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Hubert Rossel nous parle des églises fortifiées du pays des Sicules

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Écrit par Grégory Rateau
Publié le 20 avril 2020, mis à jour le 20 avril 2020

Notre rédaction donne aujourd'hui la parole à un amoureux de la Roumanie, un Suisse, Hubert Rossel. Ce passionné entretient une relation de plus d'une vingtaine d'années avec le pays, il en a même tiré un livre: "Transylvanie – Les églises fortifiées du pays des Sicules". Hubert est également vice-président de l’association Opération Villages Roumains-Suisse et le rédacteur de la publication Le Réseau réservé aux membres de l'association. Rencontre...

 

 

Grégory Rateau: Vous avez une histoire avec la Roumanie riche de plus d'une vingtaine d’années, en particulier avec la Transylvanie. Parlez-nous de la manière dont vous avez découvert ce pays et ce qui vous attire le plus dans cette région ?

Hubert Rossel: Ma découverte du pays remonte à la création du mouvement d’opposition à la politique de systématisation de Ceauşecu, lorsqu’il avait planifié la restructuration du pays et la destruction de nombreux villages. Les bases de l’association Opération Villages Roumains remontent à décembre 1988, soit un an avant les bouleversements de la « révolution » roumaine. Ma commune de résidence a été mise en relation de parrainage avec un village du département de Covasna et c’est donc tout naturellement que je suis parti à la rencontre des habitants de cette région et de leurs nombreux besoins à l’époque. Des relations d’amitié se sont progressivement développées, à mesure que je découvrais la richesse des contacts humains avec la population, contacts qui existent toujours aujourd'hui. J’ai aussi progressivement découvert la richesse culturelle de ces gens, à travers le regard qu’ils portent sur leur patrimoine.

 

Vous êtes donc le vice-président de l’association Opération Villages Roumains-Suisse et le rédacteur de la publication que vous faites parvenir à vos membres, Le Réseau. Est-ce une manière pour vous de continuer à faire découvrir ce pays chez vous, en Suisse ?

D’une certaine manière, oui. Mais le contenu du Réseau a fortement changé depuis 30 ans ! Au début, il s’agissait surtout d’un organe qui visait à faciliter les démarches de nos membres : obtention des visas pour la Hongrie et la Roumanie, papiers « officiels OVR » pour le franchissement des différentes frontières, etc… A côté de ces aspects administratifs, des articles visaient à partager des expériences, pour éviter de reproduire des erreurs commises par certaines associations, pour enrichir les partenariats en cours de développement, mais aussi pour aller à la découverte du pays et mieux en comprendre le fonctionnement. Maintenant, les articles de fond portent surtout sur l’évolution de la société roumaine actuelle, analysée d’un point de vue social et sociétal, sur l’importance grandissante de la « société civile » qui essaie de favoriser un meilleur équilibre entre les différentes couches de la société, notamment par une meilleure gouvernance. Un regard spécial est accordé au monde rural, qui reste majoritaire dans le pays et qui est notre terrain d’action.

 

Comment les Suisses perçoivent-ils les Roumains et la Roumanie ?

Un peu comme partout dans le monde occidental. Ceux qui ne connaissent pas le pays sont souvent dépendants des clichés véhiculés par la presse et les ragots. La confusion entre Roms et Roumains n’aide pas…, la réputation des premiers (réelle ou construite) desservant celle des seconds. Mais les Suisses qui n’ont jamais mis les pieds en Roumanie ne peuvent pas comprendre la réalité de ce qui se vit dans le pays, ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, se rapportant aux uns et aux autres. Par contre, les Suisses qui sont allés dans le pays et qui ont eu des contacts avec la population sur place, ont un regard totalement différent ! Ils ont pris conscience des problèmes qui s’y posent, parfois pour les avoir vécus eux-mêmes, ils ont vu la situation difficile dans laquelle vit la grande majorité de la population, mais ils ont senti aussi la richesse et la qualité des relations humaines avec les personnes rencontrées, la tradition de l’accueil pratiquée dans le pays, l’empathie et l’entraide mutuelle, la primauté du social sur l’économique. Ce sont des dimensions qui se sont fortement estompées à l’Ouest...

