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Entretien avec Cali : "C’est d’abord ça, être artiste, c’est être au milieu des gens"

Le chanteur Cali lors de sa tournée en RoumanieLe chanteur Cali lors de sa tournée en Roumanie
©Yann Orhan
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 13 juin 2021, mis à jour le 21 juin 2021

A l'occasion de sa tournée en Roumanie (du 9 au 13 juin) et pour ses 20 ans de carrière sur scène, notre rédaction vous propose un grand entretien avec le chanteur Cali. Très engagé pour les artistes durant cette pandémie, il revient aujourd'hui pour retrouver son public.

 

 

Le peuple roumain est joyeux, gentil, la main tendue. Il a connu la souffrance et la privation, et a transformé cette souffrance en une joie de vivre, de créer.

Grégory Rateau : Bonjour Cali, vous êtes déjà venu en Roumanie pour une tournée. Quelle vision aviez-vous de ce pays avant de le découvrir et quelles perceptions avez-vous gardées à présent ?

Je n’ai jamais de vision à l’avance, je me laisse porter, j’ouvre les yeux, les oreilles, le cœur, les mains, je reçois tout ce que l’on me donne et j’essaie de donner autant. La musicalité de la langue roumaine, la générosité, l’accueil, toutes ces mains tendues, pendant la tournée, que ce soit pendant les concerts ou dans la rue, toute cette joie et cet amour qui apparaît partout et qui est donné tout autant que les sourires… Le peuple roumain est joyeux, gentil, la main tendue. Il a connu la souffrance et la privation, et a transformé cette souffrance en une joie de vivre, de créer. Il était évident que j’allais revenir, avec enchantement. C’est une joie d’être à nouveau en Roumanie, et de vouloir revenir, et revenir, et revenir encore. Il y a tant à donner, à échanger à partager. La musique, bien sûr, mais aussi la parole. Ecouter l’autre, transfuser et imaginer de nouvelles aventures.


Vous écrivez vos propres textes pour vos chansons mais vous avez également écrit deux romans et cette année un recueil de poésie, "Eparpillés ». Comment est venue l’idée de la poésie et comment est née cette nouvelle aventure en poésie ?

J’écris depuis toujours, à la main, dans des cahiers, sur des feuilles, sur des morceaux de papier, un peu partout, dès que j’ai une idée, une pensée, une envie, à chaque fois que j’ai envie de poser un mot. Et j’en laisse partout. Les manuscrits de mes romans sont tout un ensemble de cahiers plus ou moins numérotés, qui ressemble à un jeu de piste. Et puis il y a aussi de notes que j’entasse et que je disperse dans tous les sens, au risque de les perdre, ce qui m’arrive parfois. Ainsi je peux retrouver des textes d’adolescence ou écrit à la naissance de l’une de mes filles par exemple, derrière un radiateur ou sous un meuble. Ainsi mes écrits vivent leur propre vie

La poésie, c’est autre chose, un peu sacralisé. C’est difficile de se qualifier de poète quand on aime la poésie. On se doit d’être déférent avec ce que l’on aime. Je ne me suis jamais pris pour un poète. C’est Éric Poindron qui m’a proposé cette nouvelle aventure. Il est pour moi un des grands poètes contemporains, mais aussi éditeur, avec d’autres casquettes aussi et des univers bien à lui. C’est ensemble que nous avons décidé de faire ce recueil, en regroupant mes textes. Quant au titre du recueil, il est venu presque spontanément. Je disais à Éric que mes feuilles et mes écrits sont éparpillés, un peu comme plein de morceaux de (ma) vie. Et il m’a dit : « tu le tiens, ton titre. C’est Eparpillés ». C’est dingo, on dit un mot, on ne sait pas que c’est de la poésie, et parce que quelqu’un le souligne, ça devient presque évident. Aujourd’hui, le recueil existe, il a été bien accueilli et je crois qu’il fait du bien aux lecteurs *

 

C'est quoi pour vous être "un auteur/poète" de nos jours ?

Je suis ce papillon qui butine partout. Je suis cette chanson qui s’envole sans partition. Je suis le vent, la pluie. Je suis le poète quand je suis nouveau-né, et puis plus loin encore. Je titube. Les premiers pas. Jusqu’au sein de ma mère.
Courir autour d’un feu. Parfois sauter dedans. Rater absolument tout ce qui compte pour les autres. Et puis sourire. Se tirer des flèches de Cupidon dans le pied. Remballer la tente et le camp pour le monter ailleurs, plus loin.
S’étonner absolument de tout. Dessiner des yeux tragiques avec le petit doigt et y plonger dedans. Partager le pain. Embrasser cette seule fidélité : trahir la vérité...
« Ma grange ayant brûlé de fond en comble, plus rien ne me cache la vue de la lune qui brille... »
Être poète, c’est encore vivre.

 

 

Les artistes ont été délaissés et même abandonnés pendant toute cette pandémie

Pendant la pandémie vous êtes descendu dans la rue pour jouer et ainsi protester par solidarité pour tous les artistes (acteurs, metteurs en scène, réalisateurs, musiciens...). Que pensez-vous de la manière dont le gouvernement a géré cette situation ?

