Près de deux ans après le début de la pandémie, la situation de certains entrepreneurs français en Thaïlande ne fait qu’empirer, en particulier pour les acteurs en lien avec le tourisme.
L’association Français du Monde-adfe Thaïlande a réalisé fin 2021 une enquête sur la situation des entrepreneurs et indépendants français en Thaïlande après presque deux ans de pandémie.
Sur 87 participants, 90% ont été affectés par la crise économique liée aux mesures prises par les autorités thaïlandaises pour lutter contre la propagation du coronavirus. Il s’agit majoritairement de TPE- PME (moins de 10 salariés), en grande difficulté dont la plupart sont à l’arrêt et sans revenus, car elles ont souvent épuisé leur épargne. Le secteur du tourisme, principalement implanté dans des sites touristiques tels que Phuket, Pattaya, Chiang Mai et Bangkok, ainsi que le marketing, l’artisanat, la restauration, sont les plus touchés.
“En 2020, beaucoup de Français étaient déjà dans une situation difficile puisqu’ils avaient déjà dû puiser dans leurs réserves financières”, commente Jean-Michel Ferry, secrétaire de Français du Monde en Thaïlande. “Un an plus tard, certains ne peuvent même plus payer leur loyer ou leur visa et leur permis de travail et les prévisions ne sont pas réjouissantes, je m’attends à ce que la situation empire dans les prochains mois”, ajoute-t-il.
Les vagues successives de l’épidémie dans le royaume mettent en péril l’existence de nombreuses entreprises, artisans, restaurateurs, hôteliers, commerçants et la réouverture du pays, une nouvelle fois compromise, jette un voile sombre sur l’année à venir.
L’attente interminable du retour des touristes
Franck Fogarollo, directeur de Smiling Sea Horse, une compagnie installée à Ranong qui organise des croisières de plongée depuis 10 ans, avait réussi à remplir son carnet de réservations pour les mois de janvier et février. “La réouverture de la Thaïlande le 1er novembre a été une très bonne nouvelle. Malheureusement la suspension du programme ‘Test and Go’ qui permet aux voyageurs de venir sans quarantaine, pousse de nombreux touristes à annuler leur voyage”, explique le passionné de plongée. Une situation que les nouvelles mesures sanitaires poussées par le ministre thailandais de la Santé, Anutin Charnvirakul, ne vont pas arranger.
Pour rassurer les clients, Smiling Sea Horse propose des réductions sur les sorties en mer, mais garantit également un remboursement à 100% des réservations en cas d’annulation. “Nous sommes en train de rembourser ces personnes, car les croisières s’annulent au fil des jours. Il faut vraiment que la Thaïlande rouvre sinon, nous allons encore avoir une année avec de grosses pertes. Depuis deux ans, j’ai l’impression de travailler gratuitement, mais je ne suis pas encore prêt à abandonner”, ajoute le Français.
Après deux années difficiles, les remboursements des clients qui ne peuvent venir en Thaïlande viennent alourdir l’ardoise de Jean-Pierre Vandevelde à la tête de l’agence de voyages Travel and Cruise à Phuket. “Je suis actuellement en France afin de renouveler mon visa, mais aussi pour trouver des fonds afin de tenir une année supplémentaire. De plus en plus de clients, qui avaient attendu ou reporté leur séjour, nous réclament un remboursement. En plus de cela, je viens d’avoir une mauvaise surprise. Au début du Covid en 2020, la banque ne m’a pas réclamé les intérêts sur le crédit de ma maison, une aide à l’époque sauf qu’aujourd’hui la banque me réclame une somme de 100.000 bahts d’arriérés! Au total, il faudrait que je trouve 500.000 bahts, mais c’est difficile et j’ai épuisé toutes mes économies”, explique Jean-Pierre, résidant en Thaïlande depuis 1993.
Sentiment d’abandon
D’autres entrepreneurs ont également eu de mauvaises surprises avec des aides à rembourser plusieurs mois plus tard. “Nous avions eu une réduction de 50% sur les charges sociales de nos employés au début du Covid en 2020, sauf qu’au moment de renouveler les visas, il a fallu ajouter la somme manquante. En tant qu’étranger, les cotisations sociales doivent être payées à 100% aux gouvernements thaïlandais”, détaille Franck Fogarello.
