Pour cette nouvelle série de nos portraits de gens amoureux de la Roumanie, LePetitJournal.com de Bucarest et notre partenaire Lea Broker, vous proposent d’aller à la rencontre du belge Gauthier Van Weddingen. Aventurier dans son désir de se nourrir par la découverte d’autres cultures, Gauthier a travaillé dans de nombreux pays avant de trouver "sa terre promise", ici, en Roumanie. Il nous explique pourquoi il a fait ce pari roumain qui pourra en étonner plus d’un. Il faut parfois dépasser les clichés pour cheminer vers soi.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis belge, j’ai 63 ans, je suis marié avec une Roumaine (rire). J’ai 2 enfants et 4 petits enfants. J’ai fait du marketing, de la publicité, j’ai monté deux start-up dans le domaine bancaire, une en Pologne et une en Roumanie, toutes les deux spécialisées en crédit à la consommation. Je me suis beaucoup amusé dans ce domaine, mes plus grands défis ont été de comprendre la population locale, les gens, la culture et ensuite de les faire travailler ensemble, m’adapter est la chose la plus importante dans mon travail. Mon parcours, vous l’aurez compris, est celui d’un homme qui ne peut pas se contenter de vivre dans un seul périmètre mais qui a à cœur de découvrir le monde. J’ai vécu dans 5 pays différents. Ma première expatriation a été la Pologne puis la Roumanie dans une période un peu plus longue, la France ensuite, la Belgique et enfin la Russie, cerise sur le gâteau. J’ai vécu un an à Moscou et ça été une expérience incroyable pour moi. Autant Moscou fascine quand on arrive dans une ville comme celle-là mais si vous voulez vous sentir bien, il faut aller dans une ville comme Bucarest, une espèce de fantaisie latine, d’ouverture et de fraternité qui me convient. Les Russes sont très froids, très réservés, il faut faire beaucoup d’efforts avec eux pour briser la glace. Donc moi ma véritable histoire d’amour après toutes ces expériences loin de chez moi, c’est la Roumanie, d’abord parce que ma femme est roumaine, je l’ai rencontrée dans un train entre Bruxelles et Paris il y a 38 ans maintenant. Et pour bien d’autres raisons.
Justement qu’est-ce que ça lui a fait de revenir chez elle ?
Et bien, elle avait fui la Roumanie parce que sa famille était mal notée. Par un hasard de la vie, j’ai accepté une mission ici en 2008 et elle est revenue avec moi. Elle a commencé par pleurer en me disant « Non ne me ramène pas dans cet enfer ! » et elle a découvert ensuite que c’était un autre pays, un autre mode de vie, une liberté qu’elle n’avait pas connue à l’époque où elle y vivait avec sa famille, donc ça l’a beaucoup intriguée au départ et petit à petit elle a retrouvé ses anciens amis. C’est compliqué car les gens qui sont restés et qui ont supporté la dictature communiste en veulent à ceux qui sont partis, ils leur reprochent d’avoir fui quand les choses allaient mal et d’être revenus quand les choses se sont réglées sans leur concours. Il y a eu donc une petite phase de rodage où elle a dû se faire ré-accepter puis ensuite les relations ont été très vite assainies. Elle aime son pays ça se voit.
Pourquoi cette passion du vivre ailleurs en ce qui vous concerne ?
J’aime le brassage des cultures. Une simple anecdote, quand je rentrais en Belgique je revoyais des amis que je n’ai pas vu depuis une quinzaine d’années et j’ai eu l’impression qu’ils sont restés bloqués dans un tout petit cercle, ils parlent des mêmes choses, ils ont les mêmes centres d’intérêt, les mêmes expressions. Leur routine est la même. Je ne voulais pas ça, voilà pourquoi j’ai voyagé et que j’ai travaillé à l’étranger. En Pologne, il y a une grande solidarité, on s’entre-aide, on se tape très vite dans le dos avec la vodka qui coule à flot. On apprend beaucoup en observant les autres. Ici, en Roumanie ça été un peu différent, en 2008 quand je suis arrivé, l’héritage du communisme avait laissé des traces, les gens étaient plus méfiants les uns avec les autres. On demandait même à l’époque aux enfants à l’école de dire ce que leurs parents disaient à table, vous imaginez ça. C’est une longue histoire avec ce pays, j’y retourne depuis les années 90, pour le tourisme au départ, puis pour m’y installer, j’ai donc vu une nette évolution. Comme je vous le disais, les défis à relever sont mon moteur, je n’aime pas stagner, géographiquement parlant mais également professionnellement parlant. Ici, en Roumanie, j’ai réussi mon plus grand challenge, souder une équipe dont les membres, à l’origine, n’avaient pas l’habitude de se serrer les coudes. Et cela ça donne du sens à ce que je fais, ce que j’entreprends.
