

A deux pas de Nordbahnhof se trouve un petit restaurant à l'enseigne discrète. La carte propose un savant mélange de gastronomie française et allemande, tandis que le cadre nous ramène quelques siècles en arrière. Le tenant des lieux est un descendant direct du maréchal Ney, fidèle serviteur de Napoléon Ier. Moins belliqueux que son aïeul, il a souhaité, à travers son restaurant, faire partager sa passion pour l'ère impériale, et exprimer son identité franco-allemande.
Pétéa a peu de choses en commun avec son arrière grand oncle, Michel Ney, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa et maréchal d'Empire. Ses cheveux lui tombent dans le cou, il parle d'un ton calme et patient, sourit beaucoup. L'allure martiale que l'on prête volontiers à son aïeul n'a visiblement pas traversé les âges. Il est né à Saint-Louis, en Allemagne, à 100km de la frontière française, et n'a jamais vraiment résidé dans l'hexagone, bien qu'il maîtrise parfaitement la langue de Molière. La première fois qu'il s'est rendu en France, c'était pour échapper au service militaire en Allemagne. Ce pacifiste convaincu n'avait pas la moindre envie de porter l'uniforme : "C'était la Guerre Froide, chacun des deux blocs avait le pouvoir de détruire la planète en un clin d'?il. Je ne voulais pas faire partie de ce système", explique-t-il. On est loin du "Venez voir comment meurt un maréchal de France !", scandé par Ney alors qu'il lançait sa cavalerie contre les lignes anglaises à Waterloo.
S'il n'a pas l'âme d'un militaire, le descendant du maréchal ne manque toutefois pas de courage. Il en faut pour fuir la mobilisation, quitte à risquer de finir à l'ombre. Pour éviter cet écueil, il s'est caché en Bretagne, où une petite ferme n'a pas tardé à attirer son attention. Rapidement, il projette de l'acheter avec deux amis et de s'y installer, la retaper, élever des bêtes, cultiver un champ? La bâtisse est à vendre pour 300 000 francs de l'époque. Le notaire contacté, il ne leur reste plus qu'à aller chercher l'argent en Allemagne et revenir. Manque de chance, Pétéa se fait arrêter lors d'un contrôle de police, non loin de la frontière. Il passe un mois en prison et, fini par intégrer l'armée. « Finalement, ce n'était pas si mal, j'ai même bien rigolé ! » s'amuse-t-il.
Un parcours chaotique
Une fois son service effectué, il part à Berlin, où sa s?ur travaille depuis quelques années. "Je ne savais pas tellement quoi faire. J'ai eu l'opportunité de travailler à l'hôpital, dans un laboratoire, raconte-t-il , j'y ai fait trois ans et demi, mais ça ne me plaisait pas, j'ai fini par démissionner et je me suis de nouveau retrouvé sans rien. A l'époque, j'étais passionné par les vinyles, je les collectionnais depuis l'adolescence, alors j'ai songé à en faire mon gagne-pain". Il commence à écumer les marchés aux puces, vendant des vinyles pour se faire de l'argent, en achetant de temps à autre pour enrichir sa collection personnelle.
Un beau jour, il reçoit une lettre d'un ami qui vient d'acheter une ferme aux États-Unis et lui propose de le rejoindre. Son projet de jeunesse renaît de ses cendres de l'autre côté de l'Atlantique. Sans trop hésiter, il s'embarque pour le nouveau monde. Mais, après un an à travailler au champ, il doit repartir. "J'ai eu quelques problèmes avec sa femme? elle était particulière. Franchement pénible", dit-il en riant. De retour à Berlin, il reprend son commerce de vinyle. Il ouvre une boutique à Friedrichshain, où il vend ses albums, mais aussi des meubles qu'il achète en Pologne à moindre coût. L'affaire tourne pendant quatre ans, mais finit par péricliter. Nouveau retour à la case départ.
C'est alors qu'un de ses amis apprend son lien de parenté avec le maréchal Ney. Féru d'histoire, il trouve l'anecdote amusante et parvient à convaincre Pétéa de l'exploiter. L'auberge du Maréchal Ney était née. En compagnie d'un troisième ami, ils rachètent un vieux fonds de commerce, passent plusieurs mois à tout remettre à neuf, de la plomberie à la déco, et ouvrent le restaurant en juillet 2011. Depuis, les choses suivent leur cours, malgré quelques difficultés : "La concurrence est féroce, et nous sommes encore jeunes et peu connus? mais l'affaire commence à se développer", affirme Pétéa, confiant.
"J'ai fait la paix avec le maréchal"
Son auberge répond à une double ambition, très liée à son histoire personnelle. Il a d'abord souhaité mettre en valeur ses origines franco-allemandes, en proposant une cuisine piochant dans ses influences de part et d'autre du Rhin. Ainsi, le chef est allemand, mais a fait ses preuves à Paris. A la carte, on trouve de la crème bavaroise comme de la soupe de poisson. Le descendant du maréchal Ney a également voulu rendre hommage à son illustre aïeul. Il suffit de jeter un ?il à la déco pour s'en rendre compte. "Quand j'étais plus jeune, en tant que pacifiste convaincu, je me fichais totalement du maréchal. Et puis, il y a quelques années, j'ai lu sa biographie, et j'ai fait la paix avec lui. Depuis, je me suis pris d'intérêt pour le personnage et son époque. En ouvrant ce restaurant, j'ai voulu faire partager un bout d'histoire à mes clients".
Pari réussi : portraits de Ney, tricorne, drapeau et sabres d'époque, on se croirait presque dans un mini-musée consacré à l'ère impériale. La plupart des objets présents ont été rachetés par ses parents, collectionneurs chevronnés. Cerise sur le gâteau : un morceau de mur finement sculpté issu de la véritable demeure du maréchal. "La maison a été détruite dans les années 1970. A l'époque, mes parents ont contacté le ministère de la culture, et ont réussi à récupérer deux morceaux de mur", explique-t-il.
Si son affaire ne lui permet pas encore de rouler sur l'or, elle a au moins permis à Pétéa de faire quelques singulières rencontres, comme ce vieil homme qui débarqua un soir à l'auberge, affirmant être l'arrière-petit-fils de Moreau, maréchal français passé à l'ennemi lors de la campagne de Russie. Deux maréchaux de l'Empire se rencontrant au c?ur de Berlin, comme si l'Europe napoléonienne renaissait de ses cendres, l'espace d'une soirée.
Guillaume Renouard (www.lepetitjournal.com/Berlin) jeudi 4 juillet 2013
Savoir plus :
http://www.auberge-marechal-ney.de/
