Déjà fragiles, les populations précaires de la capitale voient leurs revenus diminuer à cause de la pandémie de coronavirus.
Dans les ruelles du bidonville qui longe la rivière Tonle Bassac près du pont de Chbar Ampov, l’avenir à l’heure du coronavirus est plus qu’incertain. Alors que 126 cas de Covid-19 ont été recensés au Cambodge depuis le début de l’épidémie, seules quelques affiches de prévention sur les murs décrépis des maisons rappellent le risque sanitaire que représente le coronavirus. Car ici, comme dans les quelque 250 quartiers précaires de Phnom Penh, les conséquences du virus sont avant tout économiques. Et les habitants, dont beaucoup travaillent dans le secteur informel, sont en première ligne.
« Avant je gagnais environ 50 000 riels par jour (12,5 dollars), mais à cause du Covid-19, je peine à gagner 20 000 riels (5 dollars) en ce moment », explique Sreymom sur le porche de la petite maison de bois qu’elle loue près de deux dollars par jour et qui vit de la collecte de déchets. Cette baisse de revenus est la faute de la chute vertigineuse du prix des déchets, rachetés aux collecteurs par des intermédiaires avant d’être envoyés dans des centres de recyclage au Vietnam. « Pour les canettes, le prix au kilo est passé de 4000 à 2000 riels ; et pour les bouteilles en plastique, de 800 à 100 riels le kilo, détaille la femme de 35 ans et mère de quatre enfants. Je n’ai pas pu payer mon loyer depuis trois jours. Jusqu’à présent, le propriétaire a été conciliant mais j’ai peur qu’il me mette à la porte d’un moment à l’autre. »
Plus assez rentable, certains chiffonniers ont préféré changer d’activité. « Avec le coronavirus, trop de personnes ont perdu leur emploi et ont commencé à collecter des déchets. Il y a trop de concurrence et plus assez de déchets, donc j’ai arrêté, témoigne Sokha, quelques maisons plus loin. Maintenant je livre des biens et de la nourriture entre le marché et les communautés voisines. Je gagne environ 10 000 riels par jour, et je complète en faisant de la médecine traditionnelle à ceux qui en ont besoin. »
Aides d’urgence pour les familles les plus précaires
Face à cette paupérisation soudaine, certaines ONG adaptent leurs programmes habituels. C’est par exemple le cas de Planète Enfants et Développement (PED), une organisation qui intervient auprès de 17 000 personnes dans 14 quartiers précaires de Phnom Penh, en lien avec l’ONG cambodgienne SKO. Le mois dernier, elle a mis en place une aide d’urgence dans ses quartiers d’interventions : 373 familles particulièrement vulnérables ont ainsi reçu 15 dollars en liquide. « Cela peut sembler peu mais cet argent leur permettra de souffler deux ou trois semaines, notamment pour faire face aux dépenses les plus pressantes », confie Pierre Larnicol, chef de projet au sein de l’organisation. Dans une enquête menée par l’organisation, 90% de ces familles disent avoir subi une baisse de revenus depuis le début de la crise. En conséquence, 59% d’entre elles peinent à acheter de quoi se nourrir et 11% n’ont plus de quoi payer leur loyer. Par ailleurs, 36% disent vouloir utiliser cet argent pour acheter des médicaments. « L’aide que nous avons apportée était absolument nécessaire mais il nous sera malheureusement difficile de la prolonger dans le temps car nous sommes également confrontés à nos propres limites », regrette le chef de projet.
D’autres ONG ont également fait des dons d’argent ou de nourriture auprès des plus défavorisés , tout comme le gouvernement, qui a mis en place des dons de riz. Mais ces actions seront-elles suffisantes ? Pas sûr. Fin mai, un rapport de la banque mondiale annonçait une probable récession économique au Cambodge pour l’année 2020, une première depuis 1994. Le rapport indique notamment que l’indice de pauvreté, en baisse depuis le début des années 2000, pourrait augmenter de 3 à 11 points dans les mois à venir. C’est également ce que craint Pierre Larnicol : « certaines des familles que nous suivons sont parties se réinstaller à la campagne, où le coût de la vie est moins élevé. De plus, certains propriétaires ont expulsé des familles pour cause des loyers impayés. C’est encore un phénomène marginal mais je crains qu’il se généralise si la crise économique perdure. »
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