Le mouvement anti-gouvernemental en Thaïlande a enflé un peu partout à Bangkok et en province, samedi, en réaction à la répression policière sur la manifestation de vendredi, une "surréaction" malheureuse, selon plusieurs observateurs, qui n’a fait qu’empirer la situation pour le gouvernement Chan-O-Cha
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Bangkok et de plusieurs villes thaïlandaises, samedi, illustrant dans le monde réel la vague de mécontentement exprimée sur les réseaux sociaux vis-à-vis de la répression policière contre les manifestations visant le Premier ministre et la monarchie.
De nombreux manifestants ont dit avoir décidé de passer à l’action samedi en réaction au déploiement la veille de canons à eau -agrémentée d’agents irritants- pour disperser quelques milliers de manifestants emmenés par des jeunes thaïlandais, parmi lesquels se trouvaient de nombreux adolescents.
"Cela dépasse largement les limite. Nous voulons leur montrer notre pouvoir et que nous ne pouvons pas accepter cela", a déclaré Tang, un employé de bureau âgé de 27 ans qui manifestait avec plusieurs milliers de personnes rassemblées à la station de métro de Lad Phrao à Bangkok.
Pour empêcher les manifestants de se regrouper dans le centre-ville, les autorités avaient fermé le réseau de transports en commun de Bangkok -métros aérien et souterrain. Mais cette tactique s’est retournée contre elles, créant plus d’une demi-douzaine de sites de manifestation aux quatre coins de la capitale, les trois principaux étant Lad Phrao dans la partie nord de la ville -8.000 personnes estimées par la police-, Wong Wian Yai dans le sud-ouest -8.000 personnes estimées par la police- et Udom Suk dans le sud-est -6.000 personnes. Des manifestations ont également eu lieu dans au moins 17 provinces selon le Chiang Rai Times qui cite le collectif de militants étudiants United Front of Thammasat and Demonstration.
La police n'est pas intervenue et les manifestations se sont dispersées après quelques heures.
"Nous allons essentiellement négocier", a déclaré le porte-parole de la police Yingyos Thepjamnong lors d'une conférence de presse. "L'application de la loi se fera étape par étape, en utilisant des méthodes conformes aux normes internationales."
Vagues de contestation dans la rue et sur Twitter
Les manifestants demandent la destitution du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, ancien chef de l’armée et leader du coup d’Etat de 2014. Un coup d’Etat qui a débouché sur une Constitution rédigée sous le régime militaire -que les manifestants considèrent comme anti-démocratique-, et sur un accroissement des pouvoirs du roi Vajiralongkorn -que de nombreux Thaïlandais regrettent de ne pas voir assez, le souverain ayant établi sa résidence principale en Allemagne. Les manifestants ont d’ailleurs inclus également dans leurs revendications des demandes de reformes concernant la monarchie.
A cet égard, certains observateurs royalistes annonçaient en septembre un essoufflement rapide du mouvement si ce dernier persistait à impliquer la monarchie, pensant que peu de gens les suivraient dans cette direction, mais la mobilisation massive dans les rues mais aussi sur les réseaux sociaux semble démontrer le contraire.
En début d’après-midi samedi, les mots-dièse #ระยุทธ์ออกไป (Prayuth dehors) et #ม็อบ17ตุลา (Manif17Oct) figuraient en 2e et 3e position au niveau mondial des tendances Twitter avec 353.987 et 177.7981 tweets respectivement sur une seule tranche horaire (14h-15h heure locale).
Les critiques en public envers la monarchie, chose extrêmement rare avant l’émergence de ce mouvement, deviennent de plus en plus fréquentes malgré l’existence de la très sévère loi de lèse-majesté qui prévoit jusqu’à 15 ans de prison pour toute insulte envers la monarchie. Mais en juin, Prayuth Chan-O-Cha avait indiqué que le roi Vajiralongkorn avait demandé à ce que la loi ne soit pas utilisée pour l’instant.
Du Covid-19 aux manifestations
Jeudi, le gouvernement a interdit tous les rassemblements politiques de cinq personnes ou plus. La police a arrêté la semaine dernière plus de 50 personnes - dont plusieurs leaders de la contestation.
