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Caroline Torbey : « Cette francophonie pour laquelle je me bats »

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Caroline Torbey
Écrit par Hélène Boyé
Publié le 13 mars 2019, mis à jour le 18 février 2021

La jeune auteure franco-libanaise a remporté le prix des Trophées des Français de l’étranger 2019 dans la catégorie Ancien élève des lycées français du monde. Rencontre avec cette ardente avocate de la francophonie, qui a fait sa scolarité dans les lycées français au Cameroun et au Liban.

 

Lepetitjournal.com Beyrouth : Que représente pour vous ce trophée ?
Caroline Torbey : Je suis heureuse d’avoir gagné dans la catégorie Ancienne élève des Lycées français du monde car je porte un projet éducatif autour de ma série des livres « Dessine-moi un proverbe » qui expliquent en français les proverbes traditionnels libanais et dont j’ai publié les deux premiers tomes, en collaboration avec l’illustratrice Renée Thomas. Le troisième sortira à la fin de l'année. Je cherche à transmettre l’héritage, les traditions orales et la culture ancestrale libanaise aux enfants via la langue française qui est ma langue maternelle. Avec ce projet, j’interviens dans les écoles au Liban en français. C’est un peu comme si j’étais une ambassadrice de la francophonie, cette francophonie pour laquelle je me bats au quotidien.


Vous avez passé de nombreuses années au Cameroun, scolarisée au Lycée français Dominique-Savio de Douala. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
J’ai passé 14 ans à Douala où j’ai fréquenté le lycée français Dominique Savio jusqu’en classe de Troisième. Je garde beaucoup de souvenirs de cette période. Une enfance en Afrique, ça marque. C’était décontracté, c’est tout juste si on n’allait pas à l’école en tongs ! Dans la cour, il y avait des tables de ping-pong et une piscine. Il y avait des terrains de sport en pleine nature. C’était très chouette !  Ce que j’ai également adoré là-bas, c’est la diversité culturelle. Elèves et enseignants, il y avait toutes les nationalités, toutes les origines. J’ai grandi avec cette richesse et ce partage culturel. J’ai gardé mes amis camerounais, chinois ou grecs. En cours de musique, j’avais un professeur camerounais dont je me rappellerai toute ma vie, M. Jean-Claude Essi, qui nous donnait des cours de percussions comme le djembé. J’avais également un professeur de piano qui venait à la maison, Francis Njo. J’ai d’ailleurs écrit une nouvelle sur lui dans mon premier roman. Il m’a marquée par ses expressions. Au Cameroun, on parle le camfranglais, un argot à base de français, d'anglais, de pidjin et de différents dialectes camerounais. A Douala, quand on se salue, on dit : ‘casse l’os !’, parce que là-bas pour se saluer, on se checke, on se tape les paumes puis on claque ses doigts en faisant un bruit de cassement d’os. Ce sont des petites choses qui me sont restées.

 

Vous êtes ensuite venue au Liban…
Au lycée Nahr Ibrahim, près de Byblos, au nord de Beyrouth, il y avait moins de diversité culturelle. L’établissement est très tourné vers les hautes technologies, la mondialisation et l’ouverture sur le monde. Les élèves sont trilingues. On poussait les élèves dans les études. Les professeurs sont vraiment derrière eux, les encadrent et réclament une discipline. Au Liban, on fait appel à des professeurs particuliers.

L’adaptation au Liban a été difficile les deux premières années pour ma sœur et moi. La mentalité était très différente. On arrivait d’un pays où on était très ouverts et très libres. Il n’y avait pas de tabou. Au Liban, il y a beaucoup de tabous. Il faut faire attention à la façon dont on s’habille, à ce que l’on dit et la façon dont on se comporte. Néanmoins, je me suis fait de très bons amis, surtout dans le groupe des ‘dispensés’, ceux qui ne suivaient pas le programme scolaire libanais.

 

Que vous a apporté ce parcours scolaire dans ces lycées français ?
J’ai toujours été en contact avec différentes cultures, nationalités et profils. Au Liban, j’étais avec des ‘fils et filles de’. En Afrique, il y avait des ‘fils de personne’. Tout ça a fait de moi quelqu’un de très sociable. J’adore les gens, j’aime parler, écouter des histoires et c’est ça qui m’a poussée à écrire. Dans ces lycées, on vous laisse la liberté d’être ce que vous êtes. Vous n’êtes pas dans un carcan. Je pense que c’est très important de laisser les enfants être libres. Si un jour j’ai des enfants, je les mettrais dans un lycée français.

 

Qu’est-ce la francophonie pour vous ?
Pour moi, le français c’est une langue de cohésion, c’est une langue qui réunit les gens. Mais je dis toujours qu’être francophone ce n’est pas juste parler français, c’est toute la culture qui va avec, des Bronzés à Louis de Funès, mais aussi les valeurs de la France comme la tolérance, non seulement raciale, mais aussi en termes d’orientation sexuelle qui est un énorme tabou au Liban. C’est aussi un combat que je mène. Dans mon entourage, j’ai beaucoup d’amis de la communauté LGBT. Au Liban, ils ne sont pas épanouis. Ils sont jugés. Ils ont peur.

 

Vous êtes avant tout écrivain - votre deuxième roman sort à la fin de l’année – mais vous cultivez votre fibre d’éducatrice...
Avec le projet sur les proverbes libanais, j’ai réalisé que j’adorais transmettre et, surtout, que j’avais une passion pour les nouvelles générations. Je sens que je peux faire quelque chose pour rendre la nouvelle génération meilleure. A partir de là, j’ai commencé à réfléchir à des concepts ludiques de livre pour pouvoir transmettre en français un peu du Liban, du Cameroun, voire des origines vietnamiennes de ma grand-mère. Je me bats pour apporter un peu de français aux enfants qui sont des éponges. Ils apprennent un peu plus à chaque fois que j’interviens. Ils arrivent maintenant à lire des livres. J’essaye de faire de construire des histoires avec eux et de fortifier leur expression orale. J’essaye également d’aider les enseignants à mettre en place des méthodes d’enseignement du français. En tant qu’ancienne élève ayant suivi des cours d’initiation à l’arabe, j’ai appliqué la méthode utilisée lors de ces cours.

 

Quelles sont vos méthodes d’enseignement ?
Je donne des ateliers. Je travaille avec de nombreuses écoles homologuées, souvent francophones. Mais en ce moment, je mets tout mon cœur à essayer de pousser la francophonie dans les écoles situées dans des régions arabophones, où on parle pas du tout français. Au Liban, les milieux dans lesquelles les parents ne parlent pas français sont en général des milieux défavorisés. J’aime bien travailler avec les proverbes car ils représentent le Liban mais expliqué en français. Je voudrais vraiment me spécialiser dans l’enseignement, devenir la pionnière d’un système d’enseignement où j’enseignerai le ‘franbanais’ que j’adore. Comme avec le camfranglais, il y a des expressions difficiles à expliquer comme le mot « naïman » qu’on utilise ici quand on sort de la douche ou du coiffeur. Si je disais ‘bon bain’ à ma mère qui est Française, elle ne me comprendrait pas.

 

Hélène Boyé, directrice de la publication de LPJ Beyrouth
Publié le 12 mars 2019, mis à jour le 18 février 2021

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