 

Vous avez publié un livre, "Transylvanie – Les églises fortifiées du pays des Sicules", pour faire découvrir le patrimoine des Sicules. Pourquoi avoir choisi ce sujet?

J’ai déjà fait allusion aux circonstances qui m’ont amené en Transylvanie et chez les populations de langue hongroise de la région : les Sicules (Secuii en roumain et Székely - je laisse le mot au singulier - en hongrois). Historien et géographe de formation, je me suis toujours intéressé à l’étude des minorités culturelles et à la problématique des régions. Le cas des Sicules en Transylvanie m’a donc tout naturellement attiré et je me suis progressivement rendu compte qu’une bonne partie de leur patrimoine culturel se retrouve dans leurs églises, que tout leur passé historique s’y exprime d’une façon ou d’une autre : par l’architecture, par l’aménagement intérieur, par les fresques murales, les plafonds à caisson, les pierres tombales… Mais, bien souvent, quand je posais les questions aux amis qui prenaient plaisir à me les faire découvrir, je n’obtenais pas des réponses satisfaisantes, ni par eux-mêmes, ni par les ouvrages sur le sujet. Aussi j’ai fait des recherches personnelles en parallèle et je me suis progressivement constitué des dossiers qui me permettaient d’avoir des réponses aux questions que je me posais. Jusqu’au jour où quelqu’un m’a dit : « Mais pourquoi tu n’en ferais pas bénéficier les autres, qui vont se poser les mêmes questions que toi ? » Ce livre en est la réponse.

 

Selon vous, pour quelles raisons les églises fortifiées saxonnes sont-elles généralement plus connues que celles des Sicules ?

Pour des raisons internes et externes. Historiquement parlant, au 13e siècle, les Saxons et les Sicules ont pu créer des circonscriptions administratives et militaires qui leur permettaient d’organiser leur territoire interne de façon autonome. Les Saxons étaient de riches artisans et commerçants, venus de l’Ouest à l’appel des rois de Hongrie ; ils ont rapidement formé une bourgeoisie locale disposant d’un pouvoir économique et financier certain ; ils ont pu construire des églises fortifiées plus grandes et des systèmes de défense plus élaborés et complexes. Les Sicules, eux, ont formé une population beaucoup plus rurale, ne disposant ni des mêmes moyens financiers, ni des mêmes connaissances technologiques ; de ce fait, leurs églises furent beaucoup plus petites et moins renforcées, moins bien fortifiées. Ces églises sont moins visibles, plus campagnardes, parfois sans style, passant plus inaperçues ; de plus, elles sont perdues dans les régions frontalières orientales de l’époque, que les Sicules avaient à défendre comme paysans-soldats. L’autre raison qui explique que les églises saxonnes soient mieux connues des Occidentaux que les églises sicules réside dans le fait que les Saxons, de langue germanique, ont fait l’objet de nombreuses publications en allemand et en anglais, alors que les publications sur les églises sicules ne se faisaient qu’en hongrois, jusqu’à la publication de ce livre en français.

 

Quel rôle avaient ces églises au sein de la communauté autrefois et quel rôle ont-elles gardé aujourd'hui ?

A l’époque, par décret royal, il n’y avait que deux types de constructions qui pouvaient être construites en pierre : les forteresses royales et les églises. Et si, à l’ouest de la Transylvanie, les forteresses étaient encore relativement nombreuses, au sud et à l’est, où se trouvaient les Saxons et les Sicules, on ne pouvait généralement compter que sur les églises fortifiées pour se défendre contre les poussées et les invasions des Mongols/Tatares ou des Turcs ottomans. Du 13e au 17e siècle, les incursions dévastatrices furent nombreuses, ainsi que les raisons de renforcer les endroits où les populations rurales pouvaient se réfugier. Mais les paroisses d’alors jouaient aussi un rôle administratif important. Comme il y avait, au début, une église pour dix villages, les registres paroissiaux permettaient un contrôle de la population… et le prélèvement de la dîme, scrupuleusement rapportée dans les registres paroissiaux. Actuellement, les communautés catholiques-romaines et calvinistes se regroupent autour de leurs églises en un tissu social soudé, et les communautés unitariennes, plus minoritaires, sont particulièrement solidaires entre elles, sous la conduite de leur ministre du culte qui s’occupe souvent d’apporter des réponses concrètes aux problèmes sociaux et économiques locaux.

