Dans le village de Deir el-Qamar, l’Institut français dirigé par Sid Rouis propose tout au long de l’année une programmation riche. Autour de lui, une équipe dynamique de six personnes travaille au quotidien pour faire rayonner la francophonie et ses valeurs dans les montagnes du Chouf.
A la sortie de la guerre civile, la région du Chouf est exsangue, comme bien d’autres. Grand intellectuel et fervent défenseur de la langue française, Walid Joumblatt, député du Chouf, propose à la France d’ouvrir un Institut français. Dans cette région montagneuse, « M. Joumblatt a eu une volonté forte : développer la francophonie. Aujourd’hui encore, il aide de nombreuses écoles à maintenir l’enseignement de la langue française et l’Institut français intervient dans les écoles les plus reculées de la montagne », souligne Sid Rouis.
En 1993, une Mission française voit le jour au cœur du village de Deir el-Qamar. Elle deviendra un centre culturel français puis une Antenne de l'Institut Français du Liban. « C’est le seul Institut français au Liban dans un village et en montagne », remarque son directeur. Au total, le Liban compte neuf Antennes, dans toutes les régions, illustration de la volonté de la France de couvrir la diversité du pays.
« L’autre particularité de cet IF, c’est qu’ici les murs n'appartiennent pas à la France. Nous sommes dans un palais classé monument historique qui nous est mis à disposition », explique M. Rouis. Une convention entre l'ambassade de France, d’une part, et le ministère libanais de la Culture et la municipalité de Deir el-Qamar, d’autre part, met à disposition gratuitement le lieu avec obligation en retour d'y organiser des activités éducatives et culturelles qui ont un lien avec la langue française.
Le lieu est symbolique des liens historiques entre la France et le Liban. Il s’agit des anciennes étables du palais de Fakhreddine II, émir du Chouf au XVIeme siècle. Il devient ensuite un souk où l’on vend de la soie et des bijoux, le Khan al-Harir. Le palais, comme le village, furent détruits par les Ottomans puis reconstruit par la France à l’initiative de Napoléon III. Par la suite, ce bâtiment historique est devenu propriété de l'Etat Libanais. Collée à lui, l’ancienne synagogue du village fait également partie des bâtiments mis à disposition. Un symbole de plus pour l’Institut français qui se veut un lieu du vivre-ensemble : « Nous invitons tous les Libanais à investir les lieux. Ici c'est la maison des Libanais », lance le directeur de l’IF de Deir el-Qamar.
Le premier grand axe de travail de l’IF de Deir el-Qamar est la coopération éducative. Elle s’illustre principalement par l’attribution aux écoles de la région des labels CELF (Certifications des Enseignants en Langue Française) et « France éducation ». Ces écoles labellisées bénéficient de formations pédagogiques pour leurs enseignants afin d’assurer et de maintenir la qualité de l’enseignement du français. Avec 16 établissements sur une quarantaine sur l’ensemble du territoire libanais, le Chouf est la région où on trouve le plus d’écoles CELF. L’IF propose aussi de nombreuses activités pédagogiques tout au long de l’année scolaire. A chaque rentrée, en octobre, l’IF organise une réunion avec les chefs d'établissement pour mettre au point un programme d’offres éducatives et culturelles pour l’année. Les plus prisées sont le Festival du conte et le Rallye lecture. En hiver, l’IF reçoit environ 250 élèves par mois. L’été, l’Institut propose des cours de français pour enfants de tout niveau et de tous âges.
L’autre dispositif pédagogique d’importance, unique au Liban, c’est le bibliobus. Il existe depuis la fin des années 90 à l’initiative du premier directeur de l’IF, Patrick Perez « qui a voulu faire quelque chose pour les enfants qui sont loin de Deir el-Qamar », explique Sid Rouis. Le premier bus a été offert par la RATP en 2005. Le dernier a été offert il y a trois ans par Walid Joumblatt. Il parcourt près de 8000 kilomètres par an. Il va jusqu’à Aley au nord et jusqu’à Jezzine au sud même lors que la ville était sous « occupation » israélienne jusqu’en 2000.
