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Rose-Manon Baux, finaliste de la World Class Competition en Allemagne

Portrait de Rose-Manon Baux en train de préparer un cocktailPortrait de Rose-Manon Baux en train de préparer un cocktail
Écrit par Emma Granier
Publié le 14 mai 2021, mis à jour le 14 mai 2021

À 25 ans, la française est arrivée parmi les finalistes du concours World Class Competition 2021 en Allemagne. Elle nous parle de son parcours et de sa place dans le monde des bartenders berlinois.

 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amenée à Berlin ?

Je suis arrivée à Berlin il y a trois ans sans l’avoir vraiment planifié. J’étais en master de philosophie contemporaine à Paris et j’avais besoin d’un changement. J’étais déjà venue à Berlin deux fois auparavant. Puis l’été entre les deux années de master, je suis revenue et je me suis dit qu’il y avait quelque chose de spécial à propos de cette ville. Le temps d’un été, j’ai essayé de trouver un petit boulot et un appartement pour tester la vie berlinoise. Et j’ai passé un mois et demi de fou !

La restauration ça a toujours été mon job étudiant et j’ai facilement trouvé un poste dans un restaurant gastronomique où je me suis vite intégrée. En rentrant à Paris en septembre, j’ai réalisé à quel point j’avais besoin d’être dans une ville où je me sentais plus libre de me réinventer. Je me suis dit que ma vie m’attendait peut-être plus à Berlin qu’à Paris.

J’avais besoin d’être dans une ville où je me sentais plus libre de me réinventer.

J’ai quand même fini mon master à distance en habitant ici et en continuant à bosser dans ce même restaurant. C’est à cette période que j’ai commencé à me former derrière le bar et c’est devenu une vraie passion. Ces premiers mois à Berlin m’ont appris que c’était là que je m’éclatais le plus. Bien sûr, il a fallu passer outre les idées préconçues que l’on peut avoir sur la hiérarchisation des emplois, etc. Au début, des personnes me demandaient ce que je faisais là après un master de philo. Il a fallu que je fasse un travail sur moi-même pour dépasser mes propres préjugés, mes propres censures et dire au revoir à de vieilles conceptions de moi. Ce travail intérieur, j’ai pu le faire grâce à Berlin.

 

Rose et Damien au bar en train de rigoler

 

Comment êtes-vous arrivée dans le monde des bars à cocktails allemands ?

L’été dernier, j’avais envie de trouver un bar à cocktails qui m’inspire et j’ai eu la chance de rencontrer Damien Guichard et Sven Breitenbruch, la super équipe du Truffle Pig Bar. Ils m’ont offert un poste de bartender dans ce nouveau speakeasy de Kreuzkölln, un quartier qui bouge pas mal tout particulièrement dans le domaine de la restauration. Nous sommes une petite équipe et on s’attache à créer une atmosphère unique dans ce super lieu. Voilà comment je suis rentrée dans le milieu du bar allemand.

La restauration, ce n’est pas seulement un boulot étudiant. C’est un art, une compétence et un véritable environnement.

Il y a beaucoup de bars à Berlin mais ceux qui ont une démarche créative et qui proposent un standing au-dessus de la moyenne, forment une petite communauté. C’est cette communauté qui rend le milieu du bar aussi professionnel, valide et compétent que n’importe quel autre. La restauration, ce n’est pas seulement un boulot étudiant, c’est un art, une compétence et un véritable environnement. Malheureusement, nous sommes fermés depuis le 1er novembre. C’est un vrai coup dur, le bar n’existe pas depuis très longtemps et on était en train de l’amener quelque part.

 

C’est à ce moment-là que l’aventure du concours à commencer ?

En effet, il a donc fallu s’occuper autrement pendant les mois d’hiver. J’avais besoin de continuer à me former, à progresser. On m’a encouragée à participer au concours World Class Competition organisé par Diageo et j’ai accepté. C’est un concours mondial qui a lieu chaque année et qui commence par une phase au niveau national. Ces concours sont de vraies plateformes pour le milieu et sont indispensables pour développer son réseau. C’est là que les ambassadeurs de marques sont recrutés, que les opportunités de partenariats ont lieu, etc.

Je me suis donc embarquée dans le monde de la compétition. J’ai candidaté et j’ai été prise. Le concours a commencé début avril avec 130 autres participants. J’ai passé les premières épreuves et ai été sélectionnée pour les demi-finales avec une trentaine de personnes. Je suis arrivée jusqu’aux finales Allemagne où nous n’étions plus que quinze participants. L’aventure s’est arrêtée là pour moi mais le gagnant va ensuite représenter l’Allemagne pour les prochaines étapes internationales. Je n’ai pas remporté le concours, mais je suis arrivée au pied du podium. C’est un peu décevant bien sûr, mais ça m’a donné un aperçu plus large du monde des bartenders et sur mes propres compétences.