De son côté, Jean-Pierre pointe les cotisations sociales de ses employés, même s’ils sont mis à l’arrêt, comme des frais récurrents alors qu’il n’enregistre aucun revenus depuis des mois. Cotisations sociales, permis de travail, visa, assurances, licences pour garder son activité en marche s’ajoutent chaque mois aux charges mensuelles d’un loyer, du budget alimentaire et des frais scolaires pour ceux qui ont des enfants. Certains en sont à vendre leur scooter et autres affaires personnelles.
Pour tenir le coup, ils sont plusieurs à bénéficier du Secours Occasionnel de Solidarité (SOS), un dispositif d’aides sociales qui permet aux Français résidant en Thaïlande de pouvoir percevoir, selon certaines conditions, un versement mensuel de 126.61€ pour le foyer et 84.41€ par enfant à charge. Mises en place depuis 2020, ces aides ont été reconduites en 2021 et le sont de nouveau jusqu’au mois de juin 2022.
En parallèle, Français du Monde-adfe Thaïlande a fait deux demandes d’aide OLES (organisme local d’entraide et solidarité) pour les entrepreneurs. Entre décembre 2020 et septembre 2021, ils ont ainsi reçu 88 demandes et accordé 49 aides, pour un montant total de 1.360.000 THB.
Ces montants ont permis de régler quelques dépenses urgentes, comme des loyers en retard, la fourniture de services, des frais scolaires, etc. Elles ont eu aussi un effet psychologique important, les personnes aidées se sentant accompagnées et écoutées par l’association, ses soutiens et l’Ambassade, même si pour certains cela reste encore faible, surtout en comparaison des aides accordées aux entrepreneurs en France.
Le voyagiste Jean-Pierre déplore un double discours : “quand tout va bien, nous sommes la fierté de la France à l’étranger, par contre dès que cela va mal, nous sommes oubliés”.
De son côté, un artisan installé à Chiang Mai depuis 40 ans dit avoir surtout été abandonné par ses clients en France : “Je travaillais avec certaines compagnies depuis 35 ans et là, depuis deux ans, je n’ai eu aucune commande!". Après avoir perdu l’ensemble de ces économies, à savoir 5 millions de bahts, l’artisan survit grâce aux aides SOS. Il a été contraint de démonter la charpente de ses locaux pour vendre le fer au poids. “Je m’apprête à revendre ma maison et à déménager en Isan, ma belle-mère y a une maison où nous pourrions rester avec ma femme et mes deux enfants”, commente le septuagénaire.
Continuer à se battre
Avec son activité de location de quad à Koh Samui, Nicolas Orillac pensait que la reprise avait sonné avec l’ouverture du pays le 1er novembre, avant de se prendre une nouvelle claque : “cela montre que nous sommes totalement dépendant du tourisme et en même temps, l’activité repart dès que les frontières ouvrent ! Je suis en Thaïlande depuis 21 ans, je ne vais pas repartir même si c’est difficile d’évaluer combien de temps je vais encore pouvoir tenir, les réserves financières sont épuisées, je continue à chercher des solutions pour économiser l’argent, pour trouver du boulot ailleurs”.
Dans les prochains mois, l’artisan de Chiang Mai prévoit de se lancer à son compte et de vendre ses créations sur Internet. “La difficulté pour moi est que je ne connais pas grand-chose au web et au marketing en ligne. FDM prévoit de lancer une plateforme d’entraide, je pense que c’est une bonne idée”.
À travers son enquête, FDM a en effet interrogé les sondés sur l’intérêt de lancer une plateforme numérique solidaire qui permettrait de disposer d’un outil de communication numérique pour échanger, demander et obtenir des renseignements, réaliser la promotion des activités, particulièrement en période de crise, les entrepreneurs insistant aussi sur le fait que des partenariats pourraient ainsi être rendus possibles entre PME et entreprises plus importantes, pour un bénéfice mutuel.
Si l’initiative vient de l’association FDM, l’ambassade de France et la Chambre de commerce franco-thaï sont également impliquées dans sa création. “Beaucoup de PME et d’indépendants sont très isolés. Dès lors, la plateforme pourrait leur permettre de faire du réseautage, trouver des partenariats ou des mentors, on sent vraiment qu’il y a une demande. Les entrepreneurs continuent de chercher des moyens pour survivre, ils sont souvent très isolés, la plateforme peut être un lien entre eux”, conclut Jean-Michel Ferry.