Pour célébrer ses 10 ans, Chaussee 36 nous offre une superbe rétrospective : une sélection d’œuvres issues de ses trois expositions les plus marquantes, actualisée pour refléter les années écoulées entre-temps. En bonus, une quatrième exposition exclusive retrace l’histoire du lieu. Guidée par Mathilde Leroy, directrice de collection et curatrice, la visite prend des allures de voyage dans le temps, à travers le regard de photographes prestigieux.


Europe Under Construction (2015), 80 ans de Berlin en 40 photos
Dans un cadre exceptionnel, les anciennes écuries rénovées, on est invité à contempler l’évolution de Berlin, et en filigrane celle de l’Europe, de 1945 à aujourd’hui.
Tout le monde sait que Berlin a été ravagée, écrasée, punie, mais c’est autre chose que de voir les photos qui témoignent de la réalité à la sortie de la guerre. Des monceaux de pierres, de la fumée, c’est un monde presque irréel qu’on contemple en noir et blanc, avec les impressionnantes photos de Jewgeni Chaldej.
Alors vient le moment de la reconstruction, le phénix qui renaît de ses cendres dans une ville fragmentée. Une séparation qui se retrouve bien palpable avec une photo de Will McBride montrant les chars de l’armée américaine et de l’armée rouge à Checkpoint Charlie, dans une posture d’intimidation mutuelle, prêts à déclencher la troisième guerre mondiale.
Puis la période du Mur, la vie continue, mais une image troublante (Will McBride) de familles portant des bébés à bout de bras, pour les montrer à leurs proches de l’autre côté du Mur, ancre la douloureuse réalité de la séparation.

Wolfgang Krolow - Kinder am Bethaniendamm Berlin-Kreuzberg SO36, 1990 © Wolfgang Krolow - Courtesy: Wolfgang Krolow Archiv
Après la chute, ce sont les traces d’un Berlin désormais disparu, documentées par André Kirchner, Wolfgang Krolow, ou encore Ben de Biel : un enfant avec une chèvre, le Tacheles, Chausseestraße. L’exposition d’origine de 2015 a été complétée avec des œuvres qui couvrent les 10 dernières années et les mutations de la ville. Le sujet de l’urbanisation qui efface est ici central, notamment avec la série Cuvrybrache de Siebrand Rehberg qui montre l’évolution de la friche de Cuvry de 2014 à 2021, emblème de la gentrification.
On passe ensuite à la couleur pour montrer une ville qui pulse encore, notamment grâce à la richesse et la diversité de ses habitants, ce que nous dévoilent Heike Steinweg, qui donne voix et visage à des femmes réfugiées installées à Berlin, ou encore Spiros Rennt qui illustre la persistance d’une culture inclusive et festive.
Women on View (2019), le corps féminin sous l’œil du marketing
Cette exposition nous fait cheminer dans le rapport étroit et quelque peu dysfonctionnel que le monde de la publicité entretenait avec le corps des femmes.
On commence dans les années 40 et on voyage jusqu’aux années 2000 : pin-ups idéalisées des années 40, corps émancipés mais toujours sexualisés des années 70, ère des top-models et du “porno chic” des années 2000.
Et on observe, entre photos et pages publicitaires de magazines, comment la nudité a été utilisée par la pub pour vendre de la lingerie bien sûr, mais aussi des voitures, parfums, montres ou encore pellicules photos. Et là, derrière la possession du produit, il y a le fantasme implicite de la possession de la femme, et un regard très masculin qui a structuré des décennies d’imagerie commerciale.
De la simple suggestivité au franchement explicite, on voit comment les grands noms de la photographie - Hans Feurer, Helmut Newton, Michel Comte pour n’en citer que quelques- uns - ont illustré l’air du temps pour Swatch, Levi’s, Calvin Klein, Playboy et le calendrier Pirelli.
Un air du temps qui a longtemps eu un parfum de patriarcat et d’hyper-sexualisation, et on constate qu’aujourd’hui, certaines de ces publicités “ne passeraient plus”, comme la sulfureuse campagne de Terry Richardson pour Tom Ford.

Frauke Fischer - Love Your Curves, Published in Gruner und Jahr, 2021 © Frauke Fischer-Ikeda - Courtesy: The artist
Si le parcours révèle les paradoxes d’une époque (l’affranchissement apparent des femmes dans la publicité se double d’une objectification persistante), il se conclut par une ouverture - toujours des corps dénudés, mais plus de diversité et de naturalité dans les formes et les poses, qui donne une saveur de reconquête de leur corps par les femmes pour les femmes, tout en soulignant le chemin qu’il reste à parcourir.
Behind Desire (2020), l’érotisme dans sa dimension intime et artistique
On sort du marketing pour explorer le fil du désir, en quatre chapitres : Awakening, Imagination, Intimacy, Unchaining.
D’un point de vue artistique, le sujet est finalement peu présent en photographie, beaucoup plus en sculpture ou en littérature. C’est ce qui a inspiré Mathilde Leroy pour sa curation. Un thème également très subjectif, car il y a autant de visions et d’interprétations que de personnes.
Un des choix de curation a été de trouver des artistes féminines qui explorent cet univers — parfois même en renversant les codes et en montrant des corps d’hommes, photographiés par des femmes, ce qui reste relativement rare.

Dans ce parcours troublant de la séduction à l’intimité et à la libération, par le baiser ou l’orgasme, on croise les Polaroids grand format de Lucien Clergue, des diptyques d’Emmanuelle Bousquet rejouant des sculptures du Louvre avec son propre corps, les compositions vaporeuses de Sonia Sieff, des photos de sculptures de Rodin, dont Le Baiser, par Albert Rudomine ou encore les scènes brutes de Spiros Rennt, issues de la scène queer berlinoise.
Entre voiles, flous et jeux de lumière, tantôt voyeur, tantôt intime, Behind Desire illustre parfaitement que ce n’est pas la nudité qui fait l’érotisme, mais la tension entre ce qui est montré et la place laissée à l’imagination.
Site Memories (2025), l’histoire du lieu en images
En clôture du parcours, cette exposition offre un regard inédit sur la genèse de Chaussee 36. À travers des photographies d’archives jamais présentées auparavant, elle dévoile les différentes métamorphoses du bâtiment et révèle l’âme du lieu : celle d’un espace durable et intemporel, habité par la mémoire et la création.

En réunissant ces quatre expositions, Chaussee 36 signe bien plus qu’une rétrospective : une décennie de réflexion sur notre rapport au monde.
À travers les regards croisés des photographes, le lieu explore les valeurs démocratiques européennes, l’égalité des genres, l’érotisme et la durabilité — autant de fils conducteurs au cœur de son identité.
Actualisée par de nouvelles œuvres issues de la Collection De Gambs et de prêts exceptionnels, cette exposition-anniversaire met en lumière la place de la photographie dans le dialogue entre passé et présent, ainsi que son rôle dans les débats sociétaux d’aujourd’hui et de demain.
En parallèle de l’exposition, une série d'ateliers et de rencontres prolonge la réflexion sur la photographie et ses pratiques contemporaines.
🎟️ Entrée libre
⏰ Du mercredi au samedi de 13h à 18h
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