Expliquez-nous un peu votre amour pour la Roumanie ? Comment jugez-vous la qualité de vie ?
L’ouverture des gens, on va à la campagne, les locaux nous ouvrent leurs portes, ils nous logent sans sourciller même s’ils n’ont rien, une simple paillasse suffit parfois. Ça c’est merveilleux. L’étranger n’est pas stigmatisé, il y a une vraie curiosité envers les gens qui viennent d’ailleurs. C’est entre eux où, j’y reviens, c’est le plus compliqué, la méfiance persiste et c’est donc difficile de faire travailler les gens ensemble mais on y arrive petit à petit si on fait preuve d’ouverture et de bonne volonté. Le point le plus important, la sécurité. A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, les femmes peuvent prendre le métro et se balader dans la rue sans problème. Les Roumains sont très respectueux des femmes, dans la rue, je ne vois jamais ce que l’on peut rencontrer ailleurs, des insultes, des lourdeurs, une violence quelconque, voire pire. Je ne m’avancerai pas sur ce sujet dans d’autres circonstances mais dans la sphère publique, ils se comportent de manière très courtoise et respectueuse. On est loin de Paris et de toutes les agressions que les femmes y subissent au quotidien, très loin. Pour la qualité de vie, celle-ci est bien évidemment différente pour l’expatrié qui vient ici avec un contrat, notre perception est un peu biaisée. On doit garder les yeux ouverts sur les multiples réalités du pays mais la qualité de vie pour moi est exceptionnelle. Y vivre avec sa famille c’est l’assurance de vivre en accord avec les autres. Le climat est très agréable, beaucoup de lumières, la grisaille parisienne me démoralisait et cela jouait bien sûr sur les rapports entre les gens. Ici, les gens sont plus détendus, ils sortent tous les soirs, ils aiment prendre du temps entre amis et partager de bons moments conviviaux. La pression n’est pas la même. Il y a de vraies saisons, de vrais hivers, de vrais été. En Pologne je comptais les heures où il faisait jour, le moral en prenait un coup (rire). La beauté de ce pays est un point important, on est à la capitale et en même temps la campagne, la montagne, la mer, tout est à proximité. On peut s’évader et rencontrer de vrais espaces de liberté. On peut encore s’auto-responsabiliser, prendre des chemins de traverse sans prendre des coups de bâtons. On n'a pas l’impression d’être sur des rails. Ce n’est pas pour aller à l’encontre de la loi mais pour être acteur de sa vie et compter sur soi-même ou sur la solidarité avec les autres. Ne pas toujours attendre tout de l’État ou des autorités même si la police a un rôle à jouer indispensable dans nos sociétés. On développe de nouveaux réflexes que moi j’adore personnellement car je suis un peu aventurier. Les traditions y sont très bien préservées également, on a parfois l’impression d’être très loin de l’Europe telle qu’on la connaît et en même temps d’y retrouver ce qui fait sa belle diversité et que l’on a tendance à laisser s’égarer. L’architecture dans certains villages c’est aussi quelque chose, les portes en bois, les moulures, les monastères orthodoxe, un bonheur de traverser des mondes que l’on croyait totalement perdus. Ce pays est surprenant.
En tant qu’acteur économique comment jugez-vous les perspectives économiques du pays ?
