LePetitJournal.com va aujourd’hui vous parler de bière, plus précisément de bière artisanale. Nous avons donc rencontré pour vous le Belge David Raets qui a eu le courage de tenter une aventure un peu folle, fabriquer sa propre bière et la distribuer sur le marché roumain saturé par les grosses enseignes de bière industrielle. David nous parle avec passion de ses bières, Three Happy Brewers.
Né à Bruxelles, d’un père flamant et d’une mère wallonne, David Raets a vécu avec sa famille dans plusieurs pays : le Congo belge, la Nouvelle Zélande puis l’Australie. David est devenu ingénieur robotique mais son envie de ré-explorer l’Europe a été plus forte. En 2005, il a tout quitté pour aller à Londres, sans travail, avec juste un sac à dos et y rester quelques années, avec pour seule conviction, qu’il devait changer de carrière car il ne se sentait "plus vraiment épanoui en tant qu’ingénieur". David est parti avec sa femme d’origine roumaine, à Bucarest pour prendre quelques mois de vacances. La vie ici l’a séduit immédiatement et lui a donné envie de chercher ce qu’il pourrait faire pour y rester. David est tombé dans la bière par hasard et a décidé de se lancer dans une toute nouvelle aventure: fabriquer lui-même ses bières artisanales puis les distribuer.
Grégory Rateau : Vous n’aviez jamais fait de bière avant de venir ici ?
David Raets : Et bien pour tout vous dire j’ai commencé à faire ma propre bière car il n’existait pas encore de bière artisanale quand je suis arrivé en Roumanie. Il y avait de bonnes bières importées, c’est vrai, mais pas la diversité que je recherchais et dont j’étais habitué en Belgique ou à Paris. Dès que j’allais chez des amis, je leur apportais ma bière faite maison, fabriquée dans ma cuisine et ils ont commencé à m’en demander plus, à me passer des commandes (rires). J’ai ensuite rencontré mes partenaires d’aujourd’hui, ce sont eux qui m’ont dit :" Ta bière est bonne et la Roumanie a besoin de ces bières là, tentons quelque chose!" Et voilà, j'ai tenté le coup. A cette époque, j’avais une toute autre carrière, je ne me voyais donc vraiment pas faire de ce hobby sympathique, un métier. J’ai pris ce risque par optimiste et je ne l’ai pas regretté ensuite et cela malgré toutes les difficultés pour y parvenir. Je suis fier d'y être arrivé, j’ai fini par vivre ici, beaucoup d’efforts, mais cela en valait vraiment la peine. Cela fait 6 mois qu’on vend et qu’on produit officiellement de la bière.
Quel est votre souvenir de la meilleure bière ?
C’est facile, j’avais 17 ans, c’était en Australie, il y avait une brasserie artisanale, et j’y ai dégusté la Little Creatures Pale Ale. Pour moi ça été une découverte incroyable car je suis passé de la Foster's qui rassemble à la Carlsberg ou la Heineken, à cette bière d’exception. J'ai basculé dans un autre monde, la meilleure bière que j’ai jamais goûtée, ce n’était même plus une bière mais un tout autre produit.
Est-ce que c’est cette bière qui a nourri votre inspiration ?
Oui, c’est cette bière que j’ai essayé de reproduire à mes débuts pour arriver à trouver ensuite ma propre bière. On part des mêmes influences, une bière qui se boit l’été, rafraîchissante, amérisante et aromatisée.
Quels sont les ingrédients utilisés ? Sont-ils de Roumanie ou de l'étranger?
Malheureusement tous les ingrédients proviennent de l’étranger. J’adhère à la notion de manger local, manger bio, sans pesticides, et la Roumanie produit bien les ingrédients nécessaires pour faire de la bière, c’est-à-dire l’orge et le houblon. Le problème est ailleurs, c’est que les communistes sont passés par là et il y a eu une standardisation de ce qu’est devenu une bière, c’est ce que l’on trouve aujourd’hui, les bières industrielles. Le houblon et l’orge sont standardisés pour répondre à cette demande de quantité mais ils ne répondent plus du tout à nos besoins de qualité. On dialogue avec les acteurs locaux pour essayer de planter et de cultiver des matières premières que l’on voudrait utiliser mais c’est un travail de longue haleine. Entre temps, on fait venir le malte de l’Allemagne, de la Belgique et de l’Angleterre et le houblon d'Australie, des USA... tout dépend de la bière que l’on projette de faire. On aimerait travailler plus avec la Roumanie mais c’est impossible pour le moment.
