Depuis l’automne 2019, les opérations militaires dans le Nord de l’état de l’Arakan et le Sud de l’état de Chin se sont intensifiées au détriment des populations civiles, prises entre deux feux. Jusque début février 2020, l’armée régulière birmane (la Tatmadaw) avait l’initiative, s’appuyant notamment sur du matériel aérien pour bombarder des villages où, selon la communication de la Tatmadaw, « des rebelles terroristes » de l’Armée de l’Arakan (AA) « se cachent ». L’AA est la principale rébellion armée de la région, forte de 3 000 à 10 000 hommes selon les sources, déclarée « mouvement terroriste » par le gouvernement birman le 23 mars 2020. S’il est vrai que dans les guerres civiles les combattants rebelles utilisent couramment les civils comme boucliers humains, et que donc cela est fort possible, voire probable, dans cette guerre civile, il est aussi vrai qu’une armée régulière, de part sont statut de représentante d’une nation, se doit de respecter les lois nationales et internationales, ce que de toute évidence l’ensemble des soldats birmans dans l’Arakan ne fait pas…
Cela soulève bien sûr des protestations. Locales, notamment du principal mouvement politique de la région, le Parti national arakanais (PNA) qui n’a rien à voir avec l’AA et compte 22 députés au niveau national, le record de tous les partis ethniques en Birmanie. Internationales, d’organisations de défense des droits humains, comme Human right Watch. Courant février, l’AA est devenue nettement plus agressive, cherchant de toute évidence à élargir sa zone d’influence effective, un peu à la manière de l’Armée unie de l’état Wa, groupe rebelle qui contrôle de fait depuis 1989 une enclave territoriale entre la Birmanie et la Chine.
Selon The Eastern Link, un site d’observation des région asiatiques de l’Est, le regain militaire de l’AA s’explique avant tout par une grosse livraison d’armes d’origine chinoise qui est arrivée entre les mains des forces rebelles courant février. Dans un long article qui traite plus en fait des problèmes de guerres civiles et mafieuses au niveau indien, en particulier avec le mouvement rebelle Naga, The Eastern Link explique que l’AA parvient à tirer son épingle du jeu dans toute la nébuleuse de mouvements combattants de cette région frontalière Bangladesh/Birmanie/Inde, et qu’elle a pris livraison d’une importante cargaison d’armes : environ 500 fusils d’assauts, au moins 30 mitrailleuses lourdes, des munitions en pagaille et un ou deux engins anti-aérien lance-fusées capables de détruire un hélicoptère ou un avion de combat à basse altitude.
The Eastern Link décrit comment la troisième semaine de février 2020 la cargaison a été débarquée au Bangladesh, puis acheminée à dos d’hommes sur des kilomètres, passant dans la région de Parva à l’extrême sud de l’état indien de Mizoram, jusque pouvoir être chargée sur des bateaux et arriver dans l’Arakan via les rivières. The Eastern Link insiste sur le fait qu’un tel déploiement n’a été possible que parce que « l’armée du Bangladesh tourne la tête lorsque les colonnes de l’AA circulent sur son territoire ». Le site insinue d’ailleurs que « le fait de voir l’armée birmane empêtrée dans la guerre civile avec l’AA n’est pas pour déplaire aux généraux bangladais ».
Il convient toutefois de remarquer que The Eastern Link est manifestement un site aligné sur les positions du gouvernement indien, lequel est notoirement antimusulman et peu amène vis-à-vis du Bangladesh. Ce qui est certain en revanche est que l’armée bangladaise ne patrouille presque pas du tout les zones impliquées dans cette éventuelle livraison et que pour l’instant elle n’a pris aucune mesure de rétorsion contre l’AA car, d’après The Eastern Link, « le Bangladesh n’a aucun intérêt à rentrer en conflit avec ce mouvement rebelle ». Au contraire des Indiens, qui ont déjà pris des mesures militaires contre l’AA car ils ont des intérêts économiques dans l’Arakan avec le projet Kaladan, qui doit relier Calcutta en Inde à Sittwe en Birmanie afin justement d’éviter… le Bangladesh. Que les informations de The Eastern Link soient correctes ou pas, il demeure évident que l’AA est un pion parmi tant d’autres dans le grand jeu géopolitique et économique qui se joue aujourd’hui dans la région, un pion dynamique certes, mais juste un pion…