Créateur et coordinateur de la Beirut Pride de Beyrouth, il organise en 2017 la première marche des fiertés du Liban. Pour LPJ Beyrouth, il décrit la situation des LGBTIQ+ au Liban.
Lepetitjournal.com/Beyrouth : Qu'est-ce que la marche des fiertés ?
Hadi Damien : Il s’agit de l’un des événements des fiertés (pride en anglais). Les LGBTIQ+ et les personnes qui croient en leurs droits manifestent pour dire au monde qu’ils existent dans le but d’être visible, car c’est uniquement à travers sa visibilité qu’un groupe social déconstruit les mythes, les mensonges et les préjugés qui l’entourent et le stigmatisent. On ne peut pas discuter des homosexuels sans eux. C’est comme si on débattait d’affaires de femmes sans les femmes, ou de médecine sans médecins. Ce serait absurde et incomplet.
Les Fiertés sont représentatives d’une société ; elles appartiennent au milieu qui les porte et rassemblent des gens de plusieurs horizons, opprimés et mis au défi. La Fierté est toujours menée par celles et ceux qui cherchent à se libérer de la bigoterie.
Que réclament les LGBTIQ+ ?
Les droits revendiqués par les LGBTIQ+ (lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, trans*, intersex et queers/questioning) sont très clairs. Il s’agit de lutter contre les discriminations qui entravent le vécu. La fierté, qui n’est pas l’orgueil, est une réponse à la honte, un sentiment auquel les LGBTIQ+ ont longtemps été soumis, jugés et méprisés pour leurs émotions, sentiments et désirs. Entraver une personne dans ce qu’elle a de plus naturel, de plus élémentaire, mène aux discriminations, aux discours de haine et aux appels à la violence. Les fiertés cherchent à déconstruire cette honte imposée qui mène à la haine de soi et à l’auto-destruction. Elles sont un moyen de lutte contre la stigmatisation, offrant un moyen de visibilité pour celles et ceux qui le souhaitent, afin de réclamer cet espace en société.
D’où est venue l’idée d’une Beirut Pride au Liban ?
J’ai longtemps été critique des fiertés, ne sachant pas ce qui se trouvait derrière l’aspect festif et carnavalesque des marches. Toutefois, en assistant à la Pride européenne de 2016, j’ai été sidéré par son impact joyeux et stimulant sur les participants et les spectateurs. De retour au Liban, et après une réflexion avec des amis et quelques ONG sur les moyens de faire avancer le dossier LGBTIQ+ au Liban, nous créons la Beirut Pride.
La Beirut Pride s’inscrit dans un plan d’action qui touche à la politique, aux religions, aux médias, à l’éducation, aux entreprises et aux familles afin d’améliorer la visibilité du dossier LGBTIQ+ au Liban par une attitude positive, loin de la victimisation, et en coordination avec les industries créatives. La réception de Beirut Pride a été formidable. Jamais nous n’aurions pensé que les gens y répondraient en si grand nombre.
Quelle est la situation des LGBTIQ+ au Liban ?
Capitale du Liban, souvent surnommée la ville la plus libérale du monde arabe, Beyrouth est une ville très hétéroclite. La vie d'un homosexuel libanais à Beyrouth ressemble à celle de tout autre citoyen libanais, en y ajoutant les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. Je suis né en 1989, et, jusqu’à récemment, l'homosexualité était un sujet tabou. La majorité des Libanais confondait homosexuels, pervers, pédophiles, prostitués, toxicomanes et criminels ; un stéréotype infondé et polarisant que les talk-shows et les séries télévisées ont renforcé par une représentation stéréotypée du personnage homosexuel.
Les autorités religieuses locales contribuent également au conditionnement négatif de l’homosexualité. Alors que les textes sacrés chrétiens et musulmans ne font pas mention de rapports entre personnes du même sexe, ces derniers sont considérés contre-nature, puisqu’ils ne donnent pas lieu à une progéniture. Il s’en suit une diabolisation de l’homosexualité et des homosexuel.le.s. La perception des concepts de masculinité et de féminité a renforcé les stéréotypes, et celles et ceux qui n’y adhèrent pas strictement (les femmes masculines et les hommes féminins) sont sujets à des remarques déplaisantes et au harcèlement physique. Les oppressions qui touchent les LGBTIQ+ au Liban sont multiples et dépendent de l’environnement familial, de l’éducation reçue à la maison et à l’école, de la classe sociale, du rapport à la religion, etc.