Je suis venu juste avant la crise et j’ai eu la chance d’avoir des actionnaires qui ont maintenu leurs investissements alors que tout s’effondrait autour. C’est le seul pays que je connais qui a accepté que le salaire des fonctionnaires soit diminué de 25 pour cent et que la TVA soit augmentée de 5 pour cent en même temps. L’État a, selon moi, pris les bonnes mesures pour tenir le coup et éviter que tout implose. Bon on a survécu et j’ai vu le pays qui a repris du poil de la bête, la croissance était absolument sidérante pendant une dizaine d’années puis on est descendu à moins 8 donc tout le monde s’est serré la ceinture. Les gens ont été capables de sacrifices totalement incroyables, il y avait un espèce de fatalisme, je ne sais pas s’il était dû à la religion mais ils ont accepté la situation avec stoïcisme. Les choses changent maintenant avec les nouvelles générations, ils manifestent, ils résistent, ils ne veulent pas attendre et subir. L’avenir de la Roumanie ce sont eux. Le pays s’est relevé aujourd’hui, il se stabilise, on récolte les fruits après une longue sécheresse, c’est la meilleure croissance de toute l’Europe même si cela est entre nous un peu artificiel, il y a bien évidemment un revers de la médaille. Mais il y a aussi de bonnes choses, les investissement étrangers affluent à nouveau, la Roumanie est considérée comme un îlot dans un voisinage assez turbulent, que ce soit la Turquie, l’Ukraine, la Bulgarie, ici il y a quand même un cadre législatif qui donne confiance à ceux qui viennent investir. Ce qui fait que l’on peut envisager que les infrastructures s’améliorent, que la distribution se développe, que la main d’œuvre qualifiée trouve du travail et ne déserte pas systématiquement à l’étranger. Les formations sont très bonnes, on le voit avec ces sociétés informatiques qui viennent recruter une armée de programmateurs et d’informaticiens en Roumanie. L’économie a quelques bonnes années devant elle. Les gens sont parfois un peu trop rétifs au changement, moi c'est le contraire, je suis pour analyser toutes les idées à partir du moment où la proposition s’avère valable et productive. Il faut être optimiste pour voir ce qui, à terme, peut faire évoluer les choses dans le bon sens.
Comment se traduirait votre implication sur le plan social ?
Dans la société deux pour cent du chiffre d’affaire peut être dépensé pour soutenir des initiatives sociales, des programmes notamment, se proposant d’aider la scolarisation d’enfants tziganes que l’on a épaulé. Depuis quelques années je m’interroge sur ce que je pourrai faire moi comme être humain pour améliorer les choses ou tout du moins y apporter ma maigre contribution. Et aujourd’hui la raison pour laquelle je reviens en Roumanie c’est pour essayer d’y lancer un projet d’énergie renouvelable, la législation a évolué, le système s’est effondré par le passé, beaucoup ont fait faillite mais je crois que certains de ces projets pourraient être ressuscités avec des modes de financement alternatifs, ce que je suis en train de mettre en place. Là encore deux pour cent du chiffre d’affaire va être consacré à améliorer les infrastructures dans les villes ou villages où sont installés les éoliennes pour fournir de l’électricité gratuite aux familles.Nous sommes allés à la rencontre des locaux et ils accueillent cette initiative avec un immense enthousiasme. A certains moments, surtout à mon âge, on a envie de laisser une trace, de faire les choses aussi pour les autres en y trouvant bien sûr son intérêt, en s’y réalisant aussi. J’ai également, par le passé, participé avec d’autres chefs d’entreprise à des rencontres avec des étudiants pour leur expliquer que l’on pouvait tout à fait faire du business mais de façon propre, sans compromission, sans pots-de-vin. Cela a rencontré un succès fou dans les universités, auprès des élèves et des professeurs. Je sais qu’il y a dans pas mal de secteurs des problèmes de corruption, il faut donc commencer à éduquer les jeunes pour leur permettre de prendre la bonne direction, leur montrer que c’est possible et qu’ils ne sont pas seuls. Je suis un naïf on me le dit souvent mais je tiens à conserver cette naïveté car elle me donne la force d’avancer, de continuer, de rêver et d’entreprendre.