qu'à une personne autorisée par la loi. 

L’amendement de 2021 a également prolongé la limite d’avortement jusqu’à 24 semaines de grossesse pour des cas spécifiques (rappelons qu’en France, le délai limite pour l’IVG est de 14 semaines) : 

  • Femmes ayant subi des abus sexuels, un viol
  • Changement de statut marital au cours de la grossesse, la femme étant devenue veuve ou divorcée
  • Femmes handicapées (physiques ou mentales)
  • Anomalies fœtales présentant un risque de décès ou pouvant entrainer un grave handicap
  • Grossesses dans des contextes de catastrophe ou d'urgence

 

Femme indienne avec ses enfants sur la plage de Pondichéry en hiver

 

 

Des statistiques sur l'avortement peu fiables en Inde

Selon les sources, le nombre d’avortements volontaires pratiqués par an en Inde est très variable. Les données sont peu fiables entre les avortements non souhaités (fausses couches), les avortements réalisés dans des services agréés et les avortements illégaux.  

Une étude publiée en décembre 2017 estime le nombre d’avortements pour grossesses non désirées en Inde en 2015 à 15,6 millions dont seulement 22 % auraient été effectués dans un établissement de santé. 

Une publication de 2022 du Fonds des Nations Unies pour la population évalue à 121 millions le nombre de grossesses non désirées dans le monde chaque année, dont une sur sept, soit 17,3 millions, en Inde. Au niveau mondial, 61 % des grossesses non désirées se termineraient par un avortement provoqué.

 

Le taux d’avortement indien serait de 47 femmes pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans. Pour la même année, il était de 13,9 femmes pour 1000 âgées de 15 à 49 ans en France. 

 

A noter qu’une étude de 2015 sur huit Etats indiens place en tête le Tamil Nadu parmi les états où le taux d’avortement est le plus faible (32,8 pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans).

 

L’avortement reste une cause majeure de décès pour les femmes en Inde

Les suites d’un avortement constitueraient la troisième cause de décès des femmes en âge de procréer en Inde. 

Pour lutter contre les avortements réalisés dans des conditions dangereuses, la loi a imposé qu’ils soient pratiqués :

  • par un médecin agréé (inscrit au registre médical, possédant une formation en gynécologie et obstétrique)
  • dans un établissement de santé public ou privé approuvé par le gouvernement. 

 

Malgré ce cadre, les avortements illégaux continuent à être majoritaires pour plusieurs raisons : 

  • les médecins et centres habilités ne sont pas assez nombreux, principalement à la campagne
  • dans le secteur privé, le coût de l’intervention est un obstacle
  • malgré la loi, le risque de manque de confidentialité rebute certaines femmes
  • les préjugés et manque de formation de certains professionnels de la santé limitent les droits à l’avortement
  • l’information des femmes sur la loi et le délai à respecter reste insuffisante.

 

Femme et sa petite fille à Chennai

 

 

La stérilisation définitive est le moyen de contraception le plus fréquent en Inde

 Selon la dernière enquête nationale sur la santé de la famille, réalisée entre 2019 et 2021, 37,9 % des femmes indiennes mariées et en âge de procréer sont stérilisées. Le phénomène, à la fois rural et urbain, est même en augmentation par rapport à la précédente enquête de 2015-2016, où le taux de femmes stérilisées s’établissait à 36 %.

La stérilisation masculine est par contre une option utilisée par seulement 0,3 % des couples.

 

Toujours selon la même étude, seules 5,1 % des femmes prennent la pilule contraceptive. En comparaison, en France, plus de 30 % des femmes prenaient la pilule contraceptive en 2016, et la stérilisation définitive restait rare (4,5 % des femmes), selon un baromètre de Santé publique France.

Le faible niveau de recours à un moyen contraceptif est à mettre en perspective avec les données de l’étude déjà citée sur huit états indiens. En 2015, 43 % des grossesses déclarées dans le Tamil Nadu étaient non désirées. Le pourcentage grimpe jusqu’à 89 % pour le Bihar. Dans le Gujarat, 75 % des grossesses étaient non souhaitées. 

 

femmes regardant la mer à Chennai

 

L’avortement toujours utilisé pour éliminer les fœtus féminins en Inde

En 2019, un article de presse s’étonnait que dans un district rural de l’Uttarakhand aucun bébé de sexe féminin ne soit né au cours des trois derniers mois (sur 216 naissances). Une illustration de la persistance des pratiques de sélection pré-natale en fonction du sexe. 

En 2011, une étude avait révélé que près de 12 millions de fœtus féminins avaient été avortés en Inde ces trente dernières années.

 

Pourtant, faire des examens prénatals (échographie, amniocentèse) pour déterminer le sexe du fœtus est puni par loi depuis 1994.

Une modification en 2002 a renforcé les sanctions : jusqu'à trois ans de prison et une amende de 10 000 roupies lors de la première dénonciation et 50 000 lors de la deuxième et suivantes.

 

Affiche dans un centre d'échographie indien sur l'interdiction de la détermination du sexe du foetus

 

 

En 2015, le gouvernement a lancé une campagne pour faire appliquer la loi, souvent détournée par des cliniques privées. "N'avortez plus de vos filles", clamait alors Narendra Modi, en préambule de cette campagne baptisée Beti Bachao Beti Padhao (ndlr : sauvons les filles, éduquons les filles)

L’ambition était de corriger le déséquilibre hommes-femmes du pays.

 

logo de la campagne pour éduquer les filles beti bachao beti padhao
logo de la campagne pour éduquer les filles beti bachao beti padhao

 

 

En 2020, la situation n’est toujours pas réglée car l’Inde enregistre 929 naissances filles pour 1000 garçons. En France, pour la même période, c’est l’équilibre parfait.

A noter là également, de grosses disparités au niveau géographique. Les états du Sud sont plutôt « bons élèves », avec un ratio pour le Tamil Nadu de 995 filles pour 1000 garçons. Par contre, plusieurs états du Nord affichent des ratios inférieurs à 900 : Delhi 866, Pendjab 893, Sikkim 883 …

 

Les avortements sélectifs sont donc toujours pratiqués pour favoriser les garçons et pas seulement dans le milieu rural. La preuve, le ratio de Delhi.  Les raisons sont nombreuses : la religion, le maintien du patrimoine par l'héritage patrilinéaire, l'honneur de perpétuer le nom familial et, bien sûr, des raisons économiques.

La dot à payer pour marier les jeunes filles, pourtant interdite en Inde depuis 1961, reste le problème principal. Cette dot qui prend parfois des proportions incroyables explique le nombre élevé de familles « nouvelle classe moyenne » qui ont recours à l’avortement sélectif. 

 

 

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