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Droits des femmes en Inde : le témoignage de deux femmes indiennes

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Écrit par Marion Labouze
Publié le 8 mars 2022, mis à jour le 8 octobre 2024

En tant que femme, lorsque l’on déclare à sa famille que l’on part en Inde sur une plus ou moins longue durée, on reçoit forcément des commentaires inquiets. En effet, l’Inde a mauvaise presse en ce qui concerne le respect des droits des femmes. Mais qu’en pensent les Indiennes qui vivent aujourd’hui à Mumbai et ont toujours vécu en Inde ? Nila, 45 ans, avocate spécialisée dans les droits des femmes, et Indira, 33 ans, non mariée, qui a choisi de vivre comme elle l’entendait, ont partagé avec la rédaction leur vision de la condition des femmes en Inde. 

 

Nila* et Indira* (ndlr : les noms ont été modifiés) ont vécu toute leur vie à Mumbai : Nila est avocate et vit avec son mari et sa fille, tandis qu’Indira, auparavant dans le secteur de l’évènementiel, vit seule, non loin de ses parents dont elle s’occupe. La famille de Nila vient du Kerala (ndlr : État du sud-ouest considéré comme un des plus progressistes en Inde), et celle d’Indira, d’une petite ville du Maharashtra.

Avant de commencer la discussion, Nila et Indira ont tenu à mettre en avant le fait que les femmes indiennes ont le droit de vote depuis l'indépendance en 1947 et que l'avortement est légal en Inde depuis 1971. De plus, en 2021, plusieurs amendements de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse ont été votés ce qui, selon l'Organisation Mondiale pour la Santé, a permis de renforcer l'autonomie des femmes en fournissant à toutes des soins complets en matière d'avortement et ce, alors que dans certains Etats des Etats-Unis et certains pays d'Europe, le droit à l'avortement est aujourd'hui remis en cause.

Ceci dit, voici leurs témoignages et leurs réponses aux questions de la rédaction.

 

Que changeraient-elles si elles se retrouvaient à la tête du gouvernement ? Quel est l’aspect le plus problématique sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes en Inde ?

 

Nila et Indira ont été unanimes :

 

TOUT est problématique, et il est impossible de se concentrer sur un problème en particulier. 

Lorsque Nila avait 20 ans, tout lui semblait ouvert et possible. Elle se montrait très optimiste sur les années à venir. Aujourd’hui, elle a toutefois l’impression que le phénomène inverse s’est produit et qu’elle se sent de moins en moins en sécurité, d’autant plus que le paysage politique a changé et qu’elle ne fait pas confiance au gouvernement actuel pour garantir les droits des femmes. L’obscurantisme dans lequel sont plongés de nombreux pays voisins (Afghanistan, Iran, Pakistan) lui fait aussi craindre le pire pour l’évolution de la situation des femmes en Inde. 

 

Nila confie que la situation est si diverse en fonction des communautés, des religions, des castes, des lieux de vie… qu’il est très difficile d’aborder ce sujet d’une manière générale. 

Elle prend en exemple le quartier de Bandra à Mumbai (ndlr : le quartier dans lequel habitent les Mumbaikars aisés) où la situation nous laisse penser que la condition des femmes en Inde est similaire à celle des femmes en France. « Cette bulle-là est évidemment une exception à l’échelle de l’Inde et même de Mumbai » rappelle-t-elle. De plus, selon Indira, même les femmes habitant Bandra sont confrontées quasi quotidiennement au sexisme si profondément ancré dans la culture indienne qu’il forme « l’ADN de ce pays ».

 

Nila et Indira considèrent que les discriminations qui sont différentes en fonction des communautés influencent aussi la manière dont les femmes perçoivent leur propre condition. 

