Le nord de l’Inde suffoque. Lorsqu’on demande aux delhiites ou aux expats combien de temps ces pics de pollution vont durer, la réponse est souvent encore 20 jours… Une réponse simple et assurée qui correspond au temps que durent les feux de cultures dans la région car pour beaucoup, il n’y a pas de doute. Si l’on peut compter d’autres causes à la pollution de l’air, comme le trafic ou les constructions, les feux de cultures semblent précipiter le nord du pays d’un air mauvais à un air irrespirable.
Qu'est-ce que les feux de cultures ?
Chaque année, ce sont des milliers de feux qui ont lieu dans les champs du Pendjab et de l’Haryana, les deux États au nord-ouest de New Delhi. Dans cette région principalement agricole, on cultive du riz en été et du blé en hiver. Mais après la récolte du riz, les agriculteurs ont très peu de temps pour préparer leurs terres pour les semis d’hiver, et le moyen le plus rentable de le faire rapidement est de mettre le feu aux champs. Chaque année, les rizières du Pendjab créent collectivement entre 7 et 8 millions de tonnes de débris végétaux à brûler entre octobre et novembre. La fumée de milliers de champs en feu se déplace ensuite selon les vents dominants, le long des montagnes himalayennes, à travers le nord de l’Inde et directement dans la capitale New Delhi et d’autres villes voisines.
Selon le ministre de l’Environnement Bhupender Yadav, depuis le 15 septembre, sur 24.695 incendies de chaume, 22.981 feux venaient du Pendjab, soit 93 % des incendies. Selon les derniers chiffres, le brûlage de chaume représente près de 40 % de la pollution de l’air dans la région.
D’autres sources indiquent que le nombre d’incendies a baissé ces dernières années et qu’au regard des chiffres cumulés, le Pendjab est responsable de 65,6 % des feux de ferme, suivi par le Madhya Pradesh avec 20,97 %, l’Haryana avec 5,3 %, l’Uttar Pradesh avec 4,2 %, le Rajasthan avec 3,7 %, et enfin Delhi avec seulement 0,006 %.
Une bataille des chiffres qui ne sert personne et qui a hautement agacé la Cour Suprême. Celle-ci a ordonné aux États de ”faire leur travail” et de mettre fin à ces incendies “par tous les moyens”. Dans son ordonnance, elle déclare “la pollution de l’air à Delhi ne peut pas devenir une bataille politique”, avant de souligner que ”cet air pollué et étouffant” était responsable du "meurtre de la santé de la population". Résultat : une baisse de 68 % des incendies dans le Pendjab ce weekend, après l’enregistrement de plus de 251 FIR (First Information Report) et une amende de 12 millions de roupies, soit près de 134.469 euros, pour les fermiers réprimandés le jeudi.
Pourquoi les feux de cultures polluent-ils autant ?
La combustion des résidus de culture et des chaumes libère d'importantes quantités de polluants, notamment des particules fines, du monoxyde de carbone et des gaz à effet de serre, contribuant à la pollution de l'air, avec des effets néfastes sur la santé humaine et l'environnement. L'atmosphère, plus froide en hiver, est alors plus dense et piège l’air pollué sans pour autant le déplacer, créant les brouillards de pollution que l’on peut observer. De plus, sur le long terme, ces incendies appauvrissent les sols, rendant les cultures suivantes plus difficiles et de moins bonne qualité.
Les fermiers eux-mêmes souffrent de ces feux de cultures, développant des maladies respiratoires tels que l'emphysème ou l’asthme, mais selon eux, ces feux restent la méthode la plus simple en matière de coût et de rapidité pour défricher les champs et préparer les prochains semis.
Dans un témoignage, paru dans The Guardian, un fermier proclame “quel choix avons-nous ? Pour la plupart d’entre nous, cette méthode est la seule option pour retirer les résidus de nos champs. Je ne peux pas me permettre d’acheter une machine ni même de la louer, cela coûte au moins 10.000 roupies (112,5 euros), peut-être plus, alors que brûler les résidus ne coûte que 1.000 roupies et le lendemain.” Un avis partagé par un autre fermier : “Le gouvernement nous demande de changer nos façons de faire, d’acheter une machine qui coûte 3 millions de roupies ou d’utiliser des méthodes qui sont lentes et vont entraîner des pertes, mais il ne nous propose aucun soutien ni subvention, alors rien ne va changer. Et les gens ici sont très déterminés à continuer comme avant.”
Les fermiers, boucs émissaires ?
Les fermiers se sentent boucs émissaires et pointent du doigt les usines qui fonctionnent jour et nuit toute l'année.
Un avis partagé par un fonctionnaire, qui a analysé les données sur le brûlage de chaumes reçues du Conseil indien de la recherche agricole (ICAR) et a déclaré : “Si l’indice de la qualité de l’air (dans la capitale nationale) demeure le même malgré la réduction de plus de 35 % des cas de brûlage de chaumes au Pendjab et dans l’Haryana ces dernières années, c’est que le problème doit provenir d’autres sources ailleurs. Il ne devrait pas y avoir de brûlage de chaume, mais il est injuste de blâmer uniquement les agriculteurs.”
Reste que les pics de pollution correspondent à ces incendies…
Des alternatives possibles
Les changements d’habitude sont lents et compliqués, mais il est certain que sans aide du gouvernement ni alternatives viables pour les fermiers, ceux-ci seront toujours tentés de faire au plus vite et au plus économique. Rappelons que depuis 2019, il y a eu plus de 5.000 suicides par an parmi les fermiers et cultivateurs.
C’est pourquoi The Better India a compilé une liste d’entrepreneurs et fermiers ayant développé des alternatives aux incendies de cultures. Nous vous en présentons quelques-unes.
- Les restes de cultures peuvent être vendus à des entreprises pour être transformés en bio-fuel.
- Ceux-ci peuvent être transformés en matériaux d’emballage biodégradables grâce au mycélium, un champignon extrait des résidus de cultures.
- Il est possible de composter les restes de culture pour les transformer en fertilisant.
- Les restes de cultures peuvent être transformés en un matériau biodégradable servant à faire des assiettes, des verres ou encore des pailles, remplaçant le plastique.