Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Joël Soler de retour à Malaga après 50 jours dans les geôles turques

Joel Soler TurquieJoel Soler Turquie
Joël Soler au bord du Bosphore à Istanbul
Écrit par lepetitjournal.com Andalousie
Publié le 10 février 2021

Joel Soler est un réalisateur de films documentaires. Ses sujets de films liés au terrorisme et aux dictatures lui ont souvent valu quelques ennuis...mais le dernier est assez fort! Plus de 40 ans après, le réalisateur a vécu son "Midnight Express" et a connu les pires heures de sa vie. Il nous a bien gentiment raconté son aventure.

LePetitJournal.com: Parlez nous de votre parcours, cher Joel Soler, présentez vous en quelques mots

Joël Soler: Je suis réalisateur de films documentaires pour la plupart consacrés aux dictatures. Ma dernière réalisation, la série « Despot Housewives » sur les femmes de dictateurs, produite par France Télévision et Canal + a été diffusée en Espagne sur TVE2.

Joel Soler

Pourquoi ce déplacement en Turquie?

Je me suis rendu en Turquie le 20 septembre dernier dans le cadre de repérages pour ma prochaine série documentaire consacrée aux rois mages. Après avoir été pourchassé par Hérode les rois mages ont pris une autre route et sont, en effet, passés par l’Anatolie. 

C’est au moment de votre retour vers l’Europe que les histoires ont commencé, racontez nous

J’avais acheté sur un marché une pierre sculptée pour 50€. Arrivé à l’aéroport, la douane a fait les vérifications pendant deux heures pour voir si ce n’était pas un bien culturel à protéger. Ils ont envoyé des photos au musée d’art Islamique puis m’ont donné l’autorisation de quitter le territoire, me certifiant que tout était en règle. Mais j’ai du réserver un autre vol pour rentrer en Europe, le mien ayant décollé!

C’est là que les choses se compliquent?

Oui, 4 heures plus tard ces mêmes policiers sont venus me chercher dans l’avion alors que nous étions prêt à décoller! Ils m’ont ramené au poste de police me montrant les photos de certains films que j’avais réalisé et tous consacrés aux dictatures. J’ai été questionné sur la raison de mon passage en Turquie. Il est évident que pour eux je préparais un film sur la dictature du président Erdogan. Ils n’ont absolument pas cru à mon histoire de rois mages !

Ils ont donc imaginé que vous veniez monter une cabale contre le président Erdogan! Et là tout s’accélère!

J’ai du comparaître devant un juge le lendemain de mon arrestation et sans pouvoir m’expliquer quoi que ce soit, ils m’ont signifié mon incarcération. J’ai été transféré à la prison de haute sécurité Maltepe à Istanbul. 

Une prison de haute sécurité? Un cauchemar, j’imagine?

Nous étions 60 prisonniers dans un espace exigu avec quelques petites fenêtres et une douche d’où débordait 20cm d’excréments. Nous avons tous attrapé des maladies de peau puis la Covid! J’ai cru mourir ! Sans compter les bagarres quotidiennes, la lutte pour accéder à une ration de nourriture et les tortures des gardes qui exfiltraient régulièrement des prisonniers pour, disons, les calmer! 

Combien de temps dans cet enfer?

Je suis resté incarcéré durant 50 jours! Pendant ces 50 jours je n’ai eu aucun contact, aucune intervention du Consulat français qui était au courant de ma situation. Dur pour un français d’être sans assistance, emprisonné à l’étranger. 

Les visites étaient certainement interdites et les relations entre ces deux pays ont du jouer en votre défaveur?

Certes les relations entre la France et la Turquie étaient au plus mal durant mon incarcération mais il me semble ahurissant que des protocoles ne soient pas mis en place tel qu’un contact systématique de l’avocat du détenu avec son accord, un échange en l’occurrence par fax ou par courrier car les visites étaient interdites en période Covid, un manuel de survie pour avoir les informations de base. C’est ce que les britanniques font.

Il y avait un détenu Britannique avec vous?

Oui, et j’ai vu comment le Consulat anglais a pu aider un codétenu britannique. J’ai été meurtri de voir que personne ne m’aidait. Nous avons longuement échangé sur ce point après ma sortie avec le Consul de France à Istanbul.

Vous êtes donc sorti, mais tout ne s’est pas terminé pour autant? Que s’est il passé ensuite?

