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Emanouela Todorova et son combat contre le harcèlement de rue

Couverture du livre Dis bonjour sale pute et portrait d'Emanouela TodorovaCouverture du livre Dis bonjour sale pute et portrait d'Emanouela Todorova
© Paula G Vidal
Écrit par Emma Granier
Publié le 4 juin 2021

Arrivée à Berlin il y a bientôt trois ans, Emanouela Todorova a créé le compte Instagram @disbonjoursalepute (DBSP) l’été dernier après un énième cas de harcèlement de rue. Le compte est rapidement devenu un lieu d’expression pour les victimes et est suivi aujourd’hui par plus de 124 000 abonnés. Mercredi 9 juin, sort en librairie le livre Dis Bonjour Sale Pute, une arme supplémentaire pour toucher un maximum de personnes dans ce combat quotidien contre le sexisme ordinaire.

 

Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a amenée à Berlin ?

Je suis née en Bulgarie et j’ai grandi en France. Après avoir passé un peu plus de dix ans à Strasbourg, j’avais envie de nouveaux challenges, de voir autre chose, et notamment de partir vivre à Barcelone. A cette même période, j’ai rencontré mon copain qui était d’accord pour partir à l’aventure avec moi mais pas seulement en Catalogne et on s’est mis d’accord sur un projet de tour du monde où on changerait de pays tous les six mois.

Échec total de la mission ! On a commencé par Berlin, on n’est jamais parti de Berlin. En septembre, ça fera déjà trois ans qu’on est arrivé.

 

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Dis Bonjour Sale Pute ?

L’été dernier, j’ai créé le compte Instagram @ditbonjoursalepute suite à une énième agression. Contre tout attente ce compte a aujourd’hui pris une place tellement importante dans ma vie que j’ai quitté mon boulot et que j’ai décidé de me consacrer entièrement à ce projet. J’ai créé l’association du même nom dans le but de pouvoir lutter contre le sexisme en France et je réfléchis aujourd’hui à des actions de terrain à mettre en place l’année prochaine comme des formations en milieu scolaire et professionnel ainsi que le lancement d’une application d’aide aux victimes.

Les témoignages de victimes que je relaie sur le compte Instagram sont assez lourds. Souvent les victimes se sentent seules et n’ont pas osé parler de leur agression avant. Ce sont parfois des personnes qui ont quarante, cinquante ans, qui parlent de traumatismes qu’elles ont vécus quand elles avaient une dizaine d’années et qui les poursuivent encore aujourd’hui. C’est difficile de voir comment certaines actions ont un impact sur le long terme et peuvent créer des traumatismes quotidiens : se retourner tout le temps, ne plus sortir quand il fait nuit, ne plus boire d’alcool quand on est chez des amis pour être complètement consciente sur le chemin du retour, etc. On se rend compte à quel point certaines actions peuvent gâcher la vie de personnes sur plusieurs années. D’où la nécessité d’en parler et de les dénoncer pour faire évoluer les choses.

Portrait d'Emanouela Todorova
© Erik Lasalle

Quelles sont les prochaines étapes ?

M’entourer ! Un seul cerveau n’est jamais suffisant pour changer le monde et je pense que j’ai besoin d’être entourée de personnes qui sont engagées, qui ont leur propre vision et leurs propres idées afin qu’on puisse, ensemble, aller plus loin dans ce projet. Tout ça part effectivement d’un compte Instagram. Mais le but c’est que DBSP devienne un média d’information que les gens pourront utiliser pour trouver des réponses à leurs questions. Comment gérer le stress post traumatique, qui appeler si vous êtes témoin d’une agression, etc. J’ai envie d’aller beaucoup plus loin et c’est pour ça que j’ai besoin d’une équipe !

L’association DBSP a été créée à Strasbourg l’année dernière. C’est une ville importante pour moi, c’est là que j’ai grandi et j’avais aussi envie de faire rayonner la région à travers ce projet. Je ne l’ai pas créée à Berlin parce que je suis d’avantage sensibilisée à ce qui se passe en France. D’autant plus qu’à Berlin on n’est pas autant victime d’harcèlement de rue comme on peut l’être en France. C’est en vivant ici que je me suis rendu compte que le harcèlement de rue était aujourd’hui quelque chose de complètement banalisé en France.

