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Face à la révolte, l’establishment thaïlandais mobilise les royalistes

Mobilisation royaliste contre les manifestations pro-democratie en ThailandeMobilisation royaliste contre les manifestations pro-democratie en Thailande
REUTERS / Chalinee Thirasupa - Des contre-manifestants royalistes vêtus de jaune, la couleur de la monarchie, brandissent des photos du roi de Thaïlande lors d'un rassemblement à Bangkok, le 22 octobre 2020.

Mis au défi comme jamais depuis l’abolition de la monarchie absolue, l'establishment royaliste thaïlandais semble enclin à mobiliser une contre-attaque de la rue comme il l’a déjà fait par le passé.

Au fil des semaines, les manifestations anti-gouvernementales en Thaïlande débutées en juillet n’ont cessé d’intensifier leur rhétorique envers la monarchie. Pour autant, le palais est resté silencieux sur le sujet et la très sévère loi de lèse-majesté, habituellement invoquée pour punir toute forme de défiance à l’encontre de l’institution royale, n’a pas été invoquée.

Mais jeudi le roi Maha Vajiralongkorn a montré son soutien au Premier ministre et ancien chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha, puis samedi il a chaudement félicité un manifestant royaliste qui avait défié les manifestants pro-démocratie.

Cela a galvanisé les fidèles à la couronne thaïlandaise.

"Politiciens, chefs de file des ennemis du roi - êtes-vous prêts à fuir le Royaume de Thaïlande? Votre temps est presque écoulé", a menacé sur Facebook ce week-end Rienthong Nanna, chef d'une milice autoproclamée ultra-royaliste.

Les manifestations qui visaient d'abord Prayuth Chan-O-Cha ont pris un nouveau tour en août lorsque les protestataires ont ajouté à leurs revendications des appels à restreindre les pouvoirs récemment accrus de la monarchie. Dans les rangs royalistes certains prédisaient l’essoufflement de ce mouvement de contestation faute de soutien sur le volet de la monarchie, mais c’est l’inverse qui s’est produit. Et les mesures répressives prises à l’encontre des manifestants ces derniers jours n'ont fait qu’accélérer les choses.

Alors que Prayuth Chan-O-Cha demeure la cible principale de la contestation, le roi Maha Vajiralongkorn a honoré de sa présence, jeudi, la cérémonie de crémation du père du Premier ministre -décédé neuf mois plus tôt- et a lui-même allumé le bûcher.

Puis, dimanche, dans un moment très médiatisé, le monarque a exprimé ses encouragements à un homme qui avait défié les manifestants, lui disant: "Très courageux, très bien, merci."

Les Thaïlandais ont clairement saisi le message.

"Le roi n'a laissé aucun doute. Il est bel et bien dans ce combat et il soutient ses partisans royalistes-nationalistes contre le mouvement de la jeunesse pro-démocratie", estime James Buchanan, professeur au Mahidol University International College de Bangkok.

Nattabhorn Juengsanguansit, partenaire d'Asia Group Advisors, un cabinet de conseil en affaires, souligne que les actions du roi "sont le signal pour un establishment plus uni et plus aligné".

"Il y a une tension accrue et un risque d'affrontements. Si la situation devait s'aggraver, le gouvernement pourrait s’en servir comme prétexte pour utiliser la manière forte", dit-elle.

Le gouvernement affirme chercher à établir le dialogue avec les manifestants, mais certains de leurs principaux leaders sont détenus par la police.

"Il est désormais temps de se rassembler et de réfléchir à la manière de faire avancer les choses", a déclaré le porte-parole du gouvernement Anucha Burapachaisri.

Les manifestations ont jusqu'ici été largement pacifiques, même si certains incidents impliquant des actes de vandalisme sur des symboles de la monarchie ont eu lieu en province, des faits dont la presse locale est souvent réticente à rapporter les détails en raison de la sévère loi de lèse-majesté qui empêche qui que ce soit de relayer des paroles ou des actes insultant la royauté. 

Premiers affrontements

Mais les prémices de violence sont apparues à Bangkok la semaine dernière lorsque quelques dizaines de royalistes vêtus de jaune sont allés à la confrontation avec des étudiants de l'Université Ramkhamhaeng, criant victoire lorsque les étudiants ont préféré éviter le conflit et que l’un d’eux a été blessé.

Les Thaïlandais se souviennent des affrontements entre les royalistes et les partisans du clan Shinawatra entre 2008 et 2014 – troubles qui avaient donné le prétexte sécuritaire à l’ex chef de l’armée, Prayuth Chan-O-Cha, pour justifier sa prise du pouvoir en 2014.

"Si des manifestants ultra-royalistes violents s'affrontent avec les manifestants pacifistes et progressistes, il pourrait y avoir un coup d'État militaire approuvé par le palais", estime Paul Chambers de l'Université de Naresuan.

Certains dirigeants royalistes ont désavoué la violence. Pour eux, défendre la monarchie n'est pas politique parce que la monarchie est au-dessus de la politique.

Rienthong Nanna, cependant, considère l’échauffourée à l'université comme quelque chose de normal et a affirmé que ceux en faveur d’une action plus dure étaient de plus en plus nombreux.

"S'il y a d’autres cas de violation de la monarchie (...) les loyalistes ne resteront pas les bras croisés et n'hésiteront pas à intensifier la violence", a-t-il déclaré aux journalistes.

"Certains d'entre eux nous haïssent vraiment"

Les manifestants anti-gouvernementaux, qui insistent sur une approche non violente, sont inquiets.

"Certains d'entre eux nous haïssent vraiment”, estime Jutatip Sirikhan une des leaders de la contestation.

La police, qui est intervenue à l'université, assure qu'elle traitera tout le monde de façon équitable et arrêtera la violence.

En levant les mesures d'urgence la semaine dernière, Prayuth Chan-O-Cha a déclaré vouloir par là désamorcer la situation afin de laisser au Parlement le soin de résoudre la crise. Une session parlementaire spéciale doit débuter lundi, mais les manifestants n’ont pas confiance.

Les partisans de Prayuth Cha-O-Cha disposent d’une large majorité parlementaire, les 250 membres de la chambre haute ayant été nommés par la junte en amont des élections controversées de l'année dernière.

Les manifestants et les politiciens de l'opposition soupçonnent le pouvoir de chercher à gagner du temps.

"Nous avons du mal à croire que le général Prayuth cédera si facilement, surtout maintenant que le roi signale son plein soutien", a déclaré Termsak Chalermpalanupap, à l'Institut ISEAS-Yusof Ishak à Singapour.

Le nombre d'événements royalistes a augmenté, avec désormais des rassemblements quasi-quotidiens, alors qu’il y en a eu très peu le mois dernier.

Jusqu'ici, ceux de Bangkok ont  attiré au plus quelques centaines de personnes contre plusieurs dizaines de milliers dans les manifestations anti-gouvernementales.

Il semblerait que la mobilisation soit plus forte en province, même si parfois la foule est augmentée des employés de l'État ou d’entreprises qui envoient leurs employés dans des rassemblements sous couvert de cérémonies officielles ou religieuses.

De nombreux Thaïlandais sont inquiets de ce qui pourrait suivre.

Selon un sondage réalisé par l'Institut NIDA près de 60% des Thaïlandais interrogés disent craindre des violences entre groupes rivaux ou par l'intervention de tierces parties.
 

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