Plusieurs établissements sont inclusifs et LGBT friendly : des centres médicaux, un salon de beauté, des espaces de travail, des cafés, des librairies, des restaurants, des malls, des boutiques, des clubs, des bars, des plages et des centres balnéaires. Être LGBTIQ+ à Beyrouth est loin d’être idéal, mais c’est très amusant, surtout quand vous êtes dans un bon endroit et en bonne compagnie.
Que dit la loi libanaise sur ce sujet ?
L’homosexualité n’est pas mentionnée, mais un article du Code Pénal libanais est utilisé pour poursuivre les personnes LGBTIQ+. Il s’agit de l’article 534 qui stipule que “tout acte sexuel contre-nature est passible d’une peine de prison allant jusqu’à un an". Depuis peu, les tribunaux atténuent cette peine et la remplacent par une amende. Depuis 2009, cinq personnes poursuivies pour homosexualité (plutôt pour soupçons d’homosexualité à cause d’aveux, de look vestimentaire, ou de possessions d’images homo-érotiques sur leur téléphone portable) ont été acquittées. En 2013, la société libanaise de psychiatrie a déclaré que l'homosexualité n'était pas un trouble mental et n’avait pas lieu de traitement. Le test de l’œuf, qui consistait à insérer un objet métallique en forme d'œuf dans le rectum d'homosexuels présumés pour prouver des rapports sexuels, n’est plus rapporté depuis 2014.
Au moment de la Beirut Pride 2018, vous avez été gardé à vue. Dans quelles circonstances ?
Le 14 mai, la compagnie de théâtre Zoukak devait donner lecture du texte adapté en libanais et intitulé Ogres, sur les discriminations dont sont victimes les homosexuels à travers le monde. Quelques minutes avant le début de la lecture, des membres du bureau de la censure de la Sûreté générale font irruption dans la salle, informant Zoukak que la lecture ne pouvait plus avoir lieu. D’autres officiers de la Sécurité de l’État, de la Sûreté générale, de la Sécurité intérieure, des Renseignements et la Police des mœurs participent à cette descente. Je suis appelé à me rendre à la Police des mœurs le lendemain pour répondre à quelques questions. Mais quelques minutes plus tard, des policiers me demandent de les suivre à la station de police de Hobeich, près de l’AUB. J’y passe la nuit et suis placé en garde à vue dans une cellule conçue pour cinq personnes où je côtoie 38 autres détenus. Lors de l’interrogatoire du lendemain, la police me soumet un programme présenté comme étant celui de la Beirut Pride, avec des termes qui renvoient à la débauche et à l’immoralité. Les auteurs du programme en arabe ont falsifié les événements prévus et en ont inventé d’autres en les attribuant à la Beirut Pride. Informé de ce malentendu, le procureur général de Beyrouth a pourtant décidé d’annuler les événements prévus pour contenir les remous. Pour ma libération, j’ai été invité à signer un document dans lequel je reconnaissais la décision du procureur général et livrais une attestation de résidence en cas d’éventuelles poursuites. Des descentes musclées ont eu lieu dans des établissements qui allaient accueillir des événements de la Beirut Pride afin de faire pression. Mais les événements suspendus de la Beirut Pride ont juste été reprogrammés.
Quel avenir pour la Beirut Pride ?
Les groupes sont attaqués quand ils sont visibles et organisés. Le travail avec les médias pour élargir les représentations LGBTIQ+ est crucial. La meilleure action pour dénoncer les abus et répondre aux propos homophobes et haineux est de prendre la parole, poliment, calmement, intelligemment. Tout est question de communication. C’est pourquoi lire, s’éduquer et se cultiver est important pour se munir des bons éléments de langage. Les Fiertés de Beyrouth se poursuivent. Nos lendemains sont brillants, et l’amour prévaut toujours.