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Khun Nontawat, "Le droit de la consommation est perfectible"

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courtoisie Nontawat Nawatrakulpisut - Spécialiste du droit de la consommation, Nontawat Nawatrakulpisut est maître de conférence à l'université Thammasat
Écrit par Ghislain Poissonnier 
Publié le 15 décembre 2011, mis à jour le 14 mars 2019

En 2008, une loi sur la procédure relative aux contentieux de la consommation a été adoptée en Thaïlande. Elle avait pour objectif de créer une procédure spéciale devant les tribunaux civils pour les affaires de consommation. Le maître de conférence Nontawat Nawatrakulpisut, spécialiste du droit de la consommation, explique le détail de cette loi et en dresse un bilan en demi-teinte

 

Pourquoi une loi sur le contentieux de la consommation a-t-elle été adoptée en 2008 en Thaïlande ?

Le constat a été dressé par les pouvoirs publics que l'inégalité entre les consommateurs et les professionnels au stade de la formation et de l'exécution des contrats de consommation se poursuivait en cas de litige devant les juridictions civiles thaïlandaises. Depuis 1979, date du premier texte de droit de la consommation dans le royaume (Consumer Protection Act), la loi garantit de plus en plus de droits au consommateur (droit à une information exacte et suffisante, au libre choix des produits, à la loyauté dans le contrat, à la suppression des clauses abusives, à la sécurité des produits, à un dédommagement en cas de préjudice etc.) mais ceux-ci restent souvent lettre morte, faute d'être garantis devant les tribunaux. Les facteurs dissuadant les consommateurs d'exercer une action en justice sont connus : sommes en jeu modiques, méconnaissance de la part des consommateurs de leurs droits et crainte à saisir le système judiciaire. La loi sur la procédure relative aux contentieux de la consommation (Consumer Case Procedure Act), entrée en vigueur le 23 août 2008, a cherché à corriger cette situation, en permettant au consommateur de saisir plus facilement les juridictions civiles. La loi prévoit une série de mesures procédurales favorables aux consommateurs et ce à toutes les étapes du procès civil.

Quelles sont les mesures procédurales favorables aux consommateurs prévues par la loi de 2008 ?

Tout d'abord, la loi vise à élargir les possibilités de saisine des tribunaux. Les consommateurs bénéficient ainsi d'une exonération totale des frais de justice et peuvent saisir eux-mêmes les tribunaux, sans être obligés d'engager un avocat. La Commission nationale pour la protection des consommateurs (créée en 1979) a le droit de saisir les tribunaux à la place des consommateurs si le litige porte sur une question d'intérêt général. Les associations agréées de consommateurs (il y en a 4 à ce jour dans le royaume) disposent aussi du droit de saisir les tribunaux en lieu et place des consommateurs. Ensuite, la loi cherche à permettre au tribunal d'agir vite. Le nombre de renvois possibles de l'affaire est limité et le procès doit se dérouler dans des délais brefs (de 4 à 6 mois maximum en pratique). Et, pour éviter les débats interminables entre avocats, le tribunal est autorisé à nommer un "administrateur du contentieux", qui est un fonctionnaire qualifié, payé par le ministère de la Justice. Cet administrateur est chargé de rassembler les documents nécessaires, d'établir les faits concernés et d'analyser ceux-ci, avant de rendre un rapport au tribunal sur lequel ce dernier s'appuiera pour rendre sa décision. Enfin, la loi s'efforce de mieux garantir les droits des consommateurs dans le rendu des décisions : le tribunal est autorisé à rendre une condamnation pécuniaire qui va au-delà de la demande du consommateur ; il peut mettre en réserve le jugement afin de pouvoir modifier le montant des dommages et intérêts attribués si ceux-ci ne peuvent pas être fixés d'une manière définitive ; le jugement rendu dans un procès peut également s'appliquer dans un autre litige si les faits sont identiques et concernent le même professionnel, sans qu'une nouvelle procédure soit nécessaire.

Quel bilan peut-on tirer de l'application de cette loi ?

Le bilan est mitigé, car le nombre de saisines de la justice par les consommateurs a très peu augmenté. Cela tient à l'imperfection de la loi. L'erreur a été faite de conférer cette souplesse procédurale à tous les litiges opposant les consommateurs aux professionnels, au lieu de la limiter aux cas où le consommateur se trouve à l'initiative de la procédure devant le tribunal. Résultat : les professionnels ont profité de cette souplesse pour multiplier les procédures (en paiement notamment) contre les consommateurs. La loi s'est finalement retournée contre ces derniers. Par ailleurs, pour que la Commission nationale pour la protection des consommateurs ou les associations de consommateurs puissent agir en justice, la loi prévoit qu'elles doivent obtenir au préalable des mandats des consommateurs victimes. Or, en pratique, les mandats ont été difficiles à obtenir et le nombre d'actions en justice par ces organismes est donc resté très limité. Mais le bilan mitigé tient aussi à une certaine inertie du ministère de la Justice : les juges, pas toujours spécialistes du droit de la consommation, ne connaissent pas nécessairement les obligations que la loi leur impose et continuent parfois d'appliquer aux litiges de consommation les règles classiques du procès civil. Par ailleurs, tous les tribunaux n'ont pas été dotés d'un administrateur du contentieux et ce dernier, lorsqu'il existe, ne semble pas forcément bien maitriser son domaine, sans oublier le fait que son rôle n'a pas été suffisamment organisé par les décrets de la loi. En outre, les associations de consommateurs agréées (par la Commission nationale pour la protection des consommateurs) restent peu nombreuses, peu organisées et pas assez aidées par l'Etat, notamment sur le plan financier, ce qui ne les incite pas à agir en justice. Il reste que la loi de 2008 a tout de même permis à certains consommateurs décidés à faire respecter leurs droits d'agir plus facilement en justice et d'obtenir des décisions favorables, notamment dans les domaines du crédit à la consommation, des cartes bancaires, des prêts immobiliers, de la vente et de la construction des maisons et des appartements, des communications téléphoniques ou encore des contrats de voyage.

Compte tenu de cet échec relatif de la loi de 2008, qu'envisagent les pouvoirs publics ?

L'idée reste la même : faciliter l'accès des consommateurs aux tribunaux. Toutefois, il s'agit maintenant de changer de dimension. Un projet de loi sur les actions de groupements de consommateurs a l'objet d'un examen au Conseil d'Etat de Thaïlande en 2010. Ce projet de loi a été renvoyé au Conseil des ministres puis transmis ensuite au Parlement. Il va être débattu prochainement à l'Assemblée nationale. Inspiré par le droit américain, le projet de loi vise à la création d'une "class action", une véritable action collective, pour permettre aux consommateurs d'obtenir gain de cause lorsque leurs droits n'ont pas été respectés. Au départ, il s'agissait d'un projet de loi visant à protéger les actionnaires individuels victimes d'abus. Mais le Conseil d'Etat a veillé à élargir ce projet à tous les consommateurs victimes de violations de la loi. Cette action collective implique de donner un pouvoir plus important aux avocats, qui seront autorisés à agir en justice au nom d'un groupement informel de consommateurs qui s'estime victime des agissements d'un professionnel. Pour l'instant, ce projet est en bonne voie et il semble plus prêt d'aboutir qu'en France, où malgré les promesses répétées de responsables politiques depuis 2005, le projet de  "class action" paraît repoussé sine die.

Propos recueillis par Ghislain Poissonnier (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) jeudi 15 décembre 2011

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