À l’occasion de l’exposition de l’artiste belge résident à Paris, Farah Atassi, nous nous sommes entretenus avec Marjolaine Lévy, historienne de l’art et la commissaire de l’exposition ‘’Genius Loci’’ présentée au musée Picasso de Malaga jusqu’au 14 décembre 2025.


LePetitJournal : Bonjour Marjolaine, vous suivez Farah Atassi depuis plusieurs années, dites-nous ce qui vous fascine dans son travail ?
Marjolaine Lévy : J’ai découvert son travail en 2010 et il m’a toujours fasciné. Je me suis toujours dit qu’il était extrêmement différent et singulier de ce qu’on voit dans la peinture contemporaine à la fois par la maîtrise des grands formats, je trouve qu’il y a là quelque chose de très fort, comme par la complexité chromatique, l’usage de la référence à l’art moderne, qui est très particulier, qu’elle métamorphose, qu’elle transforme, qu’elle transcende, comme son rapport à la construction de l’espace qui est assez particulier aussi, vraiment à la manière d’une scénographe. Dans tous ses tableaux, depuis 2008, Farah Atassi représente des intérêts et des espaces clos, à la manière d’une architecte, et ce rapport entre figure et forme je trouve qu’elle le maîtrise d’une manière tout à fait géniale. C’est ce qui m’a interpellé dès le début. Et également je faisais ma thèse en fait sur le retour des avant-gardes dans l’art contemporain, que j’ai commencé en 2010, et quand j’ai découvert le travail de Farah, qui, dans des intérieurs de ruines moderniste, inspiré par des maisons collectives russes, elle plaçait un Malevitch ou un Donald Judd, j’avoue que ça m’a aussi beaucoup plu dans cette manière de s’approprier les références à l’art moderne.

Qu’est ce qui lui donne envie de peindre ? On voit qu’il y a des références à de grands artistes du monde moderne
Marjolaine Lévy : Je pense que c’est une artiste chercheuse, c’est à dire qu’elle passe beaucoup de temps à regarder l’art moderne, à regarder des livres appartenant donc à l’art moderne, Picasso, Matisse, Cezanne… et en fait elle est très très observatrice.
Elle m’a dit quelque chose de très beau, elle m’a dit, ce qui me donne envie de peindre, c’est le détail d’une œuvre de Picasso, c’est un motif de Matisse et j’ai envie de transcender ces formes et d’aller plus loin loin.
Je pense ce qui lui donne envie de peindre, c’est vraiment ces grands maîtres, mais d’une maniere totalement différente.
Comment retrouve t’on Picasso dans dans ses œuvres ? Entres autre artistes, car il y a Matisse aussi , et d’autres encore …
Marjolaine Lévy : Alors, on retrouve Picasso, de manière différente, dés le début dans le coté géométrique, de ses personnages, ses figures au toute début, entre 2012 et 2014, on voit que vraiment les personnages ce sont des formes géométriques. Il y a donc vraiment une inspiration cubiste, on ne sait pas si on est du côté de l’abstraction ou de la figuration , il y a ce trouble qui est très intéressant , il y a vraiment la géométrie Picassienne cubiste et puis, peu à peu, on a la courbe de Picasso qui apparaît notamment dans ses visages féminins, dans les baigneuses aussi évidemment, qui est un grand thème de Picasso, et que l’on retrouve, notamment dans cette série.

Il y a aussi une image de la femme dans ses œuvres, qui est très contemporaine
Marjolaine Lévy : Oui Effectivement, dans ses œuvres on trouve principalement des personnages féminins. C’est vrai que c’est un sujet important dans l’histoire de l’art , quand elle dit que c’est aussi une peinture qui parle de peinture c’est aussi, à travers le choix de ses personnages féminins, de ses figures au repos, de ses odalisques . C’est aussi un clin d’œil à cette histoire de la représentation de la femme dans l’histoire.
Est ce que vous diriez que Farah est une artiste contemporaine?
Oui, pour moi Farah Atassi est profondément contemporaine
C’est une artiste qui a ce génie de s’approprier des formes du passé en les transformant complètement et en faisant une peinture vraiment inscrite dans son temps, c’est à dire que quand on voit les œuvres de Farah on ne peut pas dire qu’on est en 1912, on est vraiment en 2025!

Et je trouve qu’elle est contemporaine et en même temps très à part dans le paysage contemporain car sa peinture ne ressemble à rien de ce que l’on voit aujourd’hui!
Quels artistes ont inspirés Farah ? On parlait de Picasso, Matisse, d’autres encore?
Marjolaine Lévy : Jean Brusselmans, c’est artiste belge né en 1884, très important. Elle a beaucoup observé aussi les artistes russes des années 20, Alexandre Rodtchenko, Lazar Lissitzky … mais aussi beaucoup Oskar Schlemmer du Bauhaus. Elle a une grande connaissance en fait de l’histoire de l’art, de la modernité. Mais elle est plus de ce côté là que de la peinture contemporaine je pense.
Sa peinture est bien contemporaine mais ses références sont profondément ancrées dans l’histoire.
Je suis très heureuse d’être la commissaire de cette exposition et de montrer l’œuvre de Farah sous cet angle précis de l’espace et de la construction de l’espace , car je pense que c’est central dans toute son œuvre depuis presque 20 ans.
Marjolaine Lévy, Commissaire de l’exposition Farah Atassi ‘’Genius Loci’’
Marjolaine Lévy est docteure en histoire de l'art contemporain à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), critique d’art et professeure d’histoire de l’art à l’EESAB (Rennes) et à l’Ensad (Paris) et commissaire d'exposition. Elle est l'auteure de nombreux ouvrages, notamment Les Modernologues (Mamco, Genève, 2017), 20 ans d'art en France (Flammarion, 2018). Elle a été commissaire des expositions « Le cauchemar de Greenberg » à la Fondation Ricard (Paris) en 2021, « Léon Wuidar » au Centre d'art Bonisson, et de la rétrospective « Fausta Squatriti » au Kunsthaus de Biel (2023). En 2024, elle est commissaire de l'exposition "La société des spectacles. Farah Atassi & Ulla von Brandenburg" à la Fondation Ricard, et a été lauréate du BMW Art Prize. En 2025, elle sera commissaire de l'exposition « Super Conceptual Pop » à la Fondation CAB (Bruxelles).
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