Ces dernières semaines, les agriculteurs d’Europe ont décidé de faire entendre leur épuisement auprès de leurs représentants nationaux et supranationaux, avec un sentiment d’avoir été poussés à bout. Tour d’horizon des actions menées, qui n’ont pas eu la même intensité ni le même succès partout.
De nombreux pays ont pris part à cette révolte
En Allemagne, la manifestation du 15 janvier avec les images de colonnes de tracteurs au centre de la capitale a marqué les esprits. Le 3 février, c’est l’aéroport de Francfort qui a été perturbé. Dans les jours qui suivent ce sont leurs collègues français qui décident d’exprimer leur colère, avec des méthodes plus radicales : autoroutes bloquées sur des kilomètres, fumier déposé devant les bâtiments publics, blocage des entrées de Paris… Le nouveau premier ministre Gabriel Attal se montre conciliant et a déjà promis une aide globale de 400 millions d’euros ainsi qu’une pause dans un plan de réduction des pesticides. Alors qu’ils accordent aujourd’hui une trêve au gouvernement, dans d’autres pays, la gronde monte encore. En Espagne, 1er exportateur européen de fruits et légumes, les trois principaux syndicats (Asaja, COAG et UPA) ont annoncé il y a quelques jours rejoindre le mouvement et ont prévu une manifestation devant le ministère de l’Agriculture ce jeudi.
D’autres pays d’Europe du Sud se sont également joints. Les italiens ont organisé une « marche sur Rome » pour finir la semaine dernière devant la Commission Européenne et leur donner la liste de leurs revendications. La Grèce et la Belgique ont aussi connu des manifestations ces derniers mois. Le périphérique d’Anvers a été occupé comme les autoroutes françaises. Même en Suisse, peu habituée à ce genre d’événement, on a vu des tracteurs traverser Genève. A l’est, la Roumanie, la Pologne, la Hongrie, et ce 19 février la République Tchèque ont aussi protesté pour les mêmes raisons, avec une revendication en plus : que les restrictions sur les exportations d’Ukraine s’appliquent à nouveau, car leurs produits envahissent leurs marchés et sont ne sont pas contraints aux normes européennes. Des routes vers l’Ukraine ont même été bloquées.
Outre les spécificités nationales, des revendications qui se croisent sur beaucoup de points au niveau européen
Si le mouvement est exceptionnellement étendu sur le continent, il est frappant de constater à quel point les origines de la colère des agriculteurs sont profondes et dépassent le cadre national. Cela fait des décennies qu’ils expliquent ne pas arriver à vivre décemment de leur travail mais d’autres facteurs sont venus s’ajouter dans un contexte économique et social dégradé. Les salaires trop bas sont une constante des plaintes à travers tous les pays : beaucoup témoignent ne pas gagner le salaire minimum pour une charge de travail énorme, peu d’aides reçues, et une menace constante de devoir déposer le bilan. S’ils n’arrivent pas à vendre leurs produits assez cher, ils accusent notamment la grande distribution, comme en France avec Lactalis en bras de fer avec les producteurs laitiers.
Mais ce sont aussi les coûts de production qui augmentent, avec des normes européennes sur l’utilisation de produits phytosanitaires qui se durcissent, alors que les pays hors UE en sont exemptés. Cette concurrence déloyale est insupportable à leurs yeux – s’ils ne remettent pas toujours en cause les objectifs environnementaux de l’UE, ils demandent au moins à ce qu’on leur donne les moyens de mener cette transition, et notamment grâce aux subventions européennes dont ils dépendent largement, fixées par la Politique Agricole Commune. Ils sont dans le même temps en première ligne face au changement climatique avec les pénuries d’eau, la sécheresse, les incendies.
Les critiques envers l’Union Européenne visent donc la PAC ainsi que le Green Deal (pacte vert européen). Le sentiment d’injustice de devoir se soumettre à des lois venues de Bruxelles, qui rendent leur travail plus difficile au quotidien, et qu’ils considèrent comme trop restrictives (notamment sur les méthodes d’exploitation des terres et les utilisations d’engrais ou de pesticides) alors que les produits venus par exemple d’Amérique du Sud ne suivent pas les mêmes standards, est partagé par tous. La différence de prix dans les rayons se fait bien sûr ressentir et dans un contexte inflationniste, la réaction des consommateurs ne va pas dans le sens d’une consommation locale ou bio, malgré toute leur bonne volonté.
Ce climat tendu vient provoquer le début de la campagne pour les élections européennes de juin. Tous les gouvernements sont obligés de réagir face à cette colère populaire souvent soutenue par l’opinion publique. L’Europe est elle-même au cœur de la tourmente puisque c’est sa propre gestion de l’agriculture à l’échelle des 450 millions de citoyens européens qui est remise en cause. Les partis de droite et d’extrême droite sont favorisés dans les sondages de beaucoup de pays, puisqu’ils affirment être les premiers à avoir condamné la PAC et le Green Deal en leur état actuel.
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