 

Quelle église Sicule nous recommanderiez-vous de visiter absolument ?

Quel dilemme, car de nombreuses églises comportent des spécificités propres ! La plus grande et la plus imposante d’entre elles est, certes, celle de Dârjiu/Székelyderzs, dans le département de Harghita, mais elle n’est pas la plus représentative de l’ensemble, car elle a été fortement influencée par la proximité des églises saxonnes. Cette église (unitarienne) est elle-même une forteresse, comportant des meurtrières et des mâchicoulis, et est entourée d’une enceinte de plus de 5 mètres de haut, qui comportait des cellules où la population pouvait se réfugier en cas de nécessité. A quelques kilomètres de là, dans le petit village de Daia/Székelydálya, une petite église enclose (calviniste) recèle aussi des trésors artistiques insoupçonnés : les voûtes gothiques du sanctuaire sont entièrement peintes de motifs floraux et de blasons (début 16e s.), la nef a un plafond constitué de 56 caissons en bois peint (17e s.)... Mais, pour moi, l’église sicule la plus représentative est celle du village excentré de Ghelinta/Gelence dans le département de Covasna. Cette petite église enclose (catholique romaine) est la plus complète et la plus riche: des fresques murales omniprésentes (certaines du 14e s.), un plafond de la nef comportant 103 caissons peints de différents motifs décoratifs, un sanctuaire gothique en croisées d’ogives, un maître-autel baroque… Un véritable petit bijou.    

église sicule roumanie
Wikipedia / Andrei kokelburg

 

Y a-t-il des villages sicules où les traditions des anciens sont encore préservées de nos jours ?

Il y en a deux qui me viennent directement à l’esprit. Le mur d’enceinte de l’église de Dârjiu/Székelyderzs ne comportait pas seulement des cellules familiales qui pouvaient servir de refuge ; les bastions d’angle de la seconde enceinte (début du 16e s.) ont formé des aires de stockage pour entreposer les récoltes céréalières et la viande à sécher. Chaque famille pouvait aller à son dépôt de grains tous les matins, mais n’avait accès à son crochet de viande qu’une fois par semaine. Cette coutume est toujours conservée aujourd’hui, ce qui constitue un cas unique de cet ancien usage. Sur un autre plan, s’il est une région bien reculée, à l’écart des grands axes de communication, difficile d’accès à cause des pistes en sol naturel qui y conduisent, c’est bien le village de Inlăceni/Énlaka, dans le département de Harghita. La situation éloignée et enclavée du village lui a permis d’échapper à la politique de systématisation de Ceauşescu et de ne pas être défiguré. On y trouve donc l’organisation spatiale originale avec des portails sicules typiques devant les petits enclos familiaux. Par contre, les difficultés de la vie rurale traditionnelle, quasi inchangée dans le village, ont amené la population à décliner régulièrement depuis un siècle ; ils sont moins de 200 personnes actuellement.

 

Vous suivez quotidiennement ce qui se passe en Roumanie. Quels sont les changements les plus importants que vous avez remarqués?

Si on compare la situation à l’aune d’une génération, il est indéniable qu’il y a eu des changements importants dans le pays, mais tous ne les ressentent pas de la même façon : les jeunes et les anciens, ceux qui ont connu l’ancien régime (pas nécessairement subi), ceux qui en ont entendu parler et ceux qui n’en connaissent rien (oui, il y en a encore), la population rurale et la population urbaine. Autant de situations sociales et économiques différentes qui engendrent des vécus différents. Mais je constate que l’hémorragie démographique du début des années 90 se stabilise progressivement et que de plus en plus de jeunes commencent à revenir au pays pour y développer des projets. Les jeunes et les jeunes adultes ne veulent plus s’en laisser conter sur leur passé, surtout sur celui qu’on a essayé de leur imposer ; ils exigent de leurs autorités plus de cohérence et d’honnêteté dans la gouvernance. Il est symptomatique de voir la force grandissante de la « société civile » qui conteste ouvertement des choix de société jugés discutables, inacceptables ou inappropriés, et qui exige des réformes judiciaires pour retrouver une confiance dans ses autorités politiques et administratives.

 

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