Édition internationale

Après le cessez-le-feu Cambodge-Thaïlande par  Raoul M. Jennar

Raoul M. Jennar revient sur l’accord de cessez-le-feu avec la Thaïlande, les enjeux de la frontière et les limites d’un compromis sans justice internationale.

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photo ; ministère de l Information
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 31 juillet 2025, mis à jour le 6 août 2025

Billet

Nos braves soldats, les quasi 169.000 personnes qui ont fui les zones de combats et vivent dans la précarité, tout le peuple cambodgien solidaire des plus exposés dans ce conflit, tous, nous nous réjouissons qu’intervient ce que le Premier Ministre Hun Manet demandait depuis le premier jour : l’arrêt inconditionnel des combats.

Le peuple cambodgien animé par un authentique patriotisme – à ne pas confondre avec le nationalisme qui pousse à la haine des autres – a manifesté une généreuse solidarité avec les victimes innocentes de ce conflit que le Cambodge n’a jamais voulu.

Et maintenant ? C’est la question que se pose chacun sur les rives du Mékong et du Tonle Sap, mais aussi tous les vrais amis du peuple khmer dans le monde.

  1. Ce lundi 4 août, il va y avoir une réunion du « General Border Committee ». Des réunions de ce genre, il y en a depuis 2000, après que les deux pays ont signé un document qui a valeur de traité et qu’on appelle un Memorandum of Understanding. Ce document prévoyait qu’on allait procéder à la démarcation de la frontière sur la base des accords franco-siamois de 1904 et de 1907 et des cartes qui en avaient résulté et que la Thaïlande a acceptées pendant 50 ans. C’est-à-dire aussi longtemps que le Cambodge était protégé par la France.

Vingt-cinq ans plus tard, ces négociations bilatérales n’ont rien donné. C’est la raison pour laquelle le Premier Ministre Hun Manet a exprimé son intention d’avoir recours à l’arbitrage de la Cour Internationale de Justice (C.I.J.). Ce dont la Thaïlande ne veut à aucun prix.

Le Cambodge s’appuie sur les seules cartes légales dont l’importance a été soulignée par la C.I.J. en 1962 et de nouveau en 2013. La Thaïlande présente des cartes qu’elle a elle-même conçue, qui sont à son avantage, mais qui ne sont que des documents unilatéraux rejetés par la C.I.J. en 1962 et en 2013.

En présence de ces deux approches, quel compromis est possible ?

C’est en fait l’impasse dans laquelle on se trouve depuis 2000. Le Cambodge ne réclame que le respect de ce qu’il a hérité de l’histoire, en accédant à l’indépendance et, en cela, il respecte le droit international qui proclame l’intangibilité des frontières issues de la colonisation. Et il faut au Cambodge beaucoup de courage, car la colonisation lui a enlevé au profit de la Cochinchine française des territoires qui lui appartenaient. Il suffit d’aller sur le Phnom Bokor pour voir, en face de Kampot, la plus grande île du Golfe de Thaïlande, qui appartient désormais au Vietnam suite à une décision de gouverneur de l’Indochine en 1939. Mais le Cambodge se plie au droit international. Pas la Thaïlande.

La Thaïlande qui a, au fil des siècles, absorbé les deux tiers de ce que fut l’immense empire khmer, n’en a pas encore assez. Son armée, qui entretient un nationalisme irrédentiste, continue d’avoir des prétentions sur des territoires cambodgiens. D’où les cartes avancées unilatéralement, sans valeur juridique, qu’elle entend faire accepter par le Cambodge.

On mesure l’ampleur de l’impasse. Le bon sens voudrait que les deux parties s’en remettent à la sagesse d’une Cour Internationale de Justice dont les jugements s’inscrivent fidèlement dans l’impartialité du droit international. Mais la Thaïlande refuse radicalement ce recours et on a d’ailleurs beaucoup de raison de penser que son agressivité présente s’explique par la crainte de voir la Cour se saisir de cette affaire, malgré le refus de Bangkok.

Chacun doit être bien conscient que le cessez-le-feu actuel ne signifie pas la fin de la crise entre les deux pays. Et que l’amour de la paix n’est pas nécessairement le sentiment le plus partagé.

 

Biographie de l’auteur

Raoul Marc Jennar est docteur en sciences politiques et en études khmères. Diplômé des universités belges et françaises, il est titulaire d’un doctorat de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris, pour une thèse consacrée aux frontières du Cambodge contemporain. Spécialiste reconnu de ce pays, il a été consultant pour l’Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge (APRONUC), pour l’ONG Enfants du Mékong, puis pour l’Union européenne. Il a également servi comme expert des Nations unies auprès du tribunal chargé de juger les anciens dirigeants du régime khmer rouge. Il a été conseiller du gouvernement cambodgien en matière de politique étrangère. Installé au Cambodge depuis de nombreuses années, où il enseigne l’histoire et la politique étrangère à l’Institut national de la diplomatie et des relations internationales, il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le royaume.

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