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Encourager l'apprentissage de l'enseignement bilingue à New York

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D'ici deux ans, Fabrice Jaumont souhaite que les élèves puissent suivre une scolarité bilingue et gratuite à New York jusqu'à leur baccalauréat. Photo : Jonas Cuénin
Écrit par Anaïs Digonnet
Publié le 18 septembre 2018, mis à jour le 15 avril 2021

Il manque des professeurs pour enseigner le français à New York. Pourtant, la ville continue d’être un véritable bastion de l’apprentissage bilingue aux USA, notamment grâce à un homme, Fabrice Jaumont, Nordiste devenu habitant de Brooklyn et attaché éducatif à l’ambassade de France. Après avoir sorti, en 2017, un manuel sur la mise en place de classes avec des cours en deux langues, il revient sur la révolution bilingue qui se développe dans de nombreux Etats américains.

Lepetitjournal.com New York : Où en est-on de l’expansion des programmes bilingues franco-anglais dans les écoles publiques de New York ?

La gentrification de nombreux quartiers à New York a amené la création de programmes bilingues dans les écoles publiques de la ville. Le dernier en date, c’est un projet qui doit naître à PS05 à Bedford Stuyvesant (à Brooklyn, ndlr). On travaille pour que les familles puissent rejoindre des classes de Pre-K et Kindegarten afin de scolariser les enfants à partir de l’âge de 4 ans. Ce serait une école qui nous servirait de pilote car pour l’instant il n’existe pas d’accueil bilingue franco-anglais public à New York pour des enfants de cet âge. Ce projet est une initiative de Benoît Busseuil (un restaurateur français, ndlr), qui a mis sa fille dans cette école et a poussé l’idée auprès de la directrice qui cherchait à créer de la diversité. On a aussi réussi à obtenir une subvention du département de la ville de New York. Maintenant, il faut que les familles sautent le pas !

 

Et pour les élèves plus âgés ?

A Boerum Hill School For International Studies, on développe le high school bilingue avec les élèves de 9ème et 10ème grades. Le but est d’aller jusqu’au 12ème grade et de proposer in fine un programme pour passer le bac international, que l’on appelle en France le bac de Genève. Il nous reste deux ans avant de voir les premiers élèves diplômés d’un baccalauréat international bilingue. Ce sera l’aboutissement de la création d’un parcours scolaire public à New York, où il deviendra possible de scolariser gratuitement son enfant du pre-K au baccalauréat, en classe bilingue et, avec à la clé un diplôme reconnu dans toutes les universités européennes et nord-américaines. C’est encore un peu visionnaire, mais on touche notre rêve du doigt.

 

Le programme « French Heritage » participe aussi à ce développement du français chez les adolescents...

Oui, une fois par semaine, l’idée est de proposer des cours de français avancés à des adolescents francophones dans des lycées publics de New York. On leur permet de garder un lien avec notre langue pour ne pas la perdre mais aussi de faire de cette pratique un atout. Les meilleurs pourront passer des examens appelés “Advanced Placement” et ainsi avoir des crédits à l’université. On propose cette activité dans 10 lycées de New York où où sont scolarisés des enfants haïtiens ou africains, qui viennent d’arriver aux USA. On leur donne un cours ou deux pendant la semaine, ils vont aussi se retrouver pour faire du théâtre, des vidéos, parler de leurs histoires, de leurs cultures et de leurs voyages. Ce programme est rendu possible grâce à des fonds privés, le ministère des Affaires étrangères en France et l’Organisation internationale de la francophonie qui met à disposition un ou une volontaire internationale.

 

Comment expliquer cet essor de cours bilingues dans les écoles publiques de New York ?

Richard Carranza, l’actuel chancelier des écoles, qui a été nommé par le maire Bill de Blasio, est mexicano-américain. Fils d'un tôlier et d'une coiffeuse et petit-fils d'immigrants mexicains, il a commencé sa carrière dans un lycée bilingue à Tucson en Arizona, en tant que professeur de sciences sociales et de musique. Il a donc un lien fort avec le bilinguisme. D’un autre côté, la politique de la ville de New York a toujours été la même : les programmes bilingues servent à apprendre l’anglais aux immigrants pour leur donner une meilleure chance de réussir dans la société américaine. La municipalité veut créer une ville sanctuaire protégeant les immigrants, avec ou sans papiers, protégeant leur culture, leur langue et leur donnant des chances de s’intégrer pleinement.

 

C’est en ce sens que vous avez écrit, La Révolution bilingue, le futur de l'éducation s'écrit en deux langues (éd. TBR Books, 2017), traduit aujourd’hui dans plusieurs langues et utilisé comme guide pour ceux qui souhaitent mettre en place des classes bilingues ?

