À Phnom Penh fleurit à la fin du printemps et pendant tout l’été une fleur adorée des Phnompenhois, même si elle leur évoque des souvenirs douloureux…
On trouve en Asie du Sud-Est, et notamment au Cambodge, une espèce dont le nom khmer signifie littéralement « goyavier sauvage » (ត្របែកព្រៃ [trâbaek prey]). Cette espèce n’a en réalité absolument aucun lien de parenté avec le goyavier proprement dit (Psidium guajava), qui, lui, est originaire des régions tropicales d’Amérique. Connu en anglais sous le nom de « Thai crepe myrtle » (« crepe myrtle » est le nom anglais générique du genre Lagerstroemia), le « goyavier sauvage » est en fait une autre espèce du genre Lagerstroemia : L. floribunda, pour laquelle je n’ai trouvé aucun nom en français.
En Thaïlande, cet arbre est le symbole de la province de Saraburi. Au Cambodge, d’aucuns prétendent que cette fleur est celui de la ville de Phnom Penh, mais c’est douteux. Cette assertion vient sans doute d’un poème célèbre, écrit à Phnom Penh par Sim Chanya et chanté par Dy Sakhon, une chanteuse de Phnom Penh (la traduction de ce poème se trouve à la fin de cet article).
Dans son Dictionnaire des plantes utilisées au Cambodge (p.393), Pauline Dy Phon explique qu’il s’agit d’un arbre pouvant mesurer de 8 à 40 mètres de haut, poussant dans les forêts denses et semi-denses des péninsules indochinoises et malaises, souvent planté comme ornemental le long des avenues. On peut le rencontrer fréquemment à Phnom Penh. L’espèce est parfois confondue avec L. indica, le lilas d’Inde.
Le ministère cambodgien de la Santé, dans son ouvrage Plantes médicinales du Cambodge, explique que les feuilles, l’écorce et les fruits de L. floribunda ont des vertus médicinales : prise en infusion, l’écorce sert à soigner la diarrhée ; les feuilles et les fruits murs ont les mêmes vertus que l’insuline et permettent de traiter le diabète ; enfin, des recherches auraient démontré que l’espèce pouvait aussi être utilisée pour traiter l’obésité. Dans leur Flore photographique du Cambodge (p. 333), Mathieu Leti et al. rapportent aussi que la feuille, l’écorce et le fruit mûr sont antidiabétiques et ajoutent en outre qu’ils sont anti-diarrhéiques et toniques.
Le site Useful Tropical Plants ignore les vertus médicinales de la plante, mais précise que le duramen de L. floribunda, de couleur rouge-brun clair, prend une teinte plus foncée lorsqu’il est exposé à l’air et que c’est une essence appréciée. Le bois résiste bien à l’eau, aussi est-il souvent utilisé, notamment en Thaïlande, pour la fabrication d’embarcations ; il sert aussi à confectionner des éléments de décoration d’intérieur, des meubles de haute valeur, des planchers, des sculptures. Au Cambodge, il est parfois victime d’abattage illégal, notamment dans les provinces frontalières avec le Vietnam, pays vers lequel il est exporté en contrebande.
Quant à la magnifique inflorescence mauve de l’espèce, elle est très appréciée pour sa grande beauté et sa délicatesse ; elle a notamment inspiré la poétesse Sim Chanya, qui a composé au début des années 1970 un poème patriotique très connu des Cambodgiens, intitulé « Adieu, fleur de goyavier sauvage », dans laquelle elle évoque la guerre civile qui faisait alors rage (1967-1975) entre les forces gouvernementales d’une part, et la guérilla Khmère rouge aidée des Vietnamiens de l’autre. Le poème fut chanté à l’origine par Dy Sakhon, rendue célèbre grâce à cette chanson. La chanson a depuis été reprise de nombreuses fois.
Voici la traduction du poème :
Adieu, fleur de goyavier sauvage
Ô, fleur mauve, fleur à la couleur d’un cœur léger
Tu n’es que regrets et nostalgie
Maintenant qu’il n’y a plus rien à espérer…
Je te contemplais, je t’aimais en secret
A chaque fois que la bruine tombait…
Mais l’espoir s’éloigne inexorablement
Ô ma fleur, ô ma fleur mauve
Je devrais être rassasiée de toi…
Mais mon cœur aujourd’hui brûle de colère
Le spectacle de la mer qui était si joyeux
A changé désormais ; et tous les temples
Sont maintenant maculés de sang
Adieu, adieu ma fleur de goyavier sauvage
Qui pousses dans la ville, c’est avec tristesse que je te dis adieu
Moi qui suis aussi faible que toi
Mais mon cœur ne doit plus se taire, il doit venger le sang des Khmers
L’exécrable ennemi viole nos frontières
Fleur de goyavier sauvage, fleur de mon cœur
Le canon tonne, il fait trembler ta tige
Et fait vaciller le cœur des derniers survivants
De ma main, je détache un brin
Le fiche dans mes cheveux, et me rue au combat.
(Les paroles en khmer sont disponibles .)
Signalons enfin que la romancière contemporaine Mao Samnang a publié en 2006 un roman sentimental intitulé Fleur de goyavier sauvage et que le Lakhon Bassac, genre populaire de théâtre cambodgien, possède à son répertoire une pièce portant le même titre.
Ci-dessous, l’enregistrement de l’interprétation de Dy Sakhon sur Youtube :
Article préalablement publié sur Tella Botanica