J’ai créé l’association dans le but de pouvoir monter une équipe et d’aller plus loin. Je suis en réflexion sur comment recruter, comment obtenir des subventions et faire en sorte que l’association puisse mettre en place d’autres actions comme les interventions en milieu scolaire ou la création d’une plateforme de signalement – que l’on soit victime ou témoin – sous forme d’application.

 

Couverture du livre Dis bonjour sale pute

Un autre projet qui verra bientôt le jour est celui du livre Dis bonjour sale pute. Pouvez-vous nous en dire plus ?

L’année dernière, j’ai été contactée par une première maison d’édition qui m’a proposé le projet. C’est un peu arrivé de nulle part, je ne m’y attendais pas du tout. Au début, je ne me sentais pas légitime, puis je me suis dit que c’était l’opportunité d’aller plus loin que le compte Instagram et que je devrais saisir cette chance. J’ai ensuite été en contact avec deux autres maisons d’édition et j’en ai choisi une tout simplement parce que j’ai eu un coup de cœur pour l’éditrice et que l’illustratrice avec qui je voulais travailler avait déjà collaboré avec eux. Donc le projet a débuté au mois de septembre et j’ai fini la rédaction mi-mars. Le livre vient tout juste de partir en impression et la sortie en librairie est prévue le 9 juin ! Il sera disponible en France dans la plupart des librairies et on pourra également le commander en ligne.

Récemment, j’ai été approchée par le bureau de Marlène Schiappa parce qu’ils ont entendu parler du livre DBSP. J’espère que cela nous ouvrira des portes et notamment celles de l’éducation nationale pour que l’on puisse intervenir au niveau des écoles, collèges et lycées. Le livre est un projet que j’ai accepté de faire pour pouvoir toucher les gens qui ne sont pas sur les réseaux sociaux ainsi que les élèves et les étudiants. J’aimerais qu’il y ait vraiment une sensibilisation au sexisme ordinaire dans les milieux scolaires par le biais d’interventions comme il en existe déjà pour la sécurité routière ou l’éducation sexuelle.

 

En quoi votre vie à Berlin a influencé ce projet ?

Ici, même si j’ai encore quelques automatismes français (pas envie d’être seule dans la rue la nuit), je me sens globalement plus en sécurité. Je me retourne moins dans la rue, je me sens moins en alerte et c’est quelque chose qui fait du bien. Si c’est possible à Berlin, c’est que ça doit être possible en France aussi ! Ça prendra peut-être plus de temps, ce sera sûrement plus compliqué, il y a beaucoup plus de choses à revoir dans le système français, mais c’est impossible que la France ne puisse pas offrir un espace libre dans la rue comme on peut l’avoir à Berlin. Évidemment, on ne sera jamais entièrement en sécurité, mais je reste optimiste sur le fait qu’on doit pouvoir atteindre une certaine sérénité dans la rue en France.

Merci à la belle Berlin de m’avoir aidée dans ce projet et surtout dans ce changement de vie.

Je suis contente d’être venue à Berlin et d’être restée plus longtemps parce que c’est ce qui m’a permis de réaliser ce qui se passait en France et c’est ce qui m’a donné la force de réagir. Si je n’habitais pas ici, je n’aurais pas cet électrochoc à chaque fois que je rentre en France face à la violence que l’on peut subir dans la rue. Lorsque j’habitais encore à Strasbourg, je pense que je l’avais banalisée, intégrée. Je me taisais. Aujourd’hui, je considère que ce n’est plus possible d’être obligé de se taire pour sauver sa vie. Et je pense que si je n’avais pas vécu à Berlin, je n’aurais pas eu cette prise de conscience. Donc merci à la belle Berlin de m’avoir aidée dans ce projet et surtout dans ce changement de vie. Je me crée mon propre boulot dans une cause qui est importante pour moi et pour beaucoup de femmes, et je vais pouvoir apporter ma pierre à l’édifice dans ce combat.

 

 

Emma Granier
Publié le 4 juin 2021, mis à jour le 4 juin 2021

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