arcenciel est devenue une véritable institution au Liban. L'organisation non-gouvernementale est la référence lorsqu'il s'agit de combler les manquements de l'Etat, aussi bien au niveau de l'environnement, de l'agriculture, de la santé que du handicap. L'un de ses fondateurs, Pierre Issa, a répondu à nos questions afin de comprendre les missions réelles et les projets de l'ONG.
LPJ : En quelques mots, qu'est-ce qu'arcenciel ?
Pierre Issa: arcenciel est un groupe d'entreprises sociales au service de l'Homme et de la Terre. Nous avons deux programmes : d'une part, nous sommes au service des plus faibles et des plus démunis ; d'autre part, nous agissons dans les domaines de l'environnement et de l'agriculture. arcenciel participe au développement par l'appui de groupes fragilisés et l'intégration de groupes marginalisés.
Comment est née l'idée d'arcenciel ?
Nous étions un groupe de copains, en majorité issus du mouvement scout, et nous avions la volonté de servir mais surtout d'éviter de nous positionner comme une élite bienpensante qui trouverait une solution aux problèmes des autres. Pendant la guerre, il y avait des besoins spécifiques, notamment pour les personnes handicapées moteur. Nous avons démarré avec ce programme-là. Depuis, nous nous sommes développés en fonction des besoins de la population.
Pourquoi avoir choisi ce nom ?
Dans le contexte de la guerre, le repli identitaire était à l'origine de tous nos malheurs. Au Liban, depuis l'époque ottomane, tous les services (institutions pour la santé, éducation, etc.) sont communautaires. On a donc voulu aller à contre-courant en se revendiquant apolitique et aconfessionnel.
On a appelé ça « arcenciel » car toutes les couleurs sont présentes dans un arc-en-ciel. L'arc-en-ciel se lève pour tout le monde, pas uniquement pour certains privilégiés. Depuis le début, on a voulu servir toutes les populations, sans discrimination aucune. C'était une sorte de pavé dans la mare du paysage social et culturel au Liban.
Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier ?
Je ne sais pas si fier est le bon mot, mais je peux dire que cela fait 60 ans que je suis le plus heureux des hommes, et c'est en grande partie grâce à arcenciel. J'ai toujours été bénévole à arcenciel et arcenciel m'a apporté beaucoup plus que je ne lui ai apporté.
Selon vous, quels sont les plus grands enjeux du moment au Liban ?
Les deux premiers grands enjeux de notre pays, de par sa nature (petit et surpeuplé), sont l'environnement et la disparité économique et sociale. Le troisième grand enjeu est le système de gouvernance dont les dysfonctionnements ont causé les deux premiers problèmes. Bien qu'apolitique, tout ce que fait arcenciel est éminemment politique.
Comment Arcenciel fait-il face à ces défis ?
Notre méthode est d'agir en plusieurs phases. Notre but est de développer une première expérience réussie. Une fois qu'elle est développée, nous la capitalisons, c'est-à-dire qu'on la transforme en expérience réutilisable et partageable. Ensuite, nous reproduisons cette expérience en cercle concentrique, d'abord à l'intérieur d'arcenciel, puis avec des partenaires extérieurs.
Nous croyons qu'il n'y a pas une solution idéale applicable à toutes les régions de la terre. La géographie, le climat, le tissu socio-culturel et la réalité de l'administration, notamment dans sa capacité à contrôler et à sanctionner, impose une politique adaptée. Nous proposons un programme public, des projets de lois à travers des corps constitués (fédérations, ordres de médecins, comités nationaux, etc.). L'exemple le plus réussi est le programme « accès et droits pour personnes handicapées ». Nous avons fait passer plus de cent articles de lois, décrets et arrêtés ministériels.
Arcenciel compte-t-elle élargir ou, au contraire, resserrer ses actions autour de domaines spécifiques ?
Contrairement à la majorité dans notre métier, nous ne nous positionnons pas comme une élite bienpensante qui va trouver une solution aux autres. C'est leurs besoins qui décident de notre stratégie et de notre développement.
Comment est financée l'ONG ?
Le financement est un sujet délicat. Nous ne sommes pas une entreprise classique. Nous sommes une ONG reconnue d'utilité publique mais qui a créé d'autres ONG, des coopératives, des sociétés anonymes qui lui appartiennent. En ce qui concerne les investissements, nous dépendons en grande partie de l'aide internationale au développement. Pour ce qui est du fonctionnement, la majorité de nos activités sont autonomes.
Quels sont les critères pour devenir volontaire à arcenciel ?
C'est la seule section dans laquelle on peut comparer arcenciel à l'armée. Il y un peu plus de 600 personnes qui y travaillent et tous sont nommés volontaires. Certains sont bénévoles à 100%, d'autres en partie, et certains sont payés. Notre entreprise est tellement diversifiée que les gens peuvent toujours trouver leur bonheur.
Une chose importante est que la personne en difficulté est toujours au service de la personne en difficulté. Nombreux parmi nos volontaires sont des handicapés moteur, mentaux, sensoriels, visuels, mais aussi des ex-toxicos, des ex-prisonniers, des personnes dépressives, suicidaires, etc. Il est possible de répondre à des offres ou poser sa candidature spontanément sur le site.
Qu'est-ce qui fait le succès et la particularité d'une ONG comme arcenciel au Liban ?
arcenciel est reconnue comme le meilleur acteur dans son domaine d'expertise grâce à sa culture institutionnelle très forte et assez spéciale. La grande diversité de nos volontaires en est un exemple : des gens très pointus travaillent avec des personnes totalement analphabètes.
Nous avons également mis l'accent sur une gestion financière professionnelle, contrairement à la majorité dans notre domaine. Parce que nous travaillons pour les plus pauvres et les plus démunis, qui sont finalement les actionnaires et propriétaires de notre organisation, ils ont droit, au même titre que les actionnaires des entreprises financières, à un professionnalisme pointu.
Pour nous aider à investir dans le professionnalisme, on a commencé à travailler avec des Français dans les années 1990. Nous avions besoin de leur rigueur, ils avaient besoin de notre douceur de vivre. C'est une combinaison qui a extrêmement bien fonctionné et qui a donné naissance à arcenciel France. Aujourd'hui, les méthodes d'arcenciel sont enseignées dans des universités françaises et au-delà. Cette politique des ressources humaines est une formule gagnante.
Pierre Issa est le co-fondateur d'Arcenciel, en 1985.
Depuis toujours, il travaille dans le social : avant 1975, au service de la population palestinienne dans des camps sociaux ; à arcenciel depuis une trentaine d'années. Venant d'une famille privilégiée, il témoigne de son envie de partager. |
Site : www.arcenciel.org/fr/