L’épidémie a repris dans le Royaume. On se croyait pratiquement tiré d’affaire. Le pays n’avait pas enregistré de nouveau décès pendant un mois et demi. Hélas, l’arrivée du variant Omicron est venue brouiller les cartes. Le ministère de la Santé a déploré 17 morts en une semaine et les chiffres de contamination sont les plus hauts jamais enregistrés depuis que ne sont comptabilisés que les résultats tests PCR (356 nouveaux cas déclarés ce matin, tous omicron)
Pourtant, jamais le taux de vaccination n’a été aussi haut (91,02% aujourd’hui) et le Premier ministre a exclu le recours à de nouveaux confinements.
Devant cette situation qui peut paraître confuse, lepetitjournal est allé rencontrer Pascal Catry, pharmacien, patron de Ucare Pharmacy, installé dans le pays depuis 6 ans, pour qu’il nous livre son analyse et ses conseils de professionnel de santé.
Lepetitjournal : Bonjour Pascal, en tant que professionnel de santé, quelle est votre point de vue sur la situation de l’épidémie de Covid 19 au Cambodge ?
Pascal Catry : Le ministère de la santé l’a annoncé, nous sommes dans une situation d’augmentation exponentielle du nombre de cas d’infections. Cette situation est essentiellement due au variant Omicron, dont la contagiosité est largement supérieure à celle des autres variants, et qui représente sans doute aujourd’hui plus de 90% des virus Covid circulant au Cambodge.
LPJ : Pensez-vous qu’il y ait lieu de s’inquiéter ?
PC : Le passage à une nouvelle vie avec Covid, prôné par le gouvernement, a parfois tendance à être interprété comme un retour à une vie normale, avec l’arrêt des mesures de précaution. Or nous sommes loin d’être revenus à une vie avant Covid. Grâce à la vaccination massive, le risque d’effet de l’épidémie sur la mortalité reste faible. Cependant, le virus n’a jamais été aussi présent, et en permettant une contamination massive, la population s’expose mathématiquement à un risque plus élevé de complications, d’hospitalisations, voire de décès. Donc la situation n’est pas alarmante, mais la population doit continuer de faire attention.
LPJ : Selon vous, et d’après ce que vous vivez au quotidien au sein des pharmacies Ucare, la gravité de la situation est-elle sous-estimée ?
PC : Lorsque je vois le nombre de tests rapides ou de boîtes de Molnupiravir* vendus dans nos pharmacies ces derniers jours, quand je vois les files d’attente devant le ministère pour obtenir des traitements, il me semble évident que le nombre de cas positifs déclarés (suite à un test PCR) est largement en-deçà de la réalité. La facilité de pouvoir se tester soi-même permet une réaction rapide, en revanche elle entraîne une perte de données statistiques pour les professionnels de la santé publique, ce qui rend moins utiles les outils de modélisation et de projection, et limite la possibilité de prendre des mesures à l’échelle de la population.
Trois précisions pratiques :
- Nous avons des stocks de masques, tests rapides et traitements antiviraux, il n’y a pas lieu de faire des réserves, et nos prix restent stables
- Le Molnupiravir n’est pas une molécule miracle, son utilisation ne doit pas être systématique, même si elle réduit la durée de l’infection et certains symptômes
- Le traitement actuel dans la plupart des cas réside dans le renforcement de la réponse immunitaire de notre organisme, et dans l’atténuation de symptômes pouvant être gênants : fièvre, douleurs, toux, écoulement nasal,…
LPJ : Le premier ministre a annoncé qu’il n’y aurait plus de verrouillage du pays. En tant que pharmacien, mais aussi chef d’entreprises, que pensez-vous de ce tournant dans la politique de lutte contre la pandémie ?
PC : Si, comme on l’a vu en Europe, l’augmentation des cas positifs entraîne une augmentation des hospitalisations et des décès, l’autre risque majeur lié à une flambée des cas est une paralysie économique du pays. La réouverture des frontières et l’arrêt d’une politique de gestion de masse ont été des paris audacieux mais nécessaires pour que l’économie du royaume ne sombre pas. Le Cambodge a désormais une bonne avance sur les pays voisins et c’est un atout majeur pour son tourisme comme pour attirer les investisseurs. Cependant, si les étrangers qui arrivent se retrouvent contaminés lors de leur séjour, cela risque de mettre des grains de sable dans les rouages de ce système. D’autre part, lorsque 80% des employés d’une entreprise sont cloués chez eux car positifs, difficile de maintenir une activité…
LPJ : D’après vous, comment maîtriser l’augmentation du nombre de cas dans ce nouveau modèle de vie avec la Covid 19 ?
PC : Le contrôle de la situation sanitaire et économique est désormais en grande partie entre les mains de chacun d’entre nous, et repose sur la responsabilité individuelle. Il appartient donc à chaque individu, à chaque chef d’entreprise, à chaque directeur d’école, de respecter les mesures de précaution de base qui ont tendance à être négligées ces derniers temps : port du masque, lavage des mains, respect d’une certaine distance entre individus sont plus que jamais des gestes à maintenir. Eviter les réunions de personnes comme les mariages ou les fêtes, au moins se tester avant de se retrouver en contact avec un groupe de personnes, s’isoler en cas de test positif jusqu’à disparition des symptômes et retour à un test négatif, favoriser le télétravail, sont également des attitudes qui relèvent du bon sens. En cas de contamination, il faut également penser à conserver ses déchets souillés (mouchoirs, masques, tests utilisés) dans une poubelle réservée à cet effet, pendant au moins 48h, avant de les jeter.
LPJ : On est donc loin aujourd’hui de la politique « zéro Covid », cela veut-il dire que la solution réside en un « freinage » des contaminations ?
PC : Oui c’est cela. Il est impossible aujourd’hui de prétendre réduire le risque de contamination à 0%, et chacun doit considérer qu’il sera un jour ou l’autre en contact avec le virus. C’est bien ce qui a été évoqué avec la notion de nouvelle vie avec la Covid 19. Aujourd’hui, il faut surtout éviter une explosion massive des cas, par négligence, ce qui a bien sûr des effets sanitaires, mais aussi économiques si trop de personnes à la fois sont immobilisées à cause du virus. Et en tant qu’étrangers, nous avons un devoir particulier d’exemplarité envers ce pays qui nous a généreusement accueillis et inclus dans leur programme de lutte contre la pandémie.
*Le molnupiravir, est un antiviral à large spectre, initialement destiné à soigner la grippe et l'hépatite C. L'Agence européenne des médicaments a autorisé son utilisation pour les personnes à risque atteintes de Covid-19 dans des formes légères à modérées, au tout début de la maladie.