L’exposition « In Between Breaths » d’Éléonore Sok s’ouvre aujourd’hui mercredi 20 novembre à Java Creative Cafe à Toul Tom Poung, dans le cadre du programme associé au festival Photo Phnom Penh. L’évènement rassemble une puissante collection d’images créées par l’artiste transdisciplinaire en tant qu’interprète et en collaboration avec d’autres artistes de la performance, dont New Cambodian Artists et Eric Ellul.
L’exposition présente trois séries de photos performatives qui tirent leur sens des lieux spécifiques où elles ont été créées. Pour ces œuvres, Eléonore Sok utilise la performance, l’art visuel et la poésie afin d’explorer des thèmes personnels et sociaux, déconstruire l’identité, remettre en question les attentes liées au genre et révéler les nuances des expériences individuelles.
Le Petit Journal : Quelles photos verrons-nous dans votre expo ?
Eléonore Sok : Elle est composée de trois séries photos, "Mok Pi Na ?" (D’où viens-tu ?), mon premier travail personnel entamé lors d’un atelier à Angkor Photo Festival en 2017. C’est la première fois que je m’autorisais à aborder des questions autour de mon identité métisse franco-cambodgienne, notamment à travers l’autoportrait. Il y a aussi "Kat Sok !" (Coupe tes cheveux !) qui m’a été inspirée en 2018 par mon compagnon, l’éducateur et danseur Eric Ellul, lui aussi un « kon kat ». C’est une exploration ludique de son rapport à sa mère, cambodgienne, et aux attentes quant au rôle de l’homme dans la société, à travers l’imagerie de ses longs cheveux que sa mère désapprouvait. En filigrane, une manière d’aborder son propre rapport à son identité et au Cambodge. Enfin, la plus récente, « Seeds and Sap » (Graines et Sève), qui a voyagé en France en Inde et au Japon, a été conçue en collaboration avec les danseuses contemporaines New Cambodian Artists. C’est une série photo in situ, née dans la nature à Siem Reap. En écho avec les préoccupations des NCA, j’ai mis en scène leur sentiment de décalage, d’étrangeté, et de rébellion face aux attentes normatives de la société cambodgienne ; se marier, fonder une famille, avoir un corps féminin, mis en tension avec leur désir d’émancipation en tant que femmes et qu’artistes, dans une quête d’autonomie, de liberté, et de survie aussi. Leurs conditions de danseuses contemporaines étant assez précaire. Chaque série a initié la suivante, donc ça avait du sens de les présenter ensemble, dans une continuité.
LPJ : D’autant plus que dans chaque série il y a un travail important sur le corps ?
E.S : Oui, la dimensions physique était importante dès Mok Pi Na ?, mais à l’époque je ne m’en étais pas rendue compte, j’ai toujours travaillé de manière instinctive. Comme je n’avais que moi sous la main, j’ai travaillé sur mon propre corps. Et puis, en évoluant vers les milieux du théâtre, de la danse, et la performance, il m’a ensuite semblé naturel d’intégrer des personnes qui m’étaient proches, qui m’interrogeaient, m’inspiraient. Notre corps est notre maison, le lieu de nos histoires, de nos tensions, de nos contradictions. Il abrite notre mémoire, ce qui nous compose. Lors de nos virées photographiques avec les danseuses, par exemple ; j’installais le cadre leur permettant d’entrer en contact avec l’environnement, et souvent elles se lançaient dans des explorations dansées, avant que je déclenche l’obturateur.
LPJ : C’est pour cela que vous nous proposez aussi d’assister à une performance ?
E.S : Oui, les personnages interprétés par Eric Ellul dans « Kat Sok » et Ny Lai et Khun Sreynoich de NCA dans « Seeds and Sap » vont se rencontrer sur scène pour la première fois ! Ils vont sortir du cadre – plus contraignant – de la photographie, pour se déployer, expérimenter et s’approprier un nouvel espace, ensemble, au cours d’une improvisation. Ils vont chercher le souffle du lieu et du moment.
LPJ : Que représente pour vous le souffle de ce titre « In Between Breaths »
E.S : C’est ma curatrice, Dana Langlois, de Java Creative Café, qui l’a trouvé, avec le recul nécessaire sur l’ensemble de mes productions. Pour moi, le souffle c’est l’élan vital. C'est lui qui m’a poussée à entamer cette quête au Cambodge, à explorer de nouvelles disciplines, à établir de nouvelles connections, à affirmer un besoin de dire, la nécessité d’exprimer quelque chose d’intime, de faire sortir la parole ! J’ai écrit des textes poétiques en écho aux images exposées. Cela offre un nouveau regard - une densité, du relief, une réinterprétation parfois -, sur ces images familières, je les redécouvre. Je tenais à lier ces mots à la parole et au souffle, à les faire vivre au-delà du papier, donc nous avons prévu une lecture performative pour le vernissage. Comme j’écris dans ma langue maternelle, le français, et que j’ai envie de la partager ici au Cambodge, ils ont aussi été traduits en anglais et en khmer, et nous allons les faire vivre à trois voix avec Vinich Virak, une actrice d’Acting Art Academy, et ma collègue franco-britannique Claire-Anne Haines, pour qui c’est une première. C’est une tentative d’établir des ponts entre les langues, de désenclaver les univers culturels et les représentations mentales. Et c’est un sacré défi en traduction, notamment de traduire de la poésie en Khmer. Mais je suis ravie d’expérimenter ça sur scène si bien entourée !
Programme:
- Mercredi 20 Novembre 2024 18h-20h : Vernissage + Lecture performative
- Mercredi 27 Novembre 2024 18h30 : Performance avec New Cambodian Artists et Eric Ellul
- Lundi 20 Janvier 2025 18h30 : Clôture et discussion avec l’artiste