Nila est chrétienne et les Indiens chrétiens sont de manière générale considérés comme plutôt progressistes, même si ce n’est pas toujours vrai dans sa famille et parmi ses amies. Alors, lorsqu’elle se permet parfois de faire un commentaire à une amie sur la situation des femmes, elle essuie souvent des commentaires tels que « mais c’est ma culture, dans ma communauté les femmes doivent faire ça, c’est peut-être différent pour toi, mais je dois continuer, c’est ma culture… » Nila ne cache pas son exaspération envers cette justification. En Inde, les femmes sont supposées être les garantes de cette culture qui les opprime. 

 

Femmes de dos en Inde
@Anaïs Pourtau

 

 

Acquérir l’indépendance économique : un défi pour les femmes indiennes 

Selon Nila et Indira, une des clefs de l’émancipation est évidemment l’indépendance économique. Mais, pour avoir des ressources financières, il faut travailler. 

 

Aujourd'hui, un peu moins de 20 % des Indiennes ont un emploi.

Les raisons sont multiples : 

  • un système de garde d’enfant peu développé (puisque dans la quasi-totalité des familles, ce sont les femmes qui les élèvent),
  • la pression sociale et les attentes de l’entourage quant à un modèle féminin de vertu dévouée à sa famille et ses enfants,
  • des femmes qui ont souvent fait moins d’études que les hommes indiens et qui sont donc souvent moins qualifiées et occupent des postes à responsabilités et rémunérations moins élevées,
  • une majorité de postes féminins dans le secteur du “care” (ndlr : services à la personne) qui sont en moyenne moins rémunérés. 

« C’est lamentable ! » s’insurge Nila. « En plus, le taux de chômage est énorme dans le pays. Donc même si les femmes veulent travailler, c’est très difficile. ».

 

La pandémie a aggravé une situation déjà peu reluisante. Les femmes qui travaillent dans l’artisanat ont retrouvé un emploi après les confinements, mais les femmes de la classe moyenne ont, pour certaines, toujours aujourd’hui beaucoup de mal à retrouver une activité.

Nila ajoute que même si elles ont un emploi et quelle que soit leur position au sein d’une entreprise, les femmes assurent tout le travail domestique, sans jamais se plaindre. 

Indira donne en exemple une famille qui habite son immeuble à Mumbai, dans laquelle la femme, qui occupe un poste de scientifique, travaille autant que son mari, mais fait la cuisine et s’occupe aussi des enfants au quotidien. Lorsqu’elle a l’opportunité d’assister à un séminaire dans un lieu éloigné de Mumbai, elle hésite souvent à y aller, car elle est inquiète pour la gestion du foyer. Son mari ne se pose pas de questions !

 

Femmes étendant le linge à Pondichéry
@Anaïs Pourtau

 

Nila évoque ensuite l’exemple des Indiens qui vivent à l’étranger, qui ont fait des études supérieures, mais qui vont quand même suivre les règles de leur communauté en Inde. Ainsi, une femme de son entourage, originaire du Kerala et qui travaille en Amérique du Nord dans le milieu médical, a confié, lorsqu’elle s’est mariée, la gestion de son argent à son mari et à sa belle-famille. Dans l’hypothèse où elle oserait réclamer son dû, sa famille et sa communauté la jugeraient comme quelqu’un d’égoïste. 

Certains Indiens installés à l’étranger vont revenir en Inde pour trouver une femme locale, avant de repartir avec elle. Nila se pose la question : « Pourquoi ne se marient-ils pas avec une femme du pays où ils habitent ? » Selon elle, la réponse est simple : « Ils savent que les Américaines ou les Européennes sont conscientes de leurs droits et qu’elles ne se laisseront pas abuser, alors que les Indiennes ont été élevées pour leur être soumises. » 


L’institution sacrée du mariage en Inde

D’après Nila et Indira, les hommes indiens pensent que tout leur appartient, qu’ils ont le droit de tout faire et que personne ne leur dira jamais « non ». 9 Indiens sur 10 considèrent que la femme doit obéir à son mari, d’après un sondage par le Pew Research Center qui a interrogé 29 999 adultes indiens entre novembre 2019 et mars 2020. 
 

