Si la politique de la carotte et du bâton a largement fait ses preuves, la question du dosage reste toujours la clef de son succès. Les geôles de Myawaddy sont là pour le rappeler aux dirigeants birmans qui semblent l’avoir oublié. L’instauration d’un couvre-feu dans tout le pays, de 22h à 4h dans un premier temps, avait pour objectif officiel « d’éviter que crimes et délits ne prolifèrent alors que le pays lutte contre la propagation du Covid-19 et qu’en conséquence les forces de l’ordre sont moins présentes pour prévenir les autres infractions », comme l’avait expliqué un député lorsque ce couvre-feu a été annoncé, le 18 avril 2020. Malheureusement, comme souvent en Birmanie, le travail explicatif de la mesure n’a pas été mené correctement et si la population a pris acte, ce fut pour l’essentiel sans comprendre le bien-fondé éventuel de la mesure. Comme en outre, un grand nombre de Birmans urbains vivent dans la rue, une forte désobéissance en a résulté. Et la réponse à cette désobéissance fut le bâton presque systématique.
Un officiel de Myawaddy, ville de l’état de Kayin frontalière avec la Thaïlande, le dit d’ailleurs clairement : « Nous interpellons toutes les personnes qui violent le couvre-feu et nous les présentons au tribunal dès son ouverture. Ils sont alors condamnés à une peine d’un mois de prison ou de 50 000 kyats d’amende ». Sur le papier, la loi et l’ordre. Dans la réalité, tracas et désordre. Car à ce jour, Myawaddy ne compte toujours aucun cas de Covid-19, et convaincre les gens de respecter le couvre-feu – même si celui-ci a désormais été allégé de minuit à 4h – sans explication, sans communication, par la seule injonction, est un échec. Comme l’atteste ce même officiel : « Nous en arrêtons chaque nuit entre 20 et 30, même après que le couvre-feu a été réduit. Le problème, c’est que maintenant la prison est pleine ».
Trop pauvres, ils choisissent la prison plutôt que l'amende
Avec en effet plus de 700 individus condamnés, les capacités de détention sont insuffisantes. Pour la plupart de ceux qui se font sanctionner, une amende de 50 000 kats est une grosse somme, et comme beaucoup sont de toute façon souvent des errants, ils choisissent de passer un mois en cellule… ce qui fait que maintenant celles-ci manquent ! Une situation pas du tout anticipée par les autorités, qui sont obligées « d’emprisonner » dans des maisons ou des zones résidentielles, faute de mieux.
Hier 28 mai, l’organisation non-gouvernementale (ONG) de défense des droits Humains Human Right Watch publiait une protestation contre « l’application aveugle et sans discernement de règlements que nombre de personnes ne peuvent tout simplement pas respecter ». L’ONG s’inquiétait dans le même temps du nombre de personnes incarcérées pour leurs manquements à la quarantaine ou au couvre-feu alors que dans bien des cas, selon l’ONG, il s’agit avant tout de raisons psychologiques qui mènent à l’infraction. L’ONG prend ainsi l’exemple de deux adolescents – un garçon de 16 ans et une fille de 15 ans – qui de retour de Thaïlande ont été condamnés à trois mois de prison pour avoir fui de l’immeuble de quarantaine où ils étaient retenus à Mawlamyine. Avant leur condamnation, les deux jeunes ont expliqué avoir peur, se sentir seuls et vouloir rejoindre leurs familles.