J’ai été libéré sous caution le 19 novembre 2020 avec interdiction de quitter le territoire Turc en attente de mon procès le 28 janvier dernier. Mon avocat a pu démontrer que cette pierre n’était pas un « bien historique à protéger» et n’était pas une pierre byzantine comme l’indique l’acte d’accusation du procureur pour justifier mon incarcération immédiate. Il a en effet été prouvé que cette pierre est arménienne, sa provenance étant inconnue ! Le génocide arménien en Turquie a non seulement décimé les populations mais leurs monuments avec ! Les rares associations arméniennes en Turquie se désolent régulièrement de voir à quel point le gouvernement Turc ignore complètement les vestiges de ce patrimoine qu’ils continuent à détruire. Le tribunal a donc décidé de me rembourser l’amende de 5000€ qui m’avait été infligée lors de ma sortie en liberté conditionnelle. J’ai pu regagner la France le 29 janvier dernier puis Malaga le 31 janvier.

Pensez vous avoir été victime de violations des droits de l’homme ?

C’est en tout cas ce qu’a dénoncé mon avocat lors du procès. J’ai été placé sous le statut de trafiquant de drogue, ce qui implique incarcération immédiate, alors que nulle part ailleurs dans l’acte d’accusation le mot drogue n’apparait. Cet acte n’a pas été signé par un avocat ce qui est illégal en Turquie et celui-ci a été volontairement faussé pour ne pas faire apparaitre qu’ils m’avaient d’abord interrogé et donné l’autorisation de quitter le territoire avec cette pierre. Sans compter les traitements inhumains que j’ai subi en prison. J’ai d’ailleurs sollicité l’Ambassadeur de France en Turquie en énumérant tous les vices de procédures et violations des droits de l’homme dont j’ai fait l’objet.

 Difficile pour autant de prouver que vous avez été arrêté à cause de vos films ?

Il suffit simplement de consulter les transcriptions du greffier au Tribunal d’Istanbul pour constater que le juge lui même m’a demandé de m’expliquer en détail sur le déroulement du film que je préparais en Turquie. Est ce qu’on demande à un dentiste d’expliquer comment on soigne une carie quand on est arrêté soit disant pour une pierre ?

Je suis victime d’un procès politique dans lequel un caillou sans valeur historique pour la Turquie a été instrumentalisée pour m’humilier et me dissuader de tourner un film sur le régime Turc.

Vous êtes de retour dans cette belle région, comment vous sentez vous après cette histoire qui a du vous marquer?

Je me réveille encore pendant la nuit en me demandant comment vais-je sortir de prison. De part mon métier j’avais déjà connu des situations très difficiles en Iraq, en Syrie et au Yémen. Lors de la sortie sur HBO du film sur Saddam Hussein que j’avais réalisé, j’avais reçu des menaces de mort aux Etats-Unis, ce qui m’avait valu une protection du FBI. J’ai décidé d’arrêter de faire des films à risques, et je pensais que ces Rois d’Orient m’assureraient une tranquillité !

 

Évoquons un peu de positif, parlez nous de vos projets

Je continue bien évidemment ma série documentaire sur l’histoire des rois mages. Je suis actuellement en développement avec une société de production française pour l’écriture des épisodes. En parallèle je constitue une collection privée d’oeuvres d’arts et d’objets liés aux rois mages. J’ai aujourd’hui plus de 1500 références. Je voudrais monter une grande exposition internationale ou ouvrir un lieu à Malaga qui présenterait ma collection et toutes les images que je suis en train de tourner sur l’histoire de ces rois d’orient. Suivre la route de ces mages, s’intéresser aux racines de leur postérité, c’est aller à la rencontre du Zoroastrisme, du Judaïsme, de l’Hindouisme, du Catholicisme et de l’Islam.

Joel Soler Malaga
Avec Meg Ryan 

Mon approche est historique, artistique et culturelle tout en décryptant l’héritage symbolique de ces sages d’Orient et dédiée au dialogue des peuples et des cultures mais également au respect des religions. Tout le contraire de ce que j’ai pu voir en Turquie où il y a aujourd’hui un véritable génocide culturel contre l’héritage Chrétien du pays et où les religions minoritaires sont discriminées.

Merci, Joel Soler, de nous avoir raconté cette histoire. Un mot encore, qu’appréciez-vous le plus dans notre région ou vous séjournez depuis plusieurs années maintenant?

JS: L’Andalousie fait partie de mes racines et je réside dans la région de Malaga depuis 4 ans maintenant. C’est pour moi la meilleure qualité de vie ! Le soleil, les chiringuitos, la proximité avec la Sierra Nevada, le patrimoine incroyable des villes andalouses, la facilité de voyager grâce à l’aéroport de Malaga. J’ai même adopté deux Andalous ! Azahar et Alfonso, deux labradors nés dans les montagnes d’Ojen !

Merci bien, Joël Soler, d’avoir raconté aux lecteurs de LePetitJournal.com à travers le monde cette histoire incroyable. On vous écoute, dans cette vidéo, présenter la série dont vous êtes l’auteur et qui vous a rendu si célèbre!

 

 

 

 

 

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions