Cette semaine, notre rédaction est allée à la rencontre de l'artiste plasticienne Iulia Şchiopu. Diplômée en ingénierie, spécialisée dans les équipements bio-médicaux et les équipements périphériques, elle était aussi dessinatrice technique et comptable mais c'est avant tout une rêveuse à l'état pur. De ses rêves, Iulia tisse des merveilles, les dépose sur la toile et les présente au public lors de différents vernissages et expositions. Ses illustrations sont également très prisées des éditeurs et des écrivains pour la couverture de leurs livres en France et en Roumanie.
Les poupées m'ont semblé être des ambassadrices plaisantes pour raconter mes histoires.
Grégory Rateau : Vous étiez ingénieur, comment êtes-vous venue à la peinture ?
Iulia Şchiopu : En vérité et chronologiquement parlant, la peinture a été mon premier choix et mon premier amour et cela depuis mon enfance ; le fait de suivre une école d'ingénieurs n'a été qu'une longue et inutile pirouette due au contexte de cette époque révolue (avant les événements de 1989), quand on n'avait pas beaucoup d'alternatives et l'art était considéré comme un luxe bourgeois.
Vos œuvres nous invitent à flâner dans l'imaginaire. Est-ce aussi pour vous un moyen de vous évader ?
C'est précisément par besoin de m'évader que j'ai recommencé à peindre, suite à une dépression très corrosive qui m'a poussée à créer des filtres colorés qui me permettaient de regarder le monde autour de moi avec un regard neuf. Puis j'ai décrit cette "réalité augmentée". Comme les lunettes Google en quelque sorte...
l'art, comme la vie, est une guerre, une fièvre, une faille dans la matrice...
Pourquoi le motif de la poupée ?
En arrivant un peu tard sur le champ de bataille de l'art - l'art, comme la vie, est une guerre, une fièvre, une faille dans la matrice - j'ai essayé de garder une voix plus discrète, plus ludique, parce que je suis d'avis qu'une vérité ne doit pas être criée, car plus on l'agite de manière stridente, plus elle devient translucide. Les poupées m'ont semblé être des ambassadrices plaisantes pour raconter mes histoires.
Vos œuvres sont régulièrement utilisées pour illustrer des romans roumains traduits en français. Comment percevez-vous cet enthousiasme ?
Je suis très honorée de voir que les histoires que j'ai peintes ont fait leur chemin jusqu'en France et que mes poupées parlent espéranto. Le fait qu'un écrivain, un poète, la veuille sur la couverture de son livre est un privilège pour moi. Mais comme je suis aussi une amatrice de livre, je me sens à ma juste place.
Vous êtes originaire de Brasov, comment décririez-vous cette ville à ceux qui ne la connaissent pas ?
Je ne peux que donner une réponse subjective, mais pour moi, la ville de Brașov, cachée entre les montagnes, avec son air médiéval, ses pigeons de la place centrale et ses vieux toits, a un charme dangereux. J'ai passé de nombreuses années en Italie mais je n'ai pas pu l'oublier un seul instant. Je suis revenue aujourd'hui mais je sens que cela m'arrivera toujours, où que j'aille.
Comment voyez-vous l'enseignement des Beaux-Arts en Roumanie ?
Je crois que la Roumanie a une très bonne école d'art, un milieu académique très sérieux, mais encore une fois, je suis peut-être subjective, mes relations avec des artistes étrangers étant beaucoup moins importantes (numériquement parlant) que celles que j'entretiens assidument avec des artistes roumains.
Quel message voudriez-vous faire passer aux jeunes qui voudraient franchir le pas ?
L'art est comme une grande soif. Si ce désir est allumé à l'intérieur de quelqu'un, tôt ou tard il finira par briser n'importe quel barrage, n'importe quel mur que l'on se sera bâti pour le contenir. Alors le mieux c'est de ne pas résister, on y succombera tôt ou tard, s'il s'agit d'une nécessité.