Dans un éditorial appelant à la démission de Prayuth Chan-O-Cha, le journal Khaosod English revient sur la légitimé du décret d’urgence, imposé initialement en mars pour combattre l’épidémie de Covid-19 et prolongé depuis malgré l’absence de foyers d’infections locaux. Le journal en langue anglaise rappelle notamment que les autorités avaient donné leur assurance en juillet que le décret, imposé pour des raisons sanitaires et qui donne des pouvoirs étendus au Premier ministre, ne serait pas utilisé pour interdire les manifestations politiques. Mais jeudi, usant comme prétexte l’incident du convoi royal aux origines toujours inexpliquées, le Premier ministre a invoqué le décret pour interdire les manifestations ainsi que la diffusion de certains types d’informations sur ces événements.
Le porte-parole du gouvernement, Anucha Burapachaisri, a déclaré à Reuters: "Il n'y a de victoire ou de défaite pour aucune des parties. Tout cela n’est que pure perte pour le pays".
Le palais royal n'a fait aucun commentaire sur les manifestations, mais le roi a déclaré que la Thaïlande avait besoin de personnes qui aiment le pays et la monarchie.
Les manifestants affirment que Prayuth Chan-O-Cha et sa junte militaire ont, au fil des années qui ont suivi le coup d’Etat de 2014, soigneusement préparé le terrain électoral en amont du scrutin de l'année dernière de manière à maintenir l’ancien chef de l’armée à la tête du royaume sous couvert d’un vernis démocratique. Les élections de 2019 ont été marquées par plusieurs controverses, mais Prayuth Chan-O-Cha considère néanmoins qu’elles ont été justes.
Les manifestants veulent donc aujourd'hui la démission de ce dernier qu’ils considèrent toujours comme un dictateur et demandent également une nouvelle Constitution, pour remplacer celle rédigée sous le régime militaire.
Les manifestants à Lad Phrao ont scandé "Prayuth dehors" ainsi que d’autres slogans plus grossiers.
"Je condamne ceux qui ont réprimé les manifestants et ceux qui en ont donné l’ordre. Vous avez tous du sang sur les mains", a déclaré Tattep Ruangprapaikitseree, un leader de la manifestation, après avoir été libéré sous caution après son arrestation vendredi.
Télétravail
Une libération sous caution a également été accordée à l'un des deux manifestants accusés d'avoir tenté s’en prendre à la reine lors du passage de son cortège mercredi. De telles accusations sont rarissimes d’autant qu’il est extrêmement difficile d’approcher les personnalités royales en raison du dispositif de sécurité très strict, mais ce jour-là le convoi de la reine a semble-t-il été, de façon encore inexpliquée, détourné de son parcours pour passer par la rue non sécurisée où se trouvait le site de manifestation devant la Maison du gouvernement, prenant les manifestants par surprise. Les accusations pourraient valoir aux deux militants la prison à perpétuité.
Le roi et la reine passent le plus clair de leur temps en Europe et font généralement des allers-retours très brefs en Thaïlande pour assister à des événements officiels. Venus ce mois-ci pour l’anniversaire de la mort du roi Bhumibol Adulyadej, le père de Vajiralongkorn, commémoré le 13 octobre, le séjour actuel du couple royal dans le royaume est le plus long jamais effectué cette année.
Le roi Vajiralongkorn réside principalement en Bavière et le parlement allemand a d’ailleurs débattu ce mois-ci sur la légitimé de laisser un chef d’Etat diriger les affaires de son pays depuis l’Allemagne, surtout à un moment de fortes tension politiques dans son pays. "Nous avons été très clairs sur le fait que les affaires politiques concernant la Thaïlande ne devaient pas être menées depuis le sol allemand", avait alors déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, au Bundestag.
Un diplomate allemand a récemment indiqué à Reuters que le gouvernement surveillait de près les développements politiques en Thaïlande.
"De nouveaux affrontements violents doivent être évités. Une expression pacifique doit être possible", a déclaré le diplomate.
Les groupes de défense des droits de l'homme ont condamné les nombreuses d'arrestations et le recours à la force contre des manifestants pacifiques.
"Les gouvernements concernés et les Nations Unies devraient s'exprimer publiquement pour exiger la fin immédiate de la répression politique de l'administration Prayuth", a déclaré Brad Adams, directeur Asie de Human Rights Watch.