Le bus est en circulation du lundi au vendredi pendant les périodes scolaires. Les élèves peuvent emprunter des livres pendant 21 jours. Chaque élève paie 10.000 LL par an d’abonnement au bibliobus qui compte environ 1 400 abonnés. « Les enfants m'appellent M. Bibliobus, ils sont toujours étonnés de me voir parler arabe, parce que les livres sont en français. » raconte, amusé, Samer Shamseddine, responsable du bibliobus, qui peut piocher dans 13.000 ouvrages environ. Le bibliobus a eu un véritable succès dans la région à tel enseigne qu’il a servi de modèle à l'Institut Goethe, l’équivalent de l’IF pour l’Allemagne, ainsi que pour l’unité mobile éducative de l’ONG Amel qui travaille après de réfugiés syriens.
Installée sous les voûtes restaurées de l’ancien khan au cachet exceptionnel, la médiathèque est la sœur jumèle du bibliobus. Elle est ouverte au public en accès libre du lundi au vendredi de 8h30 à 13h et de 15h à 18h et le samedi de 10h à 13h et de 15h à 18h. L’abonnement est de 20.000 LL pour les moins de 18 ans et de 40.000 LL par adulte pour l’année. Chaque abonnée peut emprunter 8 documents (livre, cd, revue, etc…) pour une durée maximale de trois semaines. C’est dans les locaux de la médiathèque, avec son salon et sa salle de conférence, que sont organisées de nombreuses activités pédagogiques et culturelles.
Pour la programmation culturelle, Sid Rouis a « privilégié la qualité à la quantité ». « Le lieu est exceptionnel. Loin de Beyrouth, la difficulté était de le valoriser. Nous avons donc initié des partenariats dès 2015. ». Le directeur de l’IF de Deir el Qamar a donc pris son bâton de pèlerin.
Premier axe, faire venir du public de Beyrouth. Ce fut le cas, par exemple, avec l’exposition « Turtles » de l’artiste libanais Ghassan Zard grâce à un partenariat avec la galerie Tanit de Beyrouth, en juillet 2016. Ce sera aussi le cas avec l’exposition du photographe libanais Roland Sidawy dans le cadre du Beirut Art Fair en septembre prochain. C’est aussi le but du partenariat avec Saint-Gobain Liban.
Deuxième axe, faire connaitre le lieu à l’international. Grâce à sa rencontre avec Omar Rajeh, chorégraphe et directeur du festival de danse contemporaine BIPOD (Beirut International Platform of Dance), Sid Rouis a mis en place un partenariat avec le Maqamat Dance Theatre pour faire de l’IF de Deir el Qamar la résidence des danseurs. « Nous sommes très fier d’avoir reçu des danseurs syriens, iraniens et libanais qui ont été repérés ici par des programmateurs et qui dansent aujourd’hui sur des scènes en Europe et ailleurs », indique M. Rouis.
Dernier axe, l’ouverture à tous. « La première valeur de la francophonie, c’est la diversité linguistique, » affirme Sid Rouis. Plusieurs événements et conférences en arabe et en anglais sont organisés tout au long de l’année. « L’apothéose, c’était lors de la Coupe du monde cette année. Nous avons reçu des gens de tout le village, » se félicite le directeur de l’IF.
Pour sa dernière année, deux rendez-vous lui tiennent à cœur. La première édition du programme Films Femmes Francophones | Méditerranée aura lieu du 11 au 18 septembre. « Une dizaine de réalisatrices de plusieurs pays vont loger et travailler ici. Le scénario gagnant donnera un film qui pourra faire le tour des festivals, notamment celui de Cannes, pourquoi pas ? », espère Sir Rouis. Une exposition photographique de la mémoire druze aura lieu l’été prochain lors du Festival de Beitteddine en 2019. Le photographe n’est autre que Jack Dabaghian, ancien responsable régional de la photographie pour le Moyen-Orient chez Reuters. Un événement unique au monde puisque les druzes, de par leur religion, n’acceptent pas d’être photographiés. Un hommage à la communauté druze de la région. « Ainsi, je vais quitter le Liban en laissant au Chouf une œuvre mémoriel d’exception » s’émeut Sid Rouis.