En Inde, ce sont souvent les parents qui trouvent une épouse pour leur fils, et même si le mariage est rompu, ils retrouveront toujours une femme pour s’occuper d’eux. Les mariages arrangés, pratique très développée en Inde, sont d’ailleurs une garantie pour la communauté que les jeunes resteront dans la même bulle et continueront de perpétuer les mêmes traditions. 

 

un mariage indien

 

En outre, Nila explique que dans les familles indiennes relativement aisées, les parents offrent énormément d’avantages à leurs fils, si ceux-ci se marient comme ils l’espèrent (ndlr : avec quelqu’un de la même caste dans la même communauté) : ils obtiennent de l’argent, des ressources, ainsi qu’un soutien général conséquent. Les jeunes adultes décidant de rompre avec les traditions familiales se retrouvent seuls et sans ressources.

 

S’émanciper est un choix lourd de conséquences, c’est pourquoi la majorité des Indiens (hommes et femmes) suivent les règles et se marient entre eux.

Indira ajoute que la pratique de la dot n’est pas complètement systématique. Dans sa communauté, lors d’un mariage, la dot est partagée entre les deux époux à égalité. Mais dans d’autres communautés, la famille de la jeune promise « achète littéralement un mari ». Tout dépend des religions et des pratiques dans les communautés. 

 

deux femmes de communautés différentes à pondichery
@Anaïs Pourtau

 

Néanmoins, ce qui ne change pas, souligne Nila, c’est le peu d’indépendance dont jouissent les femmes une fois mariées. Indira affirme que la belle-famille a tout pouvoir sur la jeune épouse. La façon dont certaines belles-mères traitent leurs belles-filles peut aussi être particulièrement problématique: comme toute leur vie elles n’ont eu de contrôle sur personne, elles se « vengent » en quelque sorte sur la nouvelle arrivante. 

 

La belle-famille contrôle absolument tout ! Même la sexualité du couple !

 

Nila ajoute : « Si après 5 ans de mariage, le couple n’a toujours pas d’enfants, c’est la femme qui va en porter la responsabilité et qui va être humiliée pour cela. Elle va alors devoir “compenser” en faisant plus de travail domestique par exemple ».

 

Indira n’est pas mariée, ce qui est rare à 33 ans. Elle ne souhaite pas se marier par choix, bien qu’elle ait un compagnon de longue date. L’institution du mariage en Inde ne lui convient tout simplement pas. Nila intervient : « Elle doit tous les jours porter les conséquences de son choix ». 

 

Femmes artisans en Inde
@Anaïs Pourtau

 

Le divorce : un tabou largement présent en Inde

La question du divorce est toujours taboue en Inde. Comme le précisent Nila et Indira : les femmes n’ont d’abord, très souvent, pas les ressources pour s’échapper d’un mariage et ne peuvent donc pas penser au divorce.

Nila confie que sa mère, engagée dans un mariage violent, n’a pas voulu divorcer car la honte d’assumer publiquement l’échec de son mariage l’a retenue de quitter son mari.

Pour confirmer ce que dit Nila, Indira partage l’histoire d’une de ses amies qui souhaitait divorcer et avait assez de ressources pour vivre seule. Après avoir annoncé sa décision, elle a été confrontée à l’hostilité de tout son entourage. « Mais si elle, qui avait assez d’argent, a eu tant de problèmes pour obtenir le divorce, qu’en est-il des femmes qui n’ont pas cette chance ?» s’interroge Indira.

