Le photojournaliste français Roland Neveu revient sur son expérience unique lors de la chute de Phnom Penh et partage sa vision du métier de reporter de guerre, cinquante ans plus tard.


Un témoin du 17 avril 1975
À seulement 24 ans, Roland Neveu se trouvait au Cambodge comme jeune photographe pour l'agence Gamma. Il faisait partie de ces quelques rares journalistes occidentaux présents à Phnom Penh au moment crucial de l'entrée des Khmers rouges dans la capitale, le 17 avril 1975. Retraite forcée dans l'ambassade de France, où s'étaient réfugiés plusieurs centaines de personnes, il a été le témoin et le chroniqueur visuel de l'effondrement brutal d'un régime.
« La chute de Phnom Penh, c'est le cornerstone de l'histoire moderne du Cambodge. Il y en a d'autres, mais pour notre génération, c'est un moment décisif, marquant, fondateur », explique-t-il.
Ses photos capturent alors les scènes de panique, de désarroi, de reddition silencieuse, mais aussi les visages, les regards, les instants suspendus dans l'attente du pire. Des images rares, devenues aujourd'hui des archives historiques incontournables.
Un lien qui ne s'est jamais brisé
Après avoir quitté le Cambodge en 1975, Roland Neveu ne cesse d'y revenir. Même lorsqu'il travaille ailleurs, à Beyrouth ou à Manille, Phnom Penh reste dans un coin de son esprit.
En 1979, il rejoint les forêts frontalières pour suivre l'exode des réfugiés cambodgiens avant leur passage en Thaïlande. « Ce sont ces images de fin de cycle, des camps bondés, des familles brisées, des leaders de la diaspora en exil, qui complètent pour moi la chronologie de la tragédie cambodgienne », raconte-t-il.
En 1981, il revient pour la première cérémonie du 7 janvier, invité par le gouvernement. Puis en 1989, il accompagne Roland Joffé, réalisateur du film La Déchirure, qui rapporte la pellicule originale au Cambodge. « On nous a laissé circuler dans le pays, à condition de renouveler nos visas toutes les deux semaines. On a parcouru plus de 2 000 kilomètres en Jeep. C'était unique. »
Photographe de guerre : un métier d'engagement
« On devient photographe de guerre parce qu'on n'a pas peur de se mouiller, parce qu'on veut comprendre et témoigner »
Le Liban, les Philippines, l'Afghanistan... Neveu couvre plusieurs zones de conflit majeures, le plus souvent pour Time Magazine. Il se souvient des risques permanents, du besoin de se mettre en danger pour avoir un angle différent : « Si tu restes allongé pendant une explosion, tu n'as pas de photo. Il faut se relever. Il faut oser être devant les soldats pour capturer leur regard, leur tension. »
Au fil des années, les attentes des médias évoluent. « On nous demandait au début des scènes de front, des blessés, des cadavres. Puis, dans les années 80, l'attention s'est portée sur la vie autour de la guerre : les déplacés, les femmes, les enfants, les récits d'espoir au milieu du chaos. »
Photographier pour aider
« Faire une bonne image, ce n'est pas seulement capturer un moment fort, c'est provoquer une prise de conscience. »
Ses images de réfugiés ont été utilisées par de nombreuses ONG pour sensibiliser l'opinion et mobiliser des fonds. Il assume pleinement ce rôle. « Il y a une forme de manipulation, mais elle est utile. Montrer la misère pour aider. Ce sont des images qui peuvent sauver des vies. »
Cambodge : mémoire et reconstruction
Installé à Bangkok depuis les années 1990, Roland Neveu n'a jamais cessé de travailler sur le Cambodge. Il a publié deux ouvrages photographiques, dont l'un entièrement consacré à la chute de Phnom Penh. « C'est le sujet qui concentre toutes les interrogations. Quand j'ai exposé mes images, les gens ne me parlaient que de ça. »
Il prépare aujourd'hui un troisième livre, monumental : 500 pages pour raconter le Cambodge sur cinquante ans, avec un dernier chapitre consacré au Cambodge contemporain. « Il me reste à photographier les gratte-ciel, les nouvelles routes, cette autre ville qui s'est construite. »
Commémorer pour transmettre
« La mémoire collective met du temps à se construire », observe-t-il.
Invité à Phnom Penh en avril 2025 pour commémorer les 50 ans de la chute de la capitale, Roland Neveu a pris la parole aux côtés de François Bizot. « J'avais un peu peur de me retrouver face à une sommité... mais tout s'est bien passé. Peut-être qu'avec le temps, on me redonne un peu de crédit », dit-il avec humilité.
« En Europe, il a fallu 50 ans pour que les commémorations de la Seconde Guerre mondiale prennent toute leur ampleur. C'est le même processus ici. La nouvelle génération veut comprendre. C'est à nous de transmettre. »
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