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SOCIETE – Soprach Tong, de l’importance de l’esprit critique

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

Soprach Tong a 35 ans. Il est chroniqueur dans la version khmère du Phnom Penh Post et consultant dans le domaine de la santé publique. Lepetitjournal.com l'avait rencontré à TedX, en octobre dernier. Il y animait un atelier de réflexion critique : c'est son cheval de bataille

Soprach est diplômé de l'Université du Cambodge, où il a effectué l'intégralité de ses études. Après un bachelor en chimie qui devait le conduire tout droit vers l'enseignement, et, qui sait, vers des responsabilités au sein du gouvernement, il change d'aiguillage. Il s'inscrit à un programme du Fonds des Nations Unies pour la Population. Sa candidature est retenue et il étudie la démographie six mois durant. Puis il décroche un master en Santé Publique. Il visite certains pays occidentaux, dont la plupart des pays d'Europe durant deux mois environ. Ces expériences l'influencent aujourd'hui dans la rédaction de ses chroniques, publiées chaque lundi dans la version khmère du Phnom Penh Post. A ses études, Soprach ajoute des cours de Français au Centre Culturel. Il est confronté à des méthodes d'apprentissage bien différentes de celles qu'il a expérimenté jusqu'alors : "Qu'est ce que tu penses de ça ? Pourquoi ?" sont des questions qui lui sont posées à chaque séance. "Les enseignants ne me jugeaient pas... Il n'y avait pas de réponse juste ni de réponse fausse : c'était nouveau pour moi." précise Soprach. Sous l'influence de sa mère, Soprach lit les journaux depuis quelques années, notamment anglophones : il décide de leur appliquer ce mode de raisonnement. Dès 2007, il écrit des commentaires aux rédacteurs en chef : "j'ai considéré les journaux comme une chance d'exprimer mes idées". En 2009, on lui propose de tenir une chronique, il hésite deux ans avant d'accepter. Depuis le mois de février, chaque lundi, il écrit sur un sujet de son choix.

Soprach Tong, chroniqueur pour la version khmère du Phnom Penh Post. (Crédit photo : Laure Delacloche)

Des besoins critiques au Royaume
Cependant, le chemin qu'il a parcouru ne lui fait pas oublier les besoins du Cambodge en matière d'apprentissage de la réflexion critique. Pour toucher la jeunesse cambodgienne, il a accepté d'animer un atelier intitulé "Réflexion critique" durant l'évènement TedX."C'était la première fois que ces jeunes prenaient part à un tel atelier. Ils ont participé et certains ont critiqué le sujet que j'avais choisi". L'atelier affichait complet. Les étudiants cambodgiens n'ont en effet pas l'habitude de devoir construire et expliquer leur opinion personnelle. En classe, la plupart des enseignants n'encourage pas la promotion des idées de chacun : "ils apprennent en suivant les manuels". Soprach Tong critique ces méthodes. Selon lui, les enseignants "devraient encourager la lecture. Aujourd'hui, ils encouragent les jeunes à apprendre et ensuite à aller travailler. Les jeunes aiment le " business " mais ils ne prennent pas en compte l'aspect social que celui-ci peut avoir". Aujourd'hui, le chroniqueur dresse un constat amer : "Lorsque les gens critiquent, ils critiquent les personnes et non les idées. Cela doit changer".

Rester au Cambodge
Lorsqu'il est interrogé sur les causes de cette situation alarmante, Soprach Tong en détaille plusieurs. D'abord, évidemment, ce passé communiste : "Les idéologies en général sont incompatibles avec une réflexion critique", explique t-il. Ensuite vient la loi sur l'information, qui permet de mettre en prison les personnes qui franchissent les limites du toléré. Les journalistes sont particulièrement victimes de cette loi. Lorsqu'ils sont condamnés, ceux-ci passent entre une et deux années en moyenne derrière les barreaux, selon Soprach. Ensuite intervient la peur : "Les gens ont peur d'être arrêtés... et c'est fondé". Lui a t-il peur et risque t-il quelque chose ? "Ma mère a peur. Elle n'a pas compris que je veuille être consultant et chroniqueur alors que je pouvais enseigner la chimie. Mais le salaire était trop peu élevé... ". S'il se pense en danger, la police n'est jamais venu lui poser de questions. Il a reçu un email officiel, une fois, mais ... de satisfaction ! Sa stratégie est simple : "Dans mes chroniques, je relate des faits. Je n'accuse pas directement". Son objectif est pourtant de changer la politique cambodgienne : "Les gens s'en fichent, mais si on peut changer les politiques menées, alors on peut changer un pays. (...) Je ne veux pas faire de la politique car je ne suis pas quelqu'un d'agressif".
Dans ce contexte, Soprach Tong a pensé à partir vivre à l'étranger mais a changé d'avis : "Je reste là parce que je peux aider à développer mon pays. Je me sens puissant ici, j'ai le sentiment d'avoir les moyens de pouvoir faire changer des choses". Il conclue sur un regret : "Personne ne critique mes chroniques. Pourtant, j'en ai besoin : je ne suis pas le meilleur. C'est en rencontrant des gens qu'on fait avancer la réflexion".

Laure Delacloche (
www.lepetitjournal.com/cambodge) Jeudi 1er décembre 2011

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Publié le 30 novembre 2011, mis à jour le 5 janvier 2018

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