Cette semaine, notre rédaction est allée à la rencontre de Michel Gavaza. Ce franco-roumain a fui le régime communiste avec sa famille dans les années 80 et est devenu un ambassadeur acharné de la culture des pays de l'Est. Ce passionné de peinture est aussi l'un des membres fondateurs de l'association Soleil de l'Est qui s'est fixée pour mission de faire rayonner la culture des pays de l'Est en faisant la promotion d'artistes peintres et en organisant des résidences et des rassemblements culturels.
Grégory Rateau: Votre association culturelle est le fruit d'une amitié, d'une collaboration franco-roumaine. Pouvez-vous nous raconter comment tout cela a commencé?
Michel Gavaza: Je vais d’abord vous raconter un peu mon histoire et celle de ma famille. Nous avons vécu et travaillé en Roumanie, à Brasov, sous le régime de la dictature de Ceausescu. Mon épouse et moi, nous étions des intellectuels de haut niveau. Pendant nos études, nous avons été endoctrinés avec les conceptions marxistes, la supériorité du système socialiste, communiste, etc. Jusqu'au moment où nous avons constaté le contraire. Le choc a été important. C’était lors de notre première sortie en Occident, en Allemagne et en France plus précisément, en 1985. De retour à la maison, mes collègues de travail m’ont demandé comment était l’Occident. J’ai raconté ce que j’ai vu de mes propres yeux. Quelques jours plus tard, j’ai été convoqué à la Securitate, et questionné sur le fait que l'Occident aurait pu me payer pour faire de la propagande capitaliste dans notre pays. Nous avons donc été inscrits sur la « liste noire » en tant qu’ennemis du peuple ouvrier. Par la suite, en 1987, nous avons réussi à quitter le pays, parce que nous étions menacés, et puis nous nous sommes installés en France, en tant que réfugiés politiques. Nous avons choisi la France, pour des raisons culturelles, car, intellectuellement, nous étions francophiles et francophones. L’année suivante, en 1988, après une grève de la faim de mon épouse, et avec l’aide du gouvernement français, de la Croix rouge internationale, de l’église Notre Dame de Paris et de la Société Saint-Vincent de Paul, nous avons pu récupérer nos deux enfants mineurs, gardés en otage en Roumanie, conformément à la législation de l’époque.
Votre objectif était donc de mieux faire connaître aux autres vos racines?
Les Français ne connaissaient pas grande chose sur la Roumanie, et sur les autres pays de l’Est. Ceci nous a incité à les aider à mieux connaître la culture de la Roumanie. Après quatre ans de réflexion et avec l’aide de la Mairie de Tours, d'un groupe d’amis enthousiastes franco-roumains, et des membres de ma famille, tous membres fondateurs de l’association, en 1994 nous avons créé l’association "Soleil de l’Est". Notre objectif était de faire rayonner la culture des pays de l'Est car de grands artistes tels que Malevitch, Gontcharova, Chagall, Soutine, Grigorescu, Andreescu, Brancusi, Enescu, Vasarely, Cioran, Gheorghiu, Bartok, et la liste n’est pas limitative, ont eu une importance considérable dans la culture française et universelle. Dans le prolongement, nous avons donc organisé plusieurs expositions avec des peintres roumains, russes, polonais, et d'autres pays de l’Est, et avons réalisé plusieurs livres d’art avec nos artistes, et enfin nous avons démarré en 2001 une résidence d’artistes en France, au bénéfice des peintres de l’Est. Avec mes enfants et ma femme, nous sommes devenus les membres fondateurs de "Soleil de l’Est".
Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux pays de l'Est et plus précisément à la Roumanie?
La Roumanie est mon pays d’origine, j'y suis attaché malgré les atrocités du régime communiste qui n’avaient pas de limites contre les opposants, mais aussi contre leurs propres familles. Concernant ma formation culturelle, l’histoire est plus compliquée. Ma mère était d'origine russe, descendante d’une famille du clergé orthodoxe russe (les curés orthodoxes sont obligés de se marier avant de commencer leur carrière ecclésiastique), s'y connaissait beaucoup en peinture, et elle parlait couramment le français, le russe et le roumain. En 1951, le gouvernement communiste avait ouvert le Musée national au sein du Palais royal à Bucarest. Ma mère m’a fait visiter avec elle ce musée. Je me rappelle comme si c'était hier, ce fut le plus beau souvenir de mon enfance. Par la suite, après la fin de mes études, et plus tard, avec mon épouse et nos enfants, nous avons visité les grands musées de l’Europe: l’Hermitage à Leningrad, le Tretiakov à Moscou, le Zwinger à Dresde, le Musée National de Budapest, Le Hrad de Prague, Le Louvre, le British Museum, El Prado, le Musée Ufizzi de Rome, etc. Quelques années après la création de Soleil de l’Est, avec des amis, nous avons réfléchi au fait qu'il existait dans les pays de l’Est de nombreux artistes peintres de haut niveau et pourtant méconnus, non seulement des Roumains mais également des Russes. Petit à petit, nous avons contacté et fait la connaissance de prestigieux peintres de Pologne, Bulgarie, Moldavie, Biélorussie, Ukraine, et même du Kirghizstan. Soleil de l’Est coopère aussi avec des peintres originaires de l’Est, établis en France, Belgique, Suède mais aussi aux Etats-Unis.
Quelles actions concrètes menez-vous pour valoriser nos deux cultures et garder vivant un lien d'amitié franco-roumaine?
