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CULTURE - A la recherche des sons perdus d’Angkor

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 16 janvier 2013, mis à jour le 8 février 2018

 

Tambours, grelots, cithares, harpes? Un musicologue français a entrepris de reconstituer en détail chaque instrument de musique joué au temps d'Angkor, en étudiant des kilomètres de bas-reliefs. Un travail de fourmi, pour lequel ont été mis à contribution des artisans de toute l'Asie.

Derrière son physique débonnaire et sa voix aimable, Patrick Kersalé est un homme en proie aux affres de la passion. Ce musicologue français s'est lancé depuis 2006 dans une entreprise étonnante : reconstituer l'univers sonore de l'époque angkorienne, entre le VIIe et le XVe siècle.  "Je souhaitais redonner du son aux temples", explique cet insatiable voyageur de 53 ans, qui confesse avoir été envoûté par la cité de pierre au nord du Cambodge. Auparavant, pendant vingt ans, Patrick Kersalé a parcouru le monde, documentant les traditions musicales des peuples d'Afrique et d'Asie. Plus de soixante disques ont été enregistrés par ses soins, ainsi que des films diffusés à la télévision et dans les écoles. "Les traditions s'évanouissent rapidement dans le monde, constate-t-il. Ici, c'est l'inverse, il s'agit de ressusciter quelque chose qui n'est plus là."  

 

Des vestiges qui reprennent sens
Pour ce faire, Patrick Kersalé s'est appuyé d'abord sur l'iconographie : les bas-reliefs des temples, cette fabuleuse bande dessinée gravée dans la pierre il y a des siècles. Avec le dessin assisté par ordinateur, notre découvreur a isolé un groupe de personnages, puis les instruments qu'ils ont en main. Sous la patine des siècles, des détails jusqu'alors invisibles au profane ont soudain repris vie et couleurs. Dans ses efforts de recherche compulsive, Patrick a comparé avec les vestiges disponibles dans les dépôts comme ceux du Wat Po, à Siem Reap. Tel ornement de cuivre esseulé a trouvé alors sa signification en lien avec l'instrument identifié. D'énigmatiques bols troués sont redevenus cet "arbre à cloches", guirlande agitée au vent par la main d'un brahmane au chignon proéminent, comme on l'aperçoit dans la galerie sud d'Angkor Vat. Toutes les pièces du puzzle ont été ainsi remises en place.

 

Une démarche panasiatique
L'épigraphie, les inscriptions sur tablettes, ont encore donné quelques précieuses indications. Non sans une pointe d'orgueil, cet autodidacte de formation a corrigé la version de quelques respectables sanskristes, spécialistes d'Angkor mais peu au fait de son sujet de prédilection. "C'était une matière sur lequel on avait très peu travaillé, ou mal, sans réelle connaissance du rapport des gens avec leurs instruments." La botte secrète de Kersalé, son apport décisif, c'est sa connaissance intime des traditions musicales de l'Asie, qui lui a permis de tout remettre en situation. Si certains instruments représentés ont depuis disparu du Cambodge, ils ont survécu dans d'autres régions d'Asie du Sud, souvent plus isolées, que le musicologue a documenté. Un savoir concret qui lui a permis de franchir l'ultime étape, allant au bout de sa démarche d' "archéologie expérimentale" : la fabrication des instruments. Soixante d'entre eux ont été reconstitués, Kersalé mettant à contribution des artisans de tous horizons. Ainsi, la tradition des tambours s'est maintenue ici, sous une forme très semblable à celle de l'époque, et ces derniers ont pu être reproduits sans difficulté. Par contre, les trompettes en métal ont été fabriquées au Népal, et les harpes en Birmanie, en les adaptant au canon khmer ancien exploré par Kersalé. D'une précision maniaque, celui-ci a veillé à chaque détail, enjolivement, taille, etc. Le tout a fait l'objet d'une exposition à l'Institut français au mois de novembre, que Patrick Kersalé aimerait maintenant emmener autour du monde.

 

La musique comme but ultime
On ignore bien sûr en revanche ce que jouaient les Khmers anciens. Mais Patrick Kersalé pense que par recoupements, en puisant au répertoire traditionnel d'ici et d'ailleurs, il sera possible de s'en faire une idée. Les archives chinoises possèdent par ailleurs sept partitions de musique du Champa, si proche dans son expression culturelle du Cambodge angkorien. Le but ultime sera de faire rejouer ensemble ces instruments : un effort qui reste encore à concrétiser, la manifestation prévue ayant été perturbée par les cérémonies du deuil de Sihanouk. "J'ai recueilli beaucoup d'encouragements de toute part, du ministère de la Culture, du CIC d'Angkor, mais j'aimerais maintenant trouver un partenaire ou un soutien", explique Patrick, qui a tout financé sur ses propres fonds. Un relais bienvenu pour poursuivre l'effort de renaissance musicale, et redonner vie aux odes au divin et à la guerre qui ont fait trembler les remparts d'Angkor.

Samuel Bartholin (www.lepetitjournal.com/cambodge) jeudi 17 janvier 2013

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Publié le 16 janvier 2013, mis à jour le 8 février 2018

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