Pourquoi il faut aller voir l’exposition Alechinsky au Centre Pompidou !
A l’occasion de la première interview à la télévision d’Emmanuel Macron en tant que président de la République, près de 9 millions de téléspectateurs ont pu admirer “Lavande” l’une des plus importantes pièces de l’artiste Pierre Alechinsky. «J’ai attendu mes 90 ans pour devenir célèbre ! » a commenté ce jour là celui qui n’était jusque-là connu que du petit monde contemporain
Une belle revanche pour ce gaucher contrarié, que ses professeurs obligent à utiliser la main droite et qui lui demanderont d’utiliser l’autre pour les travaux de « moindre importance», comme le dessin, par exemple...
" Une plume, un papier, un peu d'encre, de l'eau . Ecrire, décrire.”
Né le 19 octobre 1927 à Bruxelles, Pierre Alechinsky étudie de 1944 à 1948 l’illustration et la typographie, à l’École Nationale Supérieure d’Architecture et des Arts Décoratifs La Cambre à Bruxelles. Il commence à peindre à partir de 1947, découvrant l’œuvre graphique, si libre du poète Henri Michaux ou du peintre Dubuffet et des surréalistes.
La grande aventure de Pierre Alechinsky, dès 1949, sera son implication dans le groupe CoBrA — acronyme des villes Copenhague, Bruxelles, Amsterdam qui le séduit par le mélange des genres -notamment écriture et peinture- prôné par les artistes de ce mouvement ainsi que par leur insistance à démontrer la nécessaire spontanéité de l'acte créateur. Il y côtoiera de grands noms tels que le poète calligraphe Christian Dotremont ou le peintre qu’il aime tant, Asger Jorn. Avec ce groupe, il participe à la première grande exposition au Stedjelijk Museum d’Amsterdam.
A la fin du mouvement CoBrA en 1951, il s’installe à Paris et se lie d'amitié avec Giacometti, Bram van Velde, Victor Brauner et correspond avec le calligraphe Shiryu Morita de Kyoto. Autre rencontre essentielle : celle du peintre chinois Wallace Ting, qui lui apprend la technique orientale du lavis et l'incite à se rendre au Japon en 1955 et à rencontrer les calligraphes.
"Poignet libre, corps penché "."Le pinceau en situation de rêverie"
A partir du milieu des années 60, Alechinsky renonce véritablement à la peinture à l'huile, pour ne plus travailler que sur papier : il peint à l'encre, à l'aquarelle et à l'acrylique (à partir de 1965), le "poignet libre", le "corps penché ". C'est de cette manière qu'il peut mettre "le pinceau en situation de rêverie", ainsi qu'il l'écrit dans l'un de ses nombreux textes puisqu'il se veut aussi "un peu écrivain". C'est de cette façon également qu'il peut, selon les mots d'Asger Jorn, "sortir l'image". Son trait est totalement libre mais il n'est jamais abstrait -d'où aussi l'importance qu'il donne aux titres qui sont des contrepoints résonnants.
Cette recherche de la vérité de la ligne va de pair avec une attention passionnée portée à son support . Ainsi fait-il souvent venir ses papiers de Chine, du Japon ou de Taïwan ou bien collecte-t-il, par liasses entières, des papiers anciens (lettres manuscrites, vieilles factures, cartes géographiques ...). Si Alechinsky voue aux documents anciens, par-delà leur qualité matérielle, une telle attention, c'est parce qu'ils lui permettent surtout d'entrelacer mot et image, présent et passé, réalité et imaginaire. Il leur redonne vie par une légère intervention du pinceau.
La présence d'Alechinsky à Malaga tient de l'événement.
L’exposition "Alechinsky au pays de l'encre", en couvrant plus de 40 ans de création graphique, de 1952 à 1996, présente un panorama très complet du travail sur la ligne et sur le mouvement, qui fondent l'imaginaire plastique de Pierre Alechinsky, qu'il s'agisse pour lui de peindre, de graver ou de dessiner.
Le titre est emblématique de toute l’œuvre de Pierre Alechinsky : l’encre, dont le maniement (à l’aide d’un pinceau souple, le corps libre, le papier à même le sol) et l’intelligence (celle d’une matière vivante noble, capable d’exprimer par sa fluidité, sa nervosité, toutes les inflexions du langage, les modulations du sens, les errances de l’imaginaire) lui sont appris par de multiples contacts, à partir de 1952, avec des maîtres lettrés de la calligraphie japonaise (Shiryu Morita, Yase Tabuchi, Walasse Ting). L’encre noire devient pour Alechinsky un espace d’expression globale : physique, mental et ludique. Dans Au pays de l’encre, l’espace largement brassé est encore ouvert – les marges qui caractériseront ses peintures y figurent.
Qu'elle transporte ou qu'elle indiffère, l’œuvre d'Alechinsky ne laisse pas froid, et cette présence d'Alechinsky à Malaga tient réellement de l’évènement. Les œuvres qui sont exposées proviennent d'un goût pictural et littéraire affirmé, d'une volonté de mêler calligraphie et graphisme abstrait, ni complètement écriture ni complètement abstraction...
"Par un trou d'encre me laisser glisser au fond de tous mes dessins, en remonter par une corde à mots ..." dans son livre "Idéotraces", 1953.
Composés comme des récits, ses dessins sont souvent divisés en différents espaces: cases à la manière de bandes dessinées, cadres, marges illustrées. La rencontre de plusieurs images au cœur d’une même œuvre déplace, décale le sens et compose un faisceau d’interprétations. Évoquant les enluminures médiévales et leurs drôleries, les marges d’Alechinsky semblent parfois prêtes à céder sous la poussée d’un perpétuel débordement.
Cette exposition est, à n’en pas douter, un succès !
Exposition visible jusqu’au 12 avril 2020 au Centre Pompidou de Malaga, (centre qui fêtera la semaine prochaine son 5ème anniversaire!). Entrée gratuite le dimanche de 16h à 20h.