La lettre a été publiée le 2 avril 2020 dans divers médias birmans et elle est signée par les ambassadeurs en Birmanie de 17 pays, dont la France, auxquels s’ajoute celui de l’Union Européenne : « Le 23 mars, le secrétaire général des Nations-Unis a appelé tous les groupes armés à travers le monde à observer un cessez-le-feu. Les ambassadeurs signataires de ce texte s’associent à cet appel. Nous sommes profondément inquiets par l’intensité des combats, le nombre de victimes physiques et de déplacés qu’ils créent dans les états de l’Arakan et de Chin, ainsi que le risque de combats dans d’autres régions.
Tous les pays de la planète doivent désormais mettre l’accent avant tout sur la protection des communautés les plus vulnérables contre les effets dévastateurs du Covid-19 […]. Un accès humanitaire aux zones de conflits est vital. La libre circulation de l’information par internet et les médias est tout aussi essentielle. Dans l’intérêt des familles en Birmanie, nous soutenons l’appel à un cessez-le-feu entre l’armée birmane et les organisations armées, une résolution des désaccords à travers le dialogue et la levée de toutes les restrictions sur internet et les médias.
Le Covid-19 s’attaque indifféremment aux ethnies, aux nationalités, aux religions et aux divers statuts sociaux. Nous soutenons la Birmanie en complète solidarité car nous savons les ravages du virus sur nos propres pays. Dans ces temps incertains, nous avons vu communautés, gouvernement, société civile travailler ensemble efficacement main dans la main. Nous restons engagés à aider tous les acteurs dans la mise en œuvre de réponses de santé et humanitaires à travers toutes la Birmanie et nous encourageons toutes les parties à coopérer afin d’éviter que le Covid-19 se répande […] ».
Le cessez-le-feu, nous avons essayé et ça n’a pas marché
L’appel paraît de bon sens, même s’il y a une certaine ironie à compter parmi ses signataires les ambassadeurs d’Australie – un pays qui parquent plus d’un millier d’expatriés sur les îles Manus et Nauru dans des conditions humanitaires déplorables -, des Etats-Unis - qui ont refusé de lever leurs sanctions contre l’Iran pour permettre son approvisionnement en médicaments et équipements médicaux alors même que ce pays est frappé de plein fouet par le Covid-19 – ou de Turquie – laquelle était encore accusée voici trois jours d’utiliser l’eau comme « armes » afin de limiter les soins aux Kurdes syriens contre le Covid-19. Mais malgré tout, suivre la demande du secrétaire général des Nations-Unis pour un cessez-le-feu est une initiative rassembleuse et recommandable.
Sauf que la Tatmadaw, l’armée régulière birmane, avait rejeté par anticipation l’idée de toute mise en veilleuse des opérations militaires. Parlant des organisations de la société civile qui avaient émis un appel similaire en substance à celui des ambassadeurs mais quelques jours auparavant, le général Zaw Min Tun, porte-parole de l’agence de presse militaire « Vraies nouvelles » (True News), avait déclaré que « l’armée respectait les appels au cessez-le-feu, mais que ceux-ci n’étaient pas réalistes. Les divers protagonistes n’ont qu’à respecter la loi ! Nous avons décrété un cessez-le-feu unilatéral durant neuf mois l’année dernière dans certaines zones mais nos adversaires ont continué à nous attaquer. Nous ne voulons pas recommencer ».
Pourtant l’inquiétude est très grande au sein des organisations nationales et internationales qui s’intéressent réellement aux réfugiés et aux victimes des divers conflits. D’une part, l’absence totale de télécommunications dans une grande partie des états de l’Arakan et de Chin empêche la population locale de connaître et comprendre les risques liés au Sars-nCov-2 et les mesures prophylactiques de base à mettre en œuvre contre la contagion. Alors que la planète ne parle que de coronavirus, cette partie de la Birmanie en connaît à peine l’existence… Ensuite, évidemment, le contexte de combat nuit à l’acheminement de médicaments et les hôpitaux sont de toute façon déjà très occupés à soigner les victimes civiles des affrontements aveugles que se livrent la Tatmadaw et l’Armée de l’Arakan, un groupe rebelle combattant. Enfin, un peu partout dans le pays, que ce soit à cause des guerres civiles ou des catastrophes environnementales (Inondations, notamment), des gens ont dû fuir leurs demeures et se regrouper dans des camps de déplacés.
Des déplacés entassés par centaines de milliers
Selon le gouvernement birman, ce sont 184 300 personnes qui vivent ainsi dans ces camps, selon les Nations-Unies il s’agirait plutôt de 245 000 personnes, selon l’UE de l’ordre de 279 000… Le flou des chiffres s’explique à la fois par des questions de définitions, de date et de méthodes de comptage mais quelle que soit la manière de regarder cela, le nombre est énorme. Et pour ces individus obligés de vivre dans des conditions précaires, respecter « une distance de sécurité d’un mètre pour éviter la contamination » comme il leur est recommandé relève de la gageure. Un seul malade dans un camp, et c’est l’ensemble de ses habitants qui seront rapidement atteints… Sur ce plan d’ailleurs, le Bangladesh ne fait pas mieux que son voisin puisque diverses instances dépendant des Nations-Unies et officiant dans les camps de réfugiés à la frontière avec la Birmanie réclament elles aussi le retour des télécommunications et des mesures pour mettre fin à l’entassement des quelque 700 000 personnes qui survivent dans ces camps.
En fait, non seulement Nay Pyi Taw ne cherche pas à tirer profit de la crise du coronavirus pour avancer rapidement dans les négociations de paix avec nombre de groupes ethniques du pays, négociations concrètement au point mort depuis 2015, mais le gouvernement birman a même l’air de vouloir en tirer avantage à l’encontre de ses détracteurs. Sous couvert de lutter contre la désinformation, les rumeurs et les mensonges qui circulent à foison sur internet à propos du coronavirus, mais aussi de se battre contre la pornographie infantile ou les sites de discours haineux, les autorités ont exigé les 19 et 20 mars des quatre opérateurs internet du pays qu’ils bloquent l’accès à 207 sites internet. Tous ont obtempéré rapidement, sauf l’entreprise norvégienne Telenor qui en simplement bloqué 154, estimant que les contenus des 53 autres n’enfreignaient en rien la loi. Après quelques menaces, Telenor a finalement cédé aux pressions et tout bloqués comme les autres. Problème : parmi ces sites supposés hors-la-loi, plusieurs sont des médias en ligne dûment et légalement enregistrés auprès du ministère de l’Information et qui n’ont surtout jamais reçu la moindre plainte officielle relative à leurs contenus. Or, si un media est accuse de diffuser un discours haineux ou des mensonges, la procédure légale birmane est de soumettre une plainte auprès du Press council, après quoi celui-ci enquête et statut.
Rien de tout cela ne s’est fait, et les sites d’information installés dans l’Arakan Narinjara News et Development Media Group (DMG), les sites de Mandalay In-Depth News et Voice of Myanmar (VOM) et le site de Tachileik Mekong News ont constaté qu’ils n’étaient plus accessibles sur internet ou sur téléphone mobile alors que ce sont tous des sites en ligne. Tous partagent aussi le fait de relayer des informations relatives aux guerres civiles en cours et de s’intéresser à la situation des minorités ethniques en difficultés dans le pays.