Le rêve des tous les artistes du monde, et particulièrement des peintres de l’Europe de l’Est, est de suivre les traces des grands maîtres de l’Impressionnisme, du fauvisme, du cubisme, et d'autres orientations artistiques. Plusieurs peintres roumains, russes, polonais, etc, nous ont sollicité pour venir eux-mêmes en France. En accord avec les activités culturelles de la Mairie de Tours, nous remercions au passage M. Jean-Pierre Tolochard, adjoint aux Relations internationales et à la culture de Tours, nous avons conçu ensemble un programme de résidences d’artistes dans des villes culturelles sur la Vallée de la Loire. Les peintres roumains et d'autres de l'Est ont été ainsi hébergés à Tours, à Fondettes, à Chambray-lès-Tours, à Orléans, à Briare le Canal et à Saint-Jean-de-Braye. Les résidences ont eu lieu aussi à Collioure, dans les Pyrénées Orientales, sur les traces du fauvisme.
Un autre volet des liens franco-roumains est la réalisation de livres d’arts et de catalogues annuels ainsi que de catalogues des expositions. A noter le double volume intitulé « Présences de la peinture contemporaine roumaine en France avec Soleil de l’Est » entre 1994 – 2012 ainsi que le volume anniversaire « Soleil de l’Est vingt ans d’activité ».
Diriez-vous que l'image de la Roumanie et donc des Roumains a évolué en France depuis le début de votre association?
Nous ne pouvons pas affirmer que l’image de la Roumanie ait été complètement changée après l’intervention de Soleil de l’Est. Par nos actions, et notamment par la qualité des manifestations culturelles, et par la qualité de l’expression artistique promue par les peintres venus en France, lors des résidences, nous pouvons affirmer qu’a eu lieu une amélioration certaine de l’image de la Roumanie. Par nos activités, manifestations culturelles, réalisation de livres d’art, les résidences d’artistes, le public français et les officiels de la culture ont constaté « de visu » que la Roumanie est un pays culturel. Par exemple à Tours, Soleil de l’Est possède un fichier de plus de 600 personnes, visiteurs permanents de nos expositions.
Parlez-nous des résidences d'artiste que vous avez mises en place et de leurs objectifs.
Il y a deux objectifs majeurs pour les résidences : aider les artistes à « toucher avec leurs propres yeux» les trésors de la culture française, et aussi améliorer leur communication en français. Pour les peintres romains il y a toujours le désir de marcher, de respirer l’air, d’apercevoir les couleurs, sur les traces des artistes peintres précurseurs tels que Grigorescu et Andreescu à Barbizon, et Brancusi à son atelier de sculpture, attaché au Centre Pompidou à Paris.
Au total, Soleil de l’Est a accueilli en tout 106 peintres de l’Est, dans les deux régions de résidence, la Vallée de la Loire et Collioure. Tous les peintres invités ont appris beaucoup de choses sur la culture et la langue française, et ainsi ont enrichi leurs connaissances sur la culture, l’architecture et l’histoire de la France. Une fois rentrés chez eux, les peintres ont permis un "rayonnement" de la culture française dans leur pays d’origine. Ils ont réalisés des expositions de peinture sous la supervision de Soleil de l’Est, ils ont donné des conférences, ont organisé diverses tables rondes avec des étudiants et accordés des interviews dans la presse.
Vous avez également participé à l'élaboration de différents catalogues de livres d'art.
Le premier livre d’art intitulé « Artistes peintres roumains en France entre 1997 – 2004 » a été réalisé en 2005, chez les Editions ARC 2000, de Bucarest. On présente dans ce livre un groupe de 35 peintres roumains représentés par leurs œuvres en France, lors des expositions organisées pendant cette période. Le livre a été lancé lors de plusieurs manifestations culturelles en Roumanie, et en France, et à l’Institut Français de Bucarest. A remarquer ensuite l'ouvrage « Présences de la peinture contemporaine roumaine en France avec Soleil de l’Est entre 1994 - 2012 » sur deux volumes. Nous présentons ici les 43 peintres exposés et invités aux résidences en France, sur le 1er volume, et 51 autres peintres pour le 2nd volume. Avec les biographies résumées pour chaque peintre, la participation aux résidences et aux expositions, les impressions des artistes, et au final le journal photographique.
La pandémie a été un coup terrible pour la culture. Etes-vous confiant pour "un après"?
La pandémie a interrompu les activités de Soleil de l’Est, les expositions et la résidence d’artistes. Toutefois l'année passée, nous avons conduit deux expos, en respectant bien entendu les restrictions sanitaires. En France, à Saint-Cyr-sur-Loire, l’exposition « Peintres roumains et russes - œuvres sur papier » dont le décrochage et la fermeture de l’expo a eu lieu le 9 mars. On a présenté un chapitre pas assez connu par le public français : les œuvres sur papier, aquarelles, dessins, acryliques sur papier, linogravure, en tout cent œuvres qui ont émerveillé le public.
La même année, en novembre, sur le planning en actualité, on a organisé l’exposition « Rétrospective des peintres roumains du groupement Soleil de l’Est » au Palais du Parlement, salle « C. Brancusi » à Bucarest. Compte tenu des restrictions, le vernissage a été annulé, mais l’exposition, avec plus de 150 œuvres signés par 54 artistes, a été visible pour le public admis à entrer deux par deux.
Je suis confiant pour « l’après » pandémie. Nous avons d'ailleurs prévu trois expositions, deux en France, à la Médiathèque de Luynes, et à Paris à la Fondation Christiane Peugeot. Puis la troisième, en novembre dans les espaces d’exposition du Théâtre National Bucarest. Et ce n’est pas tout : la Mairie de Luynes, nous invite à organiser une résidence d’artistes, dans des espaces mis à disposition par la municipalité, au mois du juillet 2021, en parallèle de l’exposition.