 

Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

Ça a été un vrai terrain de jeu pour moi. J’ai créé plein de cocktails pendant ce concours. Il y avait un vrai esprit d’équipe aussi puisque j’étais soutenue tout au long de l’aventure par Damien. Mes cocktails ont reçu de très bonnes notes, les analyses gustatives étaient toujours positives. C’était une validation dont j’avais besoin : savoir que je peux compter sur mon palais et que je dispose d’une vraie expertise. C’était intéressant de pouvoir discuter avec les juges après les épreuves, d’avoir le détail des notes et de comprendre quels sont mes points forts et mes points faibles par rapport aux standards de cette communauté. Libre à moi maintenant de m’en affranchir ou pas.

En restauration, l'écrasante majorité du staff derrière le bar est composée d'hommes.

Un autre élément important que je retiens c’est un constat dont j’avais déjà conscience et qui s’est entièrement confirmé pendant la compétition. En restauration, l'écrasante majorité du staff derrière le bar est composée d'hommes. Se rendre compte que, même dans des villes comme Berlin, cela se confirme encore, c’est un peu décevant. Sur quinze finalistes, j’étais la seule femme. Lors de la cérémonie en ligne avec les vainqueurs de la Suisse, de l'Autriche et de l'Allemagne, la seule femme était une ancienne championne internationale qui présentait la soirée. À part elle, l’intégralité des juges étaient des hommes, les gagnants de cette année sont tous les trois des hommes, tout comme ceux de l’année passée qui venaient leur donner les prix.

Donc on reste quand même dans un monde assez genré et avec peu de mixité sociale. Les choses commencent à évoluer mais il y a encore beaucoup de progrès à faire avant qu’on arrive à une véritable mixité sociale dans ce milieu en général et d’autant plus en Allemagne. A Berlin, ça reflète assez mal l’esprit de cette ville, sa diversité ethnique et aussi toute la culture queer qu’on y trouve. Il manque cette énergie, cette ouverture. J’ai eu un peu l’impression d’arriver dans un milieu assez monolithique où les choses n’ont pas évolué depuis longtemps.

Si j’avais connu plus de femmes qui faisaient ce métier, je n’aurais peut-être pas eu cette impression d’avoir quelque chose à prouver à mes débuts.

Souvent quand on est une femme dans ce milieu, le regard des clients aussi n’est pas le même qu’envers les hommes. Il faut plus d’efforts pour gagner la confiance et avoir du crédit. Mais l’on vit une période chouette parce que justement, les choses commencent à bouger. Il y a plein de femmes bartender super à Berlin et c’est galvanisant de sentir que je participe à ce mouvement. Cela se traduit aussi à travers mon envie de développer ma propre créativité et de faire bouger les codes afin que plus de personnes puissent s’identifier à ce milieu. Personnellement si j’avais connu plus de femmes qui faisaient ce métier, je n’aurais peut-être pas eu cette impression d’avoir quelque chose à prouver à mes débuts.

En conclusion, je n’ai pas gagné ce concours, mais j’en ressors pleine d’assurance sur mes compétences et encore plus motivée qu’avant pour montrer que les femmes ont toute leur place dans ce milieu.

 

Portrait de Rose Marie Baux

 

Quels sont vos projets ?

La réouverture de Truffle Pig Bar s’esquisse doucement, on a mis en place un plan d’attaque spécial covid free. Le principe du bar caché, c’est plutôt d’être un petit cocon à l’intérieur, ce qui n’est clairement pas l’idéal dans cette période. On a donc décidé de fusionner les identités du bar caché et du bar de devanture. Le bar habituellement caché va s’exposer en terrasse comme une sorte de pop out. On va continuer à servir des cocktails assez pointus, mais de manière un peu plus relax. Certains cocktails seront proposés à la pression et on va essayer de concilier cette ambiance bon enfant, bonne franquette estivale avec notre univers de boissons un peu plus complexes. En faisant la carbonisation nous-mêmes des boissons, cela nous permet de maîtriser la finesse des bulles et d’avoir des mélanges parfaitement infusés avec l’intégralité des ingrédients.

Tout le monde a le droit de boire un bon drink.

Ce concept de boissons à la pression permet de rendre les cocktails accessibles à tout le monde. C’est aussi un des enjeux du monde du bar. Il y a des passionnés qui connaissent tous les cocktails. Mais cela arrive aussi très souvent que des gens viennent au bar et me disent qu’ils n’y connaissent rien, qu’ils n’ont pas de palais, etc. L’enjeu c’est d’arriver aujourd’hui à ce que tout le monde se sentent bien, autant les néophytes que les passionnés. Tout le monde a le droit de boire un bon drink.

A côté de l’actualité du bar, j’essaie de développer mes propres activités. Aujourd’hui, être bartender c’est plus seulement être derrière un comptoir. On peut être amené à faire des consultations pour des marques, à faire des interventions auprès d’autres bartenders, etc. Quant aux concours, j’y retournerai certainement dans un ou deux ans pour continuer à me former et à faire bouger les choses !

 

Retrouvez l'actualité de Rose-Manon Baux sur sa page Instagram et sur celle du Truffle Pig Bar.

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