J’étais à Paris, avec Éric et des amis et en allant à la Fnac j’ai vu tous ces livres, tous ces disques, toute cette culture, toutes ces vies d’artistes emprisonnées derrière des barrières, inaccessibles. Et les gens au regard triste, vide. Pas de son, pas de musique, pas de rire. Alors, j’ai pris ma guitare et je suis parti dans la rue. Fontaine St Michel, au cœur de Paris, comme un troubadour avec ma guitare en bandoulière, et je chante une, deux, trois, quatre chansons, et les personnes qui s’arrêtent sont heureuses, et nous échangeons des mots et des photos. Pas d’embrassades moi qui aime prendre dans mes bras ou serrer contre mon cœur, mais les gestes barrière l’interdisent. C’est terrible d’être physiquement coupé des autres. Et puis nous sommes passés chez Gibert jeune, au rayon musique, et j’ai encore chanté pour les quelques clients qui avaient pu entrer. C’est un moment hors du temps et j’espère pour eux un moment de joie. C’est chercher la joie, toujours, qui m’anime le plus. C’est d’abord ça, être artiste, c’est être au milieu des gens, c’est essayer de toucher leur cœur et de les faire rêver. Je ne suis pas homme politique et encore moins au gouvernement. Je ne sais pas comment j’aurais gérer cette pandémie si j’avais été à leur place. Mais les artistes ont été délaissés et même abandonnés pendant toute cette pandémie ; Il a fallu faire preuve d’imagination et d’inventivité pour continuer le lien avec notre public, essayer de continuer à échanger des envies. Le public nous inspire, et nous l’inspirons également. Si on nous retire cette inspiration commune, nous ne sommes plus que des robots.

 

Quel message aimeriez-vous faire passer aux jeunes, peut-être un peu désabusés, qui nous lisent et partagent votre passion pour les arts ?

Debout ! Nous devons encore vivre parce que nous le pouvons. Le feu ne s’éteint jamais vraiment, il sommeille, il suffit de souffler un peu sur les braises pour qu’il reparte. On peut baisser les bras pendant un temps, mais jamais abandonner. Abandonner, renoncer, c’est mourir. Tant que nous sommes en vie, tant que nous avons de quoi manger, de quoi boire, de quoi respirer, tant que nous avons des voix et des bras, il faut se relever et créer et rire. C’est dingo de rire. C’est la vie. Comme aimer.

 

Cali CRÉDIT PHOTO LAURENT MÉLIZ
Crédit photo Laurent Méliz

 

Après vingt ans de carrière, qu'est-ce qui vous motive encore à monter sur scène, à partir sur les routes à la rencontre d'un public ?  

Le public. L’amour qu’il me donne. Les rencontres. Le plaisir que je vois dans leurs yeux. Et j’ai encore beaucoup à dire et écrire. Sans oublier mes musiciens, un groupe de jeune formidables, et mon pianiste et magicien, et même un peu plus, Augustin Charnet, qui sait tout faire, pour lui et pour les autres. Et d’autres groupes encore que je voudrais monter avec d’autres potes chanteurs et artistes. Des structures légères ou moins. Oui, ne jamais s’arrêter de créer et s’amuser.

La pandémie va sans doute bousculer ou modifier beaucoup de choses. Mais je crois que je suis né pour ça, écrire, chanter, faire l’acteur, mettre en scène, imaginer des expositions, soutenir des causes, donner, et partager. Et j’espère que j’en oublie. En un mot : vivre. Vivre !


Êtes-vous confiant pour l'avenir de la culture en France ?

La culture n’est pas quelque chose de figé. Il faut la faire vivre et vouloir la faire vivre. Les artistes, tous les artistes, pas seulement les chanteurs ou les musiciens, ont cette envie. Mais seul, il est difficile de se battre ; Il faut que nous nous organisions, entre nous, que nous nous regroupions, pour aider les plus jeunes, pour soutenir ceux qui sont affaiblis, pour inventer d’autres moyens de partager cette culture, pour qu’elle redevienne essentielle. Avoir été traité de « non essentiel » est dramatique. Nous sommes tous, tous les humains, essentiels. Et la culture, la poésie, est partout. Les mains d’un jardinier dans ses plantes, le regard d’une mère sur ses enfants, tout est culture, tout est chant, tout est source d’inspiration. Sortons de ces ornières dans lesquelles on veut nous enfoncer. Si on doit faire des barricades, prenons la poésie, le théâtre, le chant, grimpons dessus, levons les bras ensemble. La culture, en France ou ailleurs, ne peut pas disparaître tant que nous sommes debout. Elle aussi doit et peut encore vivre.

Et puis, avant de conclure, il faut avec une certaine gravité et tout autant de sérieux imaginer que les artistes musicaux, les chanteurs, se fédèrent, s’organisent afin de pourvoir imaginer un pouvoir légitime fasse aux plateformes qui diffusent notre musique, nos créations sans reverser équitablement les droits qui nous reviennent. Sans un sursaut de notre part à tous et tous ensemble, les chanteurs ne pourront plus vivre et que serait une société ou un monde sans musique ni chansons ?

 

 

 

* « Éparpillés », Cali, éd. Invenit, collection Le chant des possibles
Cavale, l’album, Label Verycords
N. B. À signaler qu’Éric Poindron est le préfacier de Le Blues roumain, une Anthologie de la poésie roumaine imaginée par Radu Bata, éditions Unicité.
grégory rateau
Publié le 13 juin 2021, mis à jour le 21 juin 2021

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