Comment convaincre vos clients que la bière artisanale est meilleure que la bière industrielle?
Il y a beaucoup d'arguments, mais c’est aussi et surtout une question de gastronomie. Prenons le porc ou le poulet, tout aliment qui a été engraissé dans des fermes quelconques ne va pas avoir le même goût que le même aliment élevé dans son habitat naturel. En dehors des supermarchés, il y a ici des marchés d’artisans, dans les villages et un peu partout. On voit tout de suite la différence de goût en mangeant une tomate des champs et une tomate avec des colorants, c’est évident. C’est donc la même chose pour la bière, je vous ai expliqué pourquoi nous importions nos ingrédients car, dans ce cas, les ingrédients locaux n’ont pas de goût. J’espère que le produit final parle pour lui-même et qu’il a plus de goût qu’un produit industriel. Nous n’utilisons pas de colorants, ce que l’on trouve dans les bières industrielles par exemple. Nos bières prennent 3 à 6 semaines pour se produire, une bière industrielle prend moins d’une semaine, ce n’est pas naturel, il faut rajouter des choses comme des enzymes, nous on ne fait pas ça.
Et où organisez-vous des dégustations de vos bières pour aller au contact du consommateur ?
L’été on participe à des festivals de bière pour faire découvrir nos produits, les gens ne savent pas qu’il s’agit de bière artisanale, ils disent : « C’est délicieux ! » mais ensuite au moment de payer les 10 lei ils trouvent cela trop cher et ils ne reviennent pas. Pour 5 lei de différence ils vont préférer la bière industrielle vendue dans de grosses bouteilles où il y en aura plus, pour un prix plus attractif. En soi, je comprends tout à fait et cela ne me pose aucun problème car nous avons un autre public cible qui recherche une autre qualité mais en ce qui concerne le prix, nos ingrédients coûtent plus cher inévitablement. On essaye à notre petit niveau et avec d’autres acteurs du monde de la bière artisanale, d’éduquer leur goût et de les sensibiliser à des modes de fabrication plus sains. Notre clientèle est plutôt jeune, elle recherche de la nouveauté, et des bons produits. J’aimerais vraiment rendre à la Roumanie ce qu’elle m’a donné en y associant cette recherche de qualité et pourquoi pas l’exporter dans le reste du monde.
Quelle bière recommandez-vous pour cet hiver?
On a justement une bière saisonnière, qui est sortie début décembre en quantité très limitée qui est une bière à la citrouille. On n'utilise aucune arôme de citrouille, il s’agit d’utiliser de la vraie citrouille. On va sortir la semaine prochaine une bière noire dans un style anglais Porter, qui est une bière traditionnelle londonienne de l’hiver avec des goûts de café, de chocolat amer, parfaitement adaptée pour cette saison. Cette bière est donc ma recommandation, elle est saisonnière mais elle deviendra peut-être permanente sur le long terme.
Le marché de la bière est assez important en Roumanie. Quel pourcentage de Roumains consomment de la bière artisanale?
C’est très limité (rires). Les Roumains sont dans le top 10 des plus gros consommateurs de bière au monde en volume mais quand on va au supermarché on voit les grosses bouteilles de plastique de 3 litres vendues quelques lei et on comprend tout de suite pourquoi. Ils aiment la bière, cela ne fait aucun doute, mais l’éducation est à refaire complètement et c’est cela qui est vraiment difficile. Il faut être présent là où ils consomment de la bière, éduquer le consommateur qui a déjà ses habitudes bien ancrées. On a tout à faire de ce côté là, on doit trouver les personnes physiques pour nous représenter, trouver les partenaires logistiques et les distributeurs pour transporter et distribuer la bière ici à Bucarest mais aussi un peu partout en Roumanie. On n’arrive pas encore à maintenir la production en fonction de la demande avec tous ces problèmes de logistique mais j’ai confiance en l’avenir et je crois au potentiel de ce pays qui m'a donné une nouvelle chance.