Brandissant des messages sur des tablettes électroniques et utilisant la lampe de leur téléphone portable comme une bougie, des centaines de jeunes manifestants se sont rassemblés jeudi pour demander au gouvernement thaïlandais de démissionner et de dissoudre le parlement.
Un réseau de groupes d'étudiants appelé "Jeunesse libre" a uni ses forces à la périphérie de Bangkok, pour exprimer une série de plaintes contre le gouvernement du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, un ancien chef de l'armée qui a renversé un gouvernement élu il y a six ans puis a réussi à se maintenir au pouvoir à l’issu d’une élection controversée l’an dernier.
"Nous sommes ici pour appeler à une nouvelle Constitution. Parce que la Constitution actuelle ne soutient pas nos droits et nos libertés. Elle a été héritée du coup d'État militaire de 2014", a lancé le manifestant étudiant Thanachai Aurlucha, 25 ans.
Une étudiante dont le diminutif est Fufu, âgée de 22 ans, estime que le gouvernement n'a pas réussi à relancer l'économie comme il l’avait promis. "Nous sommes sur le point d'obtenir notre diplôme mais nous ne savons pas comment nous allons gagner notre vie. Si je ne me mobile pas aujourd'hui, il n'y aura pas d'avenir."
Un manifestant qui se fait appeler Ron, 39 ans, déclare pour sa part: "Je veux appeler à une vraie démocratie en Thaïlande."
Tous deux ont refusé de donner leur vrai nom.
Malgré les avertissements officiels les prévenant qu’un tel rassemblement était illégal au regard du décret d’urgence imposé pour lutter contre l’épidémie de coronavirus qui n’a plus fait le moindre malade depuis bientôt deux mois, aucune présence policière n’était visible près de la manifestation nocturne.
Beaucoup ont levé à plusieurs reprises trois doigts en l'air, un geste emprunté aux romans et aux films "Hunger games" qui est devenu un symbole de ces manifestations contre l’establishment ultra-conservateur personnifié par le pouvoir actuel.
Des manifestations similaires ont eu lieu dans quatre autres provinces - Ayutthaya, Khon Kaen, Sakon Nakhon et Pattani. Les jeunes prévoient également des rassemblements à Bangkok et dans d'autres provinces ce week-end.
Ces rassemblements faisaient suite à une manifestation à Bangkok, samedi, d'environ 2.500 personnes, l'une des plus grandes manifestations de rue depuis le dernier coup d'État.
Le gouvernement n'a pas pour l’heure répondu publiquement aux doléances des manifestants.
L'impopularité de Prayuth Chan-O-Cha et son gouvernement s'est accrue ces derniers mois.
Alors que l’économie battait déjà de l’aile depuis le coup d’Etat, les élections de l'année dernière supposées sonner le retour à la démocratie, ont été marquées par deux dissolutions de partis d'opposition par la Cour constitutionnelle, l’une pendant la campagne électorale et l’autre en février dernier ayant permis à la coalition menée par le parti de Prayuth de renforcer sa domination du Parlement.
La dissolution le 21 février du parti Anakot Mai (de son nom anglais "Future Forward"), deuxième plus important parti d'opposition, avait déclenché des séries de manifestations étudiantes un peu partout en Thaïlande, avant que les autorités ne décrètent l’état d’urgence au nom de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 et interdisent les rassemblements.
L’Etat d’urgence est toujours en place malgré le bilan très rassurant de la Thaïlande qui n’a enregistré que 3.269 cas d’infections et 58 en six mois et aucune infection locale depuis sept semaines.
Certains dans l’opposition ont d’ailleurs critiqué le maintien du décret d’urgence, dénonçant une décision sans fondement destinée à conserver des pouvoirs extraordinaires pour contenir la grogne populaire plus que le Covid-19 qui a virtuellement disparu du territoire.
Le zèle du gouvernement Chan-O-Cha pour imposer des mesures dites d’urgence sanitaire au détriment de l’activité économique et sociale dans un pays exempt de la maladie contribue aussi beaucoup à irriter une partie de la population.
Et les choses se sont accélérées ces derniers jours lorsque plusieurs ministres liés à l’économie ont démissionné, ajoutant à l’incertitude quant à l’avenir du royaume et celui de milliers de PME et autres petits commerçants sur la sellette en raison des restrictions imposées au nom de la lutte contre le Covid-19.