A entendre la voix de Kong Nay, on se demande si le blues de la Nouvelle Orléans ne serait pas né au bord du Mékong. L'impression est saisissante. Kong Nay est le plus grand chanteur vivant de Chapey.
Le Chapey est à la fois un instrument traditionnel Khmer (une sorte de guitare à deux cordes) et un genre musical. La renommée de Kong Nay l'a porté sur de nombreuses scènes, notamment au Etats-Unis. Une célébrité dont il se moque gentiment.
Aveugle et voué à la mendicité
Kong Nay est né en 1946 dans un village prés de Kompong Trach. A l'âge de quatre ans, il devient aveugle suite à une variole mal soignée. A cette époque, perdre la vue, c'est être voué à une vie de mendicité. Il va alors demander à un oncle de lui apprendre le Chapey. Il se fait barde et passe de villages en villages pour chanter les fêtes traditionnelles (mariages, moissons?). Son chant raconte la vie de la campagne sur un mode doux-amer, toujours teinté d'humour.
Sa vie bascule avec l'arrivée des Khmers Rouges. Comme il le dira lui-même, les Khmers Rouges l'utilisent. Ils l'obligent à chanter des chants « révolutionnaires » pour accompagner le travail harassant des paysans et des jeunes femmes qui tressent les cordes pour les attelages des buffles. Son plus jeune frère, lui aussi chanteur, va être arrêté, torturé puis exécuté. Les artistes ne sont pas en odeur de sainteté chez les partisans de Pol Pot. Toute la famille est alors en danger. Mais avant que la sentence de mort ne tombe, le Cambodge va être libéré. « A une semaine prés, j'étais fini », dira Kong Nay en riant.
Le chant de l'ange
Aujourd'hui, Kong Nay est l'un des rares artistes vivants de Chapey. « Les jeunes préfèrent la guitare » dit-il avec une pointe de regret. A Siem Reap on peut entendre sa voix tous les soirs sur la scène de Smile of Angkor. Un acteur joue son rôle, mais c'est sa voix qu'on est allé enregistrer qui retentit dans la salle. Selon la légende, le Chapey est un don qu'un ange fit au jeune Bouddha qui se désespérait de voir la misère du monde. La voix de Kong Nay est comme celle de l'ange.
Jean-Serge Fillaud ? www.lepetitjournal.com/cambodge - Vendredi 30 septembre 2014