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Des soldats accusés d’être des profiteurs de guerre dans l’Arakan

La carte du Myanmar information management unit pour la région autour de Paletwa et Madupi, dans le Chin, en BirmanieLa carte du Myanmar information management unit pour la région autour de Paletwa et Madupi, dans le Chin, en Birmanie
La carte du Myanmar information management unit pour la région autour de Paletwa et Madupi, dans le Chin

Lundi dernier, dans une vidéo diffusée sur Facebook – maintenant qu’elle y est de retour – Daw Aung San Suu Kyi n’a pas eu de mots assez durs pour les profiteurs du Covid-19, ceux qui spéculent sur la rareté et exigent des sommes exorbitantes en échange de produits de base lorsque les populations n’ont pas d’autre choix que d’accepter ce racket… La conseillère d’état a promis que des sanctions seront prises contre ces accapareurs. Et immédiatement cela soulève une question, dérangeante certes mais pas illégitime au vu de l’expérience birmane : ces sanctions potentielles se limitent-elles à ceux qui profitent de la crise du coronavirus et concernent-elles aussi les militaires ?

Pour les populations coincées entre Kyauktaw, dans l’état de l’Arakan, et Paletwa, dans l’état de Chin, la réponse est attendue avec attention car selon la Chin Human Rights Association, « les gens sur place sont victimes de spoliation et de racket de la part des troupes de la 77ème division d’infanterie légère (77ème DIL) », une unité combattante postée dans cette zone du pays où la guerre va bon train entre l’armée régulière (la Tatmadaw) et le mouvement rebelle de l’Armée de l’Arakan (AA). Une zone par ailleurs soumise a une coupure des communications (internet, téléphone cellulaire) depuis maintenant 10 mois, ce qui rend bien sûr très difficile d’informer sur ce qui s’y passe… et favorise les exactions et l’impunité.

Malgré tout, ce qui filtre n’est pas reluisant pour les soldats de la 77ème DIL : « Des barrages empêchent la population de passer de Paletwa à Lailinpi, tout cela dans le Chin », confie un résident au média Khonumthung News. « Alors nous avons suivi les consignes et nous sommes allés demander une autorisation officielle auprès du commandement de la division. Il nous a été répondu que nous n’avions pas le droit d’acheter a Lailinpi, que nous devions acheter auprès des soldats. Mais ce n’est pas juste, ils vendent leurs sacs trois fois plus chers qu’ailleurs, alors qu’avec les combats nous ne pouvons plus nous approvisionner régulièrement depuis février ». La Chin Human Rights Association confirme que le prix d’un sac de riz, d’un poids d’environ 50 kilos, est vendu 60 000 kyats (environ 45 euros) par les militaires alors qu’il ne vaut que 20 000 kyats à Lailinpi et 30 000 kyats à Paletwa. « Mais comme nous n’avons pas le droit de nous rendre dans ces deux villes, nous sommes coincés », explique un autre des villageois locaux au même média, en requérant l’anonymat. Et de poursuivre : « Ici, les militaires vendent du riz, de l’huile, du sel, de l’essence, tout à des prix trois, quatre, cinq fois supérieurs à ceux des villes voisines. Ils nous empêchent de nous déplacer pour aller sur les marchés uniquement pour nous forcer à acheter chez eux. Je croyais que l’armée était là pour nous protéger, pas pour faire ses petites affaires ».

Tout cela pourrait évidemment n’être qu’allégations et rumeurs, mais voilà, le porte-parole du gouvernement régional de l’état de Chin confirme implicitement cette situation : « C’est une affaire très compliquée », déclare Soe Htet au Khonumthung News. « La Tatmadaw s’inquiète que l’Armée de l’Arakan s’approvisionne auprès des habitants. Si ceux-ci peuvent aller acheter dans d’autres régions, ils auront des surplus qu’ils pourront donner à l’AA. C’est pour cela que les militaires veulent contrôler le commerce local du riz ». Un argument tout à fait recevable dans un contexte de guerre, mais alors pourquoi pratiquer des prix outrageux, au risque d’ailleurs de mécontenter la population et de la rendre plus favorable à l’AA ?  Soe Htet répond que « les profiteurs sont en fait les villageois. Ils revendent leur riz a Paletwa pour 70 000 ou 80 000 kyats le sac. Les militaires sont au courant, c’est pour cela qu’ils bloquent les routes ». Mais s’ils bloquent les routes, comment le riz arrivent-ils à Paletwa, si ce sont les villageois qui profitent ? Là, Soe Htet n’a plus de réponse… Il peut juste préciser que le gouvernement a essayé d’envoyer de l’alimentation à Paletwa en utilisant cette route entre Madupi-Lailinpi et Paletwa mais qu’il n’y été pas parvenu « à cause des mesures de sécurité. Mais nous allons pouvoir distribuer des rations de riz autour de Shinletwa ».

Lors de son échange avec les internautes sur Facebook lundi dernier, Daw Aung San Suu Kyi avait insisté de manière un peu étonnante sur l’importance « de prendre en compte l’ensemble du pays, pas seulement quelques zones ou régions ». Pensait-elle alors à ces centaines de milliers de déplacés internes, ces villageois isolés dans des zones de guerre, ces militants pourchassés parce qu’ils réclament juste que la loi s’applique vraiment à tous de manière impartiale ? Nul ne le sait, mais il est clair qu’en ces temps de crise sanitaire, l’ensemble de la population ne se sent pas logé à la même enseigne.

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