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Bookfest: rencontre avec la traductrice roumaine Florica Courriol

Dans le cadre du Salon international du livre Bookfest, qui aura lieu du 29 mai au 2 juin 2024, nous sommes allés en amont à la rencontre de la traductrice Florica Courriol. Elle viendra y présenter, pour l'Institut français de Roumanie, l'ouvrage "Kundera, écrire quelle drôle d’idée" de Florence Noiville publié chez Gallimard et traduit par ses soins chez Curtea Veche. Une interview qui vient donc s'inscrire dans notre série spéciale consacrée à la traduction, un métier trop peu valorisé et pourtant essentiel.

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Écrit par Grégory Rateau
Publié le 13 mai 2024, mis à jour le 13 mai 2024

Avant tout et depuis longtemps, j’aimerais publier des recueils entiers de nouvelles, cette forme littéraire a une très longue tradition chez les Roumains, tous les grands romanciers (classiques ou modernes) ont commencé par la nouvelle, il y a des auteurs qui n’ont écrit que de nouvelles toute leur vie, comme l’excellent Ràzvan Petrescu...

Grégory Rateau: Tout d’abord, parlez-nous de votre venue en Roumanie pour le Bookfest.

Florica Courriol: Se rendre à un Salon du Livre me permet de revoir des amis, des proches, des écrivains que nous avons traduits ou que nous apprécions et rêvons de traduire. Il y a deux ans, j’ai participé à plusieurs tables rondes sur la traduction, entourée de deux éditeurs français, suite à la sortie en France du roman « Zogru » de Doina Rusti. L’année dernière, c’était pour soutenir deux traductions dans l’autre sens, le roman de Corinne Desarzens (« Un Noël avec Winston » chez Eikon) et celui de Raluca Antonescu, « Inflorescence » (chez le même éditeur), ouvrage pour lequel l’autrice vient de se voir attribuer le Prix de la Francophonie (je précise que ces deux traductions ont été réalisées en collaboration avec Jean-Louis Courriol qui, tout comme moi, traduit dans les deux sens). Pour répondre à votre question, cette année je viens au Bookfest à l’occasion de la sortie en roumain de l’ouvrage Kundera, écrire quelle drôle d’idée de Florence Noiville (édité chez Gallimard) que j’ai eu l’honneur de traduire pour Editura Curtea Veche ; j’aurais le plaisir d’accompagner l’autrice qui se rend en Roumanie en réponse à la double invitation, celle de son éditeur roumain ainsi que celle de l’Institut Français de Bucarest. Elle est, par ailleurs, la marraine du Goncourt des étudiants roumains et moldaves et passera, par la même occasion à Bookfest pour rencontrer le public roumain et francophone.

 

Comment vous est venue cette passion pour la traduction, pour la langue française ?

J’aimais déjà L'étrangère quand j’étais enfant, vous connaissez ce poème Grégory, vous qui êtes un poète sensible et ouvert à la poésie des autres. Oui, j’ai toujours aimé les langues et j’ai adoré les cours de traductions que nous dispensaient les professeurs de la rue Edgard Quinet… ne sachant pas encore qu’un jour je m’installerais en France et que je pourrais me dédier entièrement à cette passion. Le plus drôle c’est que - durant l’effroyable période où j’ai eu les plus inimaginables difficultés pour me marier - mes interrogateurs de l’époque me demandaient, sûrs de me mettre en difficulté, de quoi je pourrais bien vivre en restant en France. "Mais de la traduction littéraire", avais-je répondu plus pour me sortir de l’embarras ! Plus tard, cette idée in nuce s’est matérialisée en traductions littéraires des plus diverses.

 

Quels ont été vos premiers coups de cœur littéraires en français et en roumain ?

En matière de lecture, étudiante encore, je découvrais grâce à la bibliothèque de l’Institut français « L’écume des jours »  de Boris Vian , « Le petit Prince » - comme tout le monde - et, avec surprise, « Bonjour Tristesse » de Françoise Sagan. Puis, aussi surprenant que cela puisse paraître, les textes étudiés durant les cours comme « Mythologies » de Roland Barthes mais aussi « Le rouge et le noir », disséqué en roumain par une professeure de littérature comparée du nom de Vera Càlin.

En littérature roumaine, j’ai aimé, comme toute adolescente, les romans de Ionel Teodoreanu, ensuite, ceux de Hortensia Papadat-Bengescu et de Camil Petrescu. Ces deux auteurs sont restés mes références. Durant les années de fac j’ai commencé à m’initier à la littérature de mes camarades de la génération 1980, les « optzecisti » comme on les appelle selon un terme générationnel de l’histoire littéraire roumaine. J’aimais aussi la poésie, dès l’enfance, je récitais beaucoup ; le vrai déclic s’est produit néanmoins au lycée, on venait de réhabiliter un grand poète roumain, Lucian Blaga. A côté de Marin Sorescu et Nichita Stanescu, il reste encore mon inébranlable « amour » poétique.

 

Parlez-nous des différentes étapes de la traduction d’un livre ?

