L'Espagne a remporté dimanche l'Euro 2024. Pour l'Allemagne, c'est une double défaite : non seulement la Mannschaft a été éliminée en quart de finale par l’Espagne, mais en plus le pays a vu ses faiblesses infrastructurelles et organisationnelles exposées sur la scène internationale. La Coupe du monde de 2006 avait conféré à l'Allemagne une réputation d'hôte exemplaire. Pourquoi cette image a-t-elle été ternie ?
La Deutsche Bahn : Shame in Germany
Au centre des critiques émises par les supporters venus de toute l’Europe : la Deutsche Bahn. S’il y a un point sur lequel la compagnie n’a pas failli lors de l’Euro, c’est qu’elle a été à la hauteur de sa médiocre réputation. Toutes et tous en Allemagne le savent, les trains allemands sont chroniquement en retard, peu fiables et régulièrement annulés ; un trajet avec la Deutsche Bahn qui se passe comme prévu relève davantage de l’exception que de la règle. Ces défaillances sont dues au surnombre de véhicules en circulation sur le réseau ferroviaire devenu vétuste car sous-financé depuis plus d’une dizaine d’années.
Durant le tournois, sans surprise, la Deutsche Bahn n’a pas été à la hauteur de l’évènement. Plus d’une centaine de fans autrichiens ont raté la première mi-temps du match contre la France parce que leur train en direction de Düsseldorf est resté bloqué à Passau. L’interruption du trajet était due à des travaux sur les quais qui n’ont pas été achevés dans les temps. Lors de la demi-finale qui opposait l’Angleterre aux Pays-Bas, le ICE qui aurait dû transporter l’équipe nationale des Pays-Bas annonçait un retard de plus de 130 minutes. Les joueurs ont dû annuler une conférence de presse et se replier en catastrophe sur un vol intra-national pour parcourir les quelques 300km qui séparent les villes de Wolfsburg et Dortmund où s’est déroulé le match.
Si les critiques acerbes des visiteurs étrangers au sujet du service ferroviaire allemand sont largement justifiées, celles concernant la ville de Gelsenkirchen, berceau du célèbre club « Schalke 04 », en ont froissé certains.
À Gelsenkirchen, « Schalke 04 » ne suffit plus
Gelsenkirchen n’est pas seulement l'une des villes les plus pauvres d’Allemagne. Selon un classement réalisé par ZDF en 2008, c’est aussi la dernière du classement en termes de qualité de vie : en 2017, le niveau de pauvreté infantile de la ville atteignait le niveau record de 41%.
Si le football ne peut pas résoudre l’énorme retard économique et structurel auquel fait face Gelsenkirchen, c’est bien à lui que la ville doit sa renommée mondiale, plus précisément au quartier emblématique de Schalke. Il fut un temps où « Schalke 04 » était le sixième plus grand club de football au monde. De nombreux joueurs de l'équipe nationale, dont Ilkay Gündogan, Manuel Neuer, Chris Führich et Leroy Sané y ont été formés. Réaliser un championnat d’Europe de football en Allemagne sans organiser de match dans le stade légendaire de « Schalke 04 » était donc impensable.
Mais alors, pourquoi ne pas avoir saisi l’opportunité d’investir massivement dans les infrastructures de la ville pour tenter d’améliorer son attractivité sur le long terme ? Olivier Kruschinski, interrogé par Zeit Online, explique que les possibilités de logements sur place étaient insuffisantes pour les touristes, au même titre que les bars et les restaurants. Il n’y avait même pas d’espace fanzone ou d’aménagement permettant aux visiteurs de voir le match en plein air. Ainsi, la plupart des supporters ayant fait le déplacement ont opté pour un logement dans les villes alentours de Francfort sur le Main, Düsseldorf ou Hambourg.
Cette occasion manquée n’a pas été sans conséquences pour le rayonnement de la ville. Lors du match opposant l’Angleterre à la Serbie, la plus grande perdante c’était Gelsenkirchen qui fut l’objet d’un véritable shitstorm sur le net. Les hostilités furent initiées par un reporter de la chaîne de télévision Sky qui a d’abord écorché le nom du lieu en parlant de « Gelsenkörken ». Il a ensuite mis en garde les fans sur le contraste frappant avec la ville de Munich où s’était déroulé le précédent match de l’Angleterre. « Mis à part le stade de foot, il n'y a vraiment pas grand-chose à faire dans la ville. Des restaurants, des bars - il n'y en a pas beaucoup à Gelsenkirchen », décrit-il. Le coup de grâce fut finalement porté par un supporter anglais particulièrement cruel qui décrit la ville comme « absolute shithole » sur un post Instagram devenu viral.
Qu’en est-il de Paris 2024 ?
Après ce douloureux constat du côté allemand, se pose la question de savoir si la France, en pleine tourmente politique, parviendra à satisfaire les sportifs et supporters venus du monde entier lors des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024.
Lors de l’organisation d’évènements sportifs d’une telle envergure, la tradition est la même de part et d’autre du Rhin, les critiques foisonnent avant même le premier coup d’envoi : trop cher, trop politisé, trop risqué… Dans sa candidature, Paris avait anticipé les voix de ses détracteurs futurs en présentant les JOP comme tremplin pour les villes pauvres et populaires de la Seine-Saint-Denis.
Les Jeux devraient être « un fantastique accélérateur de renouvellement urbain pour le 93 et de conversion écologique pour Paris », assure ainsi Emmanuel Grégoire, premier adjoint au Parti socialiste (PS) d’Anne Hidalgo. Les investissements de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) qui se font à plus de 80% en Seine-Saint-Denis, devraient permettre de financer entre-autre, le village olympique situé à cheval sur les villes de Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine et l’Île-Saint-Denis, le Centre aquatique olympique (CAO) de Saint-Denis ou encore une passerelle facilitant le déplacement piéton ou vélo pendant les Jeux. Vu sous cet angle, la France a saisi l'opportunité offerte par les Jeux pour pallier le retard flagrant en infrastructures du département de la Seine-Saint-Denis.
Il ne reste plus qu’à espérer que les visiteurs soient séduits et que les Jeux contribuent au rayonnement international des villes concernées. Mais jusqu'où un pays peut-il aller pour satisfaire les supporters internationaux et préserver une image positive à l'échelle mondiale ? Le collectif d’associations « Le revers de la médaille » alerte depuis le début de l’organisation des Jeux sur le « nettoyage social » opéré dans la capitale. Au 3 juin 2024, le nombre de personnes expulsées en région parisienne à l’approche des Jeux s’élevait à 12 545. Pour peaufiner son image internationale, le plan de la ville de Paris ne se limite donc pas à des investissements massifs, mais inclut également l’exclusion et l’invisibilisation de ce qui dérange : l’immigration illégale, la prostitution et le sans-abrisme.
Le tandem franco-allemand se distingue sur la scène internationale non seulement par ses performances économiques, mais aussi par son statut de modèle démocratique et social. Ce dernier ne devrait pas être négligé lors de l'organisation d'événements sportifs de cette envergure.
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