 

Nila reprend la parole pour évoquer une affaire bouleversante qu’elle a dû traiter au tribunal. « Une jeune femme d’une vingtaine d’années a fini par porter plainte contre son mari qui exigeait d’avoir avec elle de telles relations sexuelles, qu’après chaque rapport, elle saignait. C’étaient des viols permanents et la belle-famille considérait cela normal. Finalement, ils l’ont emmenée voir un médecin, qui a simplement informé le mari que son épouse avait probablement une maladie et qu’elle ne devait pas avoir de rapports sexuels pendant une semaine… Mais, le mari est devenu de plus en plus violent et la jeune femme s’est enfuie pour rejoindre sa famille. Son oncle maternel m’a appelé pour la défendre. Elle a obtenu le divorce, mais le mari n’a pas été puni. Ensuite, comme elle n’était pas qualifiée, elle a accepté un emploi dans un bar et toute la communauté l’a alors rejetée car elle avait rompu son mariage et en plus elle travaillait dans un bar ! » 

 

La dépénalisation du viol conjugal et le journalisme au féminin

Pour mieux nous faire comprendre la situation des femmes en Inde, Nila et Indira ont souhaité parler de deux exemples concrets dans le monde politique.

 

La notion de viol conjugal n’existe pas dans la loi indienne

En 2015, plusieurs organisations engagées pour les droits des femmes avaient déposé des pétitions à la Haute Cour de Delhi pour contester un article du code pénal indien, qui stipule qu’il ne peut pas y avoir de viol au sein d’un couple marié. Ainsi, les maris accusés par leurs femmes de les avoir abusées ne sont aujourd’hui pas considérés comme des criminels. Plus de 5 ans après, la Cour est en cours d’étude de l’affaire qui a rapidement pris de l’ampleur, jusqu’à devenir un débat national. « C’est un film d’horreur ! » se sont-elles exclamées au sujet de ce dossier traité en 2022 par la Haute Cour de Delhi. 

Nila et Indira sont en colère : « Les commentaires sur Twitter sur cette affaire sont extrêmement choquants ! Les hommes menacent les femmes qui s’expriment sur le sujet et défendent des positions impossibles. Nombreux sont ceux qui avancent que l’institution du mariage sera fragilisée si la loi est modifiée, et certaines femmes les soutiennent ! La culture du viol est partout, et, en 2022, le gouvernement indien pense qu’il est normal de violer sa femme ! »

 

 


 

Etre une femme journaliste en Inde, une position difficile 

La situation des femmes journalistes est aussi caractéristique du peu de respect accordé aux femmes en Inde. Nila et Indira affirment que toutes les journalistes indiennes reçoivent des menaces de mort et de viol. Les journalistes musulmanes et celles appartenant à des castes inférieures sont les plus affectées par ces pratiques. Les journalistes de la caste supérieure des brahmanes sont moins inquiétées, tant qu’elles s’expriment du côté du gouvernement. « Les hommes n’aiment pas les femmes qui ont une opinion et qui osent le dire. » ajoutent-elles. La récente affaire de l'application Bulli Bai qui détournait sans leur consentement des photos d'une centaine de femmes indiennes dont des journalistes en est un exemple. 

 

 

D’autre part, l’Inde est placée 142e dans le classement mondial sur la liberté de la presse. Selon Nila :

 

L’Inde est devenue un pays dangereux pour les journalistes. Alors être une femme dans le journalisme en Inde… 

Un long chemin vers l’émancipation

Indira et Nila sont unanimes : pour avoir une chance de s’émanciper, les femmes indiennes doivent s'assurer, premièrement, de disposer de ressources financières suffisantes, puis d’avoir un toit à soi, et enfin s’entourer de femmes inspirantes.

Pour Indira et Nila, leurs modèles ont été leurs mères. Même si la mère de Nila n’a pas osé quitter son père, et que la mère d’Indira a mis du temps à accepter que sa fille ne se marierait pas, toutes deux ont travaillé et ont pu instaurer un certain équilibre dans leur foyer qui a été transmis à leurs filles.

 

Nila et Indira s’accordent aussi à dire que les femmes indiennes doivent continuer à se battre au quotidien pour être traitées à égalité avec les hommes. 

 

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