Avec le livre et le travail que l’on fait avec les parents, nous essayons de changer cette définition de l’éducation bilingue telle qu’elle est donnée par la ville de New York. Elle doit servir à aider les non-anglophones certes, mais c’est aussi un modèle qui doit inclure les familles comme la mienne, qui veulent que les enfants gardent la langue des grands-parents. Elle doit aussi aider toutes les familles anglophones monolingues qui cherchent à acquérir une seconde langue, comme c’est le cas pour une grande proportion d’Américains à New York. Il faut que l’éducation bilingue soit pour tous et pas seulement pour les apprenants en anglais. Les directeurs d’école agissent avec une certaine flexibilité lorsque les familles viennent les voir pour créer un programme bilingue. Et cela se passe de la même manière pour le français, mais aussi l’allemand, le coréen, l’italien : de nombreuses familles attendent que le système scolaire public new-yorkais puisse aider leurs enfants à acquérir une seconde langue. Car c’est prouvé : le bilinguisme a un impact sur le cerveau à tout âge. Il participe positivement au développement cognitif des enfants. Il favorise aussi l’intégration et la cohésion sociale : les jeunes sont plus ouverts d’esprit, plus réceptifs aux autres cultures et plus tolérants.

Quels sont les obstacles ?

Le champ de l’éducation bilingue est très politisé ici aux Etats-Unis. Il y a des tensions en permanence, notamment actuellement sur les sujets qui touchent aux immigrants. Et les programmes en espagnol ou en arabe en sont notamment victimes. Et puis, les professeurs sont le nerf de la guerre mais il faut qu’ils soient certifiés, c’est-à-dire qui disposent d’une licence pour enseigner dans l’Etat de New York, d’une carte verte car la ville ne donne pas de visas, donc ça limite le nombre de candidats. Plus il y a d’écoles, plus il y a de postes mais il faut arriver à rentrer dans le moule et répondre aux critères du système scolaire public de la ville. L’ambassade de France et la Fondation FACE encouragent les étudiants à suivre des diplômes d’éducation bilingue, généralement conçus pour pouvoir enseigner toutes les matières en deux langues, à travers des bourses qui doivent couvrir une partie de leurs frais de formation, à hauteur de 5000 dollars. A New York, l’université publique Hunter College a aussi ajouté un module en français à son Master d’éducation bilingue qui permet de former les enseignants en traitant des sujets propres à l’enseignement du français. Cependant, tant que la ville ne décrète pas que ce secteur est déficitaire en professeurs, il n’y aura pas de volonté politique pour nouer des partenariats avec des pays francophones. C’est donc depuis New York qu’on peut encourager les jeunes à devenir des enseignants pour des classes bilingues.

 

Est-ce que d’autres villes américaines sont plus enclines à accueillir des professeurs francophones étrangers ?

Oui, l’Utah a une autre approche. C’est l’Etat où l’on comptabilise le plus de filières bilingues francophones après la Louisiane. Ce n’est pas lié à la volonté des parents ou au nombre de francophones dans l’Etat, mais à celle du gouvernement local qui encourage le développement de ces filières d’immersion en français dans le cadre d’une stratégie de développement économique. Il fait venir les professeurs de France ou d’ailleurs à qui on déroule le tapis rouge. L’objectif est de créer une main d’oeuvre multilingue et de former des étudiants capables d’être compétitifs sur le marché global des compétences afin d’attirer des multinationales en Utah, Etat très enclavé. C’est un phénomène que l’on retrouve aussi en Géorgie, en Caroline du Nord et dans le Delaware.

 

Quel a été l’impact de votre livre sur la révolution bilingue après sa sortie en 2017 ?

Il a donné l’envie à pas mal de gens de faire la même chose, comme à Washington D.C, à San Francisco et à Boston où certains s’organisent. Il y a aussi certains groupes qui se lancent hors des grandes villes comme à Burlington dans le Vermont où l’on cherche à faire des écoles d’immersion, encore pour des raisons économiques liées à l’accueil du flux de touristes québécois qui viennent visiter cet Etat. Mais il y a des aussi parents qui s’en inspirent hors des Etats-Unis. Une version du livre est notamment attendue au Pérou car certains voudraient mettre en place des programmes bilingues quechua-espagnol. En France aussi, pas mal de gens me sollicitent et je participerai à une conférence sur le sujet du plurilinguisme le 6 octobre à Paris. Ce livre donne des idées et des outils. Les gens ont besoin de lire et d’entendre qu’il est possible de faire la même chose chez eux, grâce au retour d’expérience d’autres parents qui sont passés par là.

 

La conférence sur le plurilinguisme aura lieu le samedi 6 octobre 2018, de 9 à 13 heures, à l’Assemblée nationale à Paris. Fabrice Jaumont interviendra sur le rôle des parents dans la création de filières bilingues. Billets disponibles ici.

anais digonnet
Publié le 18 septembre 2018, mis à jour le 15 avril 2021