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Droits LGBTQ+ en Grèce : lente évolution d’un tabou

Une personne avec LGBTQIA+ dessiné sur ses doigts Une personne avec LGBTQIA+ dessiné sur ses doigts
Sharon Mc Cutcheon
Écrit par Hélène Decaestecker
Publié le 2 juin 2021, mis à jour le 23 décembre 2024

Comment (sur)vivre dans une société où il faut sans cesse cacher qui l’on est ? En Grèce, les langues mettent souvent du temps à se délier pour faire émerger et évoluer certaines problématiques sociales. Si les droits des personnes LGBTQ+ progressent, la route est encore longue.

 

communauté LGBTQ en Grèce
Crédit photo : Yannis Papanastasopoulos

 

Être homosexuel en Grèce

J’ai attendu 32 ans pour avoir ma première relation sexuelle avec un homme. A 28 ans, j‘ai décidé d’arrêter de vivre dans le mensonge. J’étais avec une fille à l’époque, parce que je voulais être “normal”. J’ai grandi avec l’idée qu’être gay était mal et je pensais être un monstre”, témoigne Giannis. Installé à Gazi après avoir quitté son île pour commencer à vivre en accord avec lui-même, il revient sur son parcours, en tant qu’homme homosexuel en Grèce. “J’ai l’impression d’avoir perdu une partie de ma vie mais je ne regrette pas, parce que j’en connais beaucoup qui, à 60 ans, n’ont toujours pas sauté le pas.

Si les frontières grecques s’ouvrent volontiers pour faire découvrir au monde les richesses dont elles regorgent, les idées et mouvements sociaux eux, peinent parfois à y trouver une brèche. Le dernier exemple en date : l’émergence du mouvement MeToo dans le pays, bien après certains voisins européens. Mieux vaut tard que jamais, mais cette lenteur engendre des souffrances qui marquent pour toujours ceux qui les vivent. La communauté LGBTQ+, quant à elle, attend encore des changements. Si le pacte d’union a, par exemple, été reconnu en 2015 pour deux personnes de même sexe, ces derniers ne sont pas autorisés à se marier ou à adopter.

Cependant, en dépit de ces avancées législatives, il reste que les attaques envers la communauté LGBTQ+ sont encore bien réelles. “C’est surtout aux mentalités que tu dois faire face ici”, déplore Giannis. “Parfois il vaut mieux être criminel qu’homosexuel pour qu’on se soucie de tes droits !” 

 

Par quoi passe le changement ?

La religion est le facteur principal qui explique ces discriminations”, explique Giannis. Les disparités entre l’est et l’ouest de l'Europe sont importantes en termes de reconnaissance des droits de la communauté LGBTQ+. La Grèce, pont culturel et religieux entre ces deux blocs, oscille.

Seule institution grecque reconnue par les autorités ottomanes du 15 au 19e siècle, l’Eglise Orthodoxe grecque a assuré une certaine permanence de l’identité grecque au travers les âges. Politique et religion s’entremêlent et entretiennent des rapports ambivalents. Si les tensions entre empereurs et religieux existent depuis l'époque de l'Antiquité byzantine, le débat de la séparation de l'Eglise et de l'État s’intensifie depuis ces dernières décennies.

 

Grèce et communauté LGBTQ
Crédit photo : Ministère de la Culture Grèce

 

Membre d’une association militante par le passé, Giannis a aujourd’hui changé sa manière de défendre sa cause. "Je ne pense pas que les manifestations dans la rue soient la meilleure manière de lutter. Il ne faut pas être toujours dans le conflit, il y a d’autres voies. Tu peux parler, écrire, expliquer comment tu vis”. Aujourd’hui Giannis aide des jeunes à grandir en accord avec ce qu’ils sont. “Je ne veux pas qu’ils perdent autant que ce que j’ai perdu”, explique-t-il.

 

Un pas en avant...

La commission européenne a présenté, en novembre dernier, pour la première fois, une stratégie en faveur de l’égalité des personnes LGBTQ+, alors que 43% des personnes interrogées ont déclaré faire l'objet de discrimination. Des mesures législatives, juridiques et de financements vont être prises, qui devront être appliquées dans chaque pays membre. Kyriakos Mitsotakis, premier ministre Grec, s’est exprimé récemment sur la rédaction en cours d’une stratégie nationale, affirmant que “la communauté LGBTQ+ devaient avoir une position égale dans la vie économique, politique et sociale de la Grèce”. Un comité devrait ainsi voir le jour, que l’association militante Color Youth a déclaré suivre avec beaucoup d’intérêt.

Aussi, début janvier, Mitsotakis a nommé Nicholas Yatromanolakis au poste de vice-ministre de la Culture, ce qui en fait la première personne ouvertement LGBT+ à accéder au gouvernement.

Pour l’heure, la crise sanitaire a entrainé avec elle une augmentation des stigmatisations et un accroissement des inégalités envers les minorités, d'après le rapport de l’association Human right Watch pour 2021. “En temps de crise, les gens s’enflamment et sont moins compréhensifs. J’ai pu observer cela lors de la crise économique et aujourd’hui. Mais je suis optimiste, c’est une question de temps” affirme Giannis.

 

...Deux pas en arrière

Les droits LGBTQ+ sont loin d’être acquis en Europe et dans le monde. La dernière étude de la FRA (L'Agence des droits fondamentaux de l'UE), paru en 2019 révèle que depuis 2012, les progrès sont moindres, voire inexistants et que la situation s’est même aggravée dans certains pays européens. De son côté, le Vatican a réaffirmé le lundi 15 mars 2021 la doctrine de l’Église catholique qui rend impossible pour les couples de même sexe de recevoir le sacrement du mariage, considérant cette union comme un péché. Quelques mois plus tôt, le Pape déclarait que « les personnes homosexuelles ont le droit d’être en famille » et d’être « couvertes légalement ». Sans contredire la doctrine de l’Eglise sur le mariage, François a ouvert une brèche qui fait écho chez les catholiques les plus tolérants.

Enfin, selon le rapport de la FRA, le fait de débattre de ces questions en public et de rendre les personnes LGBTQ+ plus visibles dans la vie quotidienne, diminuerait les discriminations, violences et préjugés dont ils font l’objet. Si la Grèce continue de seulement chuchoter à ce sujet, tout le monde restera sourd.

 

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