Il y a des traducteurs qui se vantent de ne pas connaître d’avance le texte à traduire (ils n’ont peut-être pas le temps de le lire s’ils sont à ce point sollicités par les éditeurs !). Moi je répondrai de l’inconfortable position du traducteur des langues de circulations restreintes, qui est un cas de figure bien à part. Je commence donc par lire les livres ; ensuite je fais une sélection, je pèse non seulement les qualités littéraires mais aussi la possibilité d’une réception française. Quand je suis moi-même convaincue de pouvoir convaincre, à mon tour, un éditeur francophone, je prépare le projet (présentation, échantillon de traduction, dossier critique) et …prends mon bâton de pèlerin ! C’est la phase la plus pénible car il faut intéresser l’éditeur sans le harceler ; et comment savoir que – s’il ne vous a pas répondu- votre message n’est pas allé dans ses spams ? Vient ensuite, dans le cas heureux, la réponse positive (lorsqu’on me répond deux jours après je me méfie, c’est pour me communiquer poliment le refus pour causes réelles ou inventées). Et ne croyez pas que dans l’autre sens cela est plus aisé ! Les éditeurs roumains ne sont pas beaucoup plus ouverts, nombreux d’entre eux - que je connais personnellement – n’acceptent que des livres qui se « sont bien vendus à l’étranger » ou qui ont eu des prix littéraires importants. Or les prix sont assez rares et les textes de qualité non primés extrêmement nombreux. Mais pour revenir strictement au processus de traduction, cela se compose de la lecture, la transposition et la relecture. La lecture avant de commencer est absolument nécessaire pour la compréhension générale du texte, pour un décodage correct du discours, de l’intention auctoriale.

 

Selon vous, un traducteur doit-il bien connaître l'ensemble de l'œuvre d'un auteur pour se lancer dans la traduction de l'un de ses livres ?

Pour traduire un auteur, connaitre la totalité de son œuvre ne peut qu’aider, toutefois, chaque texte est original et il faut l’aborder en tant que tel. S’il s’agit par exemple d’une trilogie ou de romans où les personnages reviennent, connaître le corpus intégral facilitera le décodage, pourra éclairer les suggestions et les sous-entendus. Connaître la totalité de l’œuvre d’un auteur permet certainement une familiarisation avec son style, une meilleur réactivité à ses allusions ou à des sous-entendus éventuels ; on ne rit à une blague que lorsqu’on connaît le contexte qui l’a générée !

 

Florica Courriol

 

Votre pays d’origine est la Roumanie. Quel lien entretenez-vous avec vos racines ? Avez-vous constaté des changements importants?

Oui, mes racines sont roumaines, mes « ailes », comme dirait l’autre, sont françaises. J’ai vécu bien plus d’années en France qu’en Roumanie, je reste attachée à mon pays d’origine, me réjouis des changements démocratiques et des mentalités, m’attriste pour ce qui est moins rose, pour les aspects négatifs. Dans l’ensemble il y a eu d’énormes changements qu’on ne peut qu’apprécier et louer, ne serait-ce que la liberté de la parole et de la libre circulation, la multitude des maisons d’éditions, des journaux, de la possibilité de protester, de faire des choix. Ce sont là des généralités, je sais, mais il ne faut pas oublier le manque d’information, les interdictions, l’absence de tout horizon et d’espoir durant les régimes totalitaires. Rien que le fait de me rendre chez un écrivain sans que devant sa maison stationne un engin suspect – comme cela nous est arrivé quand on allait rendre visite à Marin Sorescu durant l’été 1989 - c'est rétrospectivement un sentiment de grande liberté.

 

Un auteur roumain que vous souhaiteriez traduire dans l’avenir pour le faire découvrir en France ?

Difficile de vous répondre ! J’ai une longue liste d’œuvres et d’auteurs, longue, très longue ! La littérature roumaine est séduisante et inventive et on est vraiment frustré de ne pas pouvoir la faire mieux connaître. Avant tout et depuis longtemps, j’aimerais publier des recueils entiers de nouvelles, cette forme littéraire a une très longue tradition chez les Roumains, tous les grands romanciers (classiques ou modernes) ont commencé par la nouvelle, il y a des auteurs qui n’ont écrit que de nouvelles toute leur vie, comme l’excellent Ràzvan Petrescu ; d’autres, comme Florin Irimia ou Augustin Cupsa ont signé également des romans mais restent des « inconfondables » (osons ce terme roumain !) sinon incontournables dans l'écriture de « proses courtes ».  

 

L'auteur Claro aussi traducteur parle d'échec pour définir son rapport à la traduction, "savoir échouer mieux". Pensez-vous que la traduction rend parfaitement honneur au texte d’origine ?

Elle le devrait. Mais il y a des textes qui présentent plus d’écueils que d’autres, la poésie notamment (surtout sous sa forme classique : rythme, rimes) mais aussi la poésie moderne, car il y a un élément contre lequel on ne peut pas grand-chose en tant que traducteur : la résonance, l’écho, l’impact d’une image, d’un mot de la langue d’origine dans l’imaginaire du lecteur dans la langue cible. S’il fallait définir le fait de traduire, je dirais que le résultat est à l’image de ces sculptures d’Etienne-Martin, de ses corps artistiquement entrelacés qui laissent en même temps deviner la matière première, le bois, l’arbre d'origine contorsionné. Le roumain est le plus souvent allusif, le français explicite - si vous me permettez ce raccourci facilement vérifiable – et il faut travailler la « matière »pour la faire parler de la même façon …ou presque, à l’arrivée. Sans quoi, oui, il faudra chercher à faire comme le dit le collègue Claro…

 

Un conseil à donner à ceux qui aimeraient devenir comme vous, des traducteurs ?

L’incontournable question ! Qu’ils lisent beaucoup et dans les deux langues en contact, seule manière de s’assurer un lexique riche, d’accumuler un trésor d’images poétiques, de formules stylistiques, un vocabulaire passif prêt à devenir actif en cours de traduction. Qu’ils écoutent aussi les gens dans la rue, les sons et les bruits, qu’ils dressent l’oreille à la vie ! Et qu’ils fréquentent, si possible, des ateliers de traduction, des rencontres et des échanges autour de la traduction.

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