« Notre travail démontre une forte diminution des mangroves sur les côtes birmanes, ce qui a des conséquences importantes pour la protection des côtes, pour la biodiversité et pour les moyens de subsistance des habitants locaux », explique Edward Webb, le scientifique qui a mené une étude, publiée le 3 mars 2020 dans IOPScience, sur la déforestation des mangroves, ces forêts tropicales présentent sur les littoraux. L’étude, réalisée à l’Université nationale de Singapour, s’appuie sur des images satellites haute résolution et démontre qu’entre 1996 et 2016 la superficie des mangroves a reculé de deux tiers. Ce travail a été possible grâce à l’amélioration de la résolution des images satellites qui permet désormais d’analyser des zones encore jamais observées faute de moyens. « Le gros apport de ce surcroît de précision pour notre étude est que nous avons pu mieux calculer les niveaux de déforestation, qui s’avèrent beaucoup plus importants que ceux estimés par les études précédentes », commente le chercheur.
Première cause de déforestation, la conversion des mangroves en cultures de riz, d’huile de palme et de caoutchouc. Le phénomène est aussi accentué par l’exploitation de bois de chauffage, l’élevage, notamment de crevettes, et bien sûr l’urbanisation. Or, l’écosystème de la mangrove se hisse parmi les plus riches des forêts tropicales. Il regroupe de nombreuses espèces d’oiseaux, de mammifères, de poissons, de crustacés, mais aussi d’arbres palétuviers – arbres tropicaux qui poussent dans les eaux salées. La déforestation va de pair avec une baisse de la biodiversité, entraînant des répercussions sur les moyens de subsistance des habitants. La multiplication des élevages de crevettes, par exemple, a réduit les ressources en poissons et crée un risque de malnutrition, avec une diminution des apports de protéines dans les régimes alimentaires, ainsi qu’une perte financière liée à la plus grande difficulté de pêcher.
Moins de mangroves, plus de maladies ?
La destruction des habitats des espèces animales provoque la prolifération des espèces s’adaptant le mieux ou qui n’ont plus de prédateur. C’est le cas des moustiques qui profite de la baisse des populations de libellules et de fourmillions. Serge Morand, écologue et parasitologiste, établit un lien entre cette baisse de la biodiversité et le risque d’épidémies : « Le monde sauvage se fait envahir par l’animal domestique ou par des vecteurs qui apprécient les humains, comme les moustiques, qui sont transporteurs de la dengue, de zika ou du chikungunya. Les liens s’intensifient entre le monde sauvage et le monde domestique. D’autres chercheurs ont montré que cette destruction de l’habitat du monde sauvage augmente le risque infectieux. Ils estiment qu'environ 20% du risque de paludisme dans les lieux de forte déforestation est dû au commerce international des produits d'exportation impliqués dans la déforestation, tels que le bois, le tabac, le cacao, le café ou le coton ».
Cette destruction des habitats favorise aussi un mélange des espaces de vie des animaux sauvages et des animaux domestiqués ou d’élevage. Ces derniers servent parfois de pont dans la propagation de virus à l’Homme. « Le nombre d’épidémies déclarées pendant les soixante dernières années est totalement corrélé avec le nombre de mammifère et d’oiseaux mis en danger », affirme Serge Morand, qui voit dans l’épidémie du Sars-CoV-2 l’illustration de ce phénomène : « Le dérèglement climatique par des épisodes plus intenses crée des occasions anormales de mises en contact. Dans le cas du Sars-CoV-2, des chauves-souris ont probablement été en contact avec d’autres animaux qui ont après été en contact avec des humains ».
La déforestation augmente les risques liés aux catastrophes météorologiques
Les palétuviers, grâce à leurs racines, limitent l’affaissement des sols et ralentissent l’érosion des littoraux. Ils agissent aussi comme des remparts face à certains risques météorologiques comme les tsunamis, en « cassant » les vagues et les vents violents. Suite au tsunami qui a touché la région en 2004, les Nations Unies ont mis en avant ce rôle protecteur dans le rapport sur L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire : « On ne saura probablement jamais combien de vies ont été perdues lors du tsunami dans l’océan Indien en raison de la disparition des mangroves et de la dégradation des récifs coralliens, mais il est largement reconnu que les régions dont les systèmes côtiers étaient moins endommagés ont été mieux protégées contre la force du raz-de-marée ».
Les mangroves sont détruites pour laisser la place à des activités plus immédiatement lucratives. Mais leur disparition demande d’autres investissements pour compenser les services qu’elles rendaient naturellement, et donc gratuitement. C’est ainsi que dans l’Arakan, fortement déboisé, une centaine